C’est un véritable siège qui se joue sur le tracé de l’A69 à Saïx, dans le Tarn. Voilà 18 jours que les écureuils, ces personnes perchées dans la cime des arbres pour empêcher leur abattage, étaient privés de ravitaillement par les forces de l’ordre. Ce traitement inhumain a été dénoncé par le rapporteur des Nations Unies. Cinq écureuils restent déterminés à tenir jusqu’à l’obtention d’un moratoire.
Les écureuils, protecteurs des arbres contre la A69
Du sol, alors que nous discutons avec Reva par téléphone, l’un de leurs soutiens leur envoie ce cri d’amour : « Vous êtes des œuvres d’arbres ! ».
Acculés de cime en cime au fur et à mesure de l’abattage des arbres, les écureuils occupent toujours le site de la « Crem’Arbre », sur la commune de Saïx. Depuis le 15 février 2024, les forces de l’ordre empêchaient leurs soutiens de leur apporter la moindre nourriture, et leur ont même confisqué vivres, matériel et affaires chaudes.
« Par chance, on avait fait des provisions et on a encore suffisamment d’eau, mais nous n’avons bientôt plus du tout de nourriture. On se rationne au maximum, et si cela finit en grève de la faim ça sera de leur faute. » confie Reva, l’un des écureuils, par téléphone à La Relève et La Peste
Cette interdiction de ravitaillement en nourriture et les entraves à l’accès à l’eau potable ont été dénoncées par Michel Frost, le rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Défenseurs de l’Environnement venu les 22 et 23 février derniers dans le Tarn.
« Ils entrent dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la Convention contre la torture des Nations Unies » rappelle-t-il dans sa déclaration de fin de mission publiée le 29 février 2024
Pire, le 20 février, lorsque les autorités ont enfin permis aux « écureuils » d’avoir accès à l’eau potable, l’entreprise NGE chargée des opérations de défrichement sur place a percé les bidons d’eau apportés par les forces de l’ordre et destinés aux « écureuils ».
Cette nouvelle espèce doit redoubler de stratagèmes et d’agilité pour défendre les arbres menacés d’abattage. Ces privations, mais aussi la destruction systématique de leurs installations chaudes, ont de terribles conséquences physiques pour les protecteurs des arbres.
« On a des débuts de tendinite aux bras parce qu’on est toujours en mouvement. Cela fait 18 jours qu’on vit perchés dans les arbres à devoir se déplacer en permanence. Cela fait mal aux corps, avec des douleurs dans les muscles et les tendons. Les étourderies arrivent de plus en plus avec la fatigue alors on essaie de rester ultra-vigilants tout le temps » explique Reva, l’un des écureuils assiégés, par téléphone à La Relève et La Peste
Pour des personnes perchées à plus de 20m de hauteur, la moindre erreur peut être fatale. Or, le manque de nourriture, couplé à la fatigue, pose de sérieux problèmes de sécurité. Les écureuils doivent dormir dans des hamacs exposés au vent et à l’humidité. Seule leur solidarité leur permet de tenir le coup.
Lorsque l’une d’entre eux était au bord de l’hypothermie, privée de ses affaires chaudes par les forces de l’ordre, ils se sont regroupés autour d’elle dans un câlin général pour l’aider à remonter en température. A l’image de ce que feraient des survivants piégés sous un tas de neige par une avalanche.
« Entre nous, c’est incroyable. On a une équipe de folie avec des gens souples et déterminés par la justesse de ce combat. De bonnes têtes de mules avec des cœurs énormes et des valeurs comme on en voit rarement. Toutes nos décisions se font dans la paix et la douceur » sourit Reva lorsqu’il est interrogé sur leurs liens
Un combat juridique pour faire appliquer le droit
Le siège est aussi psychologique, ainsi que nous le révélions dans cet article. Tout est fait pour fatiguer les « écureuils » et les priver du moindre confort, quitte à couper leurs lignes de vie, seules garantes de leur sécurité à une telle hauteur…
« C’est hyper dur moralement parce qu’on est face à une machine inhumaine qui nous broie » souffle Reva
Une requête en urgence auprès de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme), suite à la déclaration de fin de mission du Rapporteur Spécial de l’ONU pour la Protection des défenseur.es, exige « de faire cesser le défrichement illégal conduisant à une mise en danger volontaire de la vie d’autrui ».
Le ravitaillement s’est enfin débloqué ce lundi 4 mars. Au moment d’écrire ces lignes, les avocates des écureuils, Alice Terrasse et Claire Dujardin ont enfin pu leur apporter quatre sacs de nourriture pour la première fois depuis le 15 février. Les écureuils ont accueilli les sacs avec des cris de joie. Dedans : des fruits, des légumes, des biscuits et bien d’autres.
Les paquets ayant tous été ouverts par la police, en quête d’objets illicites, leur conservation sera de seulement quelques jours. Il faudra de nouveau tempêter pour faire appliquer les droits humains les plus élémentaires
Car les soutiens des écureuils s’activent au sol. Thomas Brail, le fondateur du GNSA, est remonté dans le platane situé devant le ministère de la Transition Ecologique pour exiger leur ravitaillement. Dans les tribunaux, la lutte continue pour faire appliquer le droit environnemental.
Avec une dizaine de jours de retard, le Tribunal Administratif de Toulouse a ordonné au Préfet, ce jeudi 29 février 2024, de fournir les documents relatifs à la déclassification de cette zone dans un délai maximum de cinq jours.
Le défrichement est censé être interdit jusqu’au 1er septembre. En effet, le site compte encore de gros arbres bicentenaires capables d’abriter notamment des gîtes à chiroptères (chauves-souris), espèces protégées dont le cycle de vie (en particulier les mises bas) doit se faire dans ces arbres au cours des prochains mois.
« On attend ce papier avec impatience mais pour nous, les écureuils, ça ne change rien. Le droit environnemental n’est pas respecté ici depuis le début. Nous ne descendrons pas des arbres tant que nous n’aurons pas obtenu un moratoire sur les travaux » explique Reva pour La Relève et La Peste
La semaine dernière, la commission d’enquête parlementaire a débuté les auditions sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69. Cette commission d’enquête va investiguer plusieurs sujets : le contrat de concession, le respect des règles environnementales et le montage financier de ce chantier à 450 millions d’euros.