Espace d’expérimentation maraîchère et architecturale, l’îlot U est menacé de destruction par la ville de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui prévoit d’y construire un pôle universitaire intégré au nouveau quartier de Baud-Chardonnet.
Tiers-lieu par excellence, l’Îlot U porte bien son nom : ce morceau de verdure est littéralement enclavé, au nord par le campus universitaire de Beaulieu, une station essence, une route ; au sud par la Vilaine ; à l’ouest par un parking et à l’est par des allées pavillonnaires s’étalant à perte de vue.
Il s’agit d’une parcelle de l’immense zone d’aménagement concerté (ZAC) de Baud-Chardonnet, un espace de 35 hectares que la métropole de Rennes est en train de transformer en quartier d’habitation « pour accompagner l’accroissement de sa population » et « permettre l’extension vers l’est du centre-ville », à quelques minutes en voiture.
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Elle aussi coincée entre les eaux de la Vilaine et des chemins de fer, la ZAC de Baud-Chardonnet, créée en 2004, se compose de friches en sursis, d’un parc relais où sommeillent les autobus d’un service de transport, d’une déchetterie, de la fourrière de Rennes, d’un club de kayak et de quelques usines et ateliers perdus dans un désert de béton.
Divisée en une vingtaine d’îlots, la ZAC est pensée pour devenir une sorte de ville du quart d’heure. D’ici 2027-2030, le non-lieu actuel devrait laisser place à 2 700 logements flambant neufs, 5 hectares d’espaces verts, « 90 000 m² de surfaces tertiaires et universitaires », 8 500 m² de commerces (dont un Lidl), une maison médicale, un groupe scolaire, une promenade le long de la Vilaine…
De la simple parcelle au havre de verdure
Dans ce grand projet immobilier, l’îlot U fait figure d’exception. Seule de l’autre côté de la rivière, relativement préservée du béton, cette parcelle est occupée depuis le printemps 2020 par un collectif informel ayant décidé de s’approprier l’un des derniers terrains sans béton de la zone.
En deux ans, la population locale y a ainsi restauré un semblant d’écosystème : au milieu de hautes herbes propices aux insectes et aux petits rongeurs, une mare « remplie de grenouilles » fait le bonheur des enfants, pendant que les adultes peuvent apprendre à travailler la terre sur de petits potagers créés dans un but pédagogique.
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Véritable expérimentation de l’habitat léger, de l’artisanat populaire et de l’économie circulaire, le lieu s’est aussi « progressivement peuplé de cabanes construites en terre-paille et matériaux de récupération » – une cantine, une serre, des jeux pour enfants, etc. –, qui accueillent, les beaux jours, des activités de gravure, de land art, de jardinage ou de zéro déchet, en totale autonomie.
« Cet endroit est le résultat d’une réelle appropriation collective spontanée et participative de l’espace public », résument les occupants, qui y voient une « mise en œuvre concrète » du programme de la municipalité de Rennes, dont la coalition Parti socialiste / Europe Écologie – Les Verts a été « plébiscitée à 65,35 % par les électeurs et électrices », en juin 2020.
Démantèlement annoncé
À l’instar des jardins d’Aubervilliers dont on a tant parlé, l’îlot U est aujourd’hui menacé de destruction par la ville de Rennes, qui souhaite y bâtir un pôle universitaire et des logements.
« Les machines sont déjà passées une première fois pour un repérage, indique le collectif, on peut aisément voir les traces de leur passage. »
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Pour justifier le démantèlement des cabanes et des espaces d’artisanat, la mairie avance en particulier deux arguments.
Certaines zones de la friche seraient inappropriées à la culture en pleine terre, à cause d’une contamination disparate aux métaux lourds. Le collectif répond qu’un rapport réalisé en 2018 a montré que le secteur à proscrire se limitait à la section nord de la zone, actuellement inexploitée, mais la municipalité serait trop préoccupée par ce risque pour autoriser une utilisation autonome du sol.
Second argument, les élus rennais voudraient transférer sur l’îlot U un autre tiers-lieu, l’Élaboratoire, installé depuis des années au cœur de la ZAC, et donc gênant les travaux. Mais le déménagement de cette « friche artistique » de la plaine de Baud permettrait en fait, selon le collectif, de « préparer les lieux pour mieux poursuivre l’aménagement minéral, vertical et standardisé » de l’îlot U, que la mairie ne saurait plus vraiment comment récupérer.
Conscients que l’urgence écologique est de leur côté, les occupants de l’îlot U aimeraient à l’inverse poursuivre et pérenniser leurs expérimentations, qui pourraient être intégrées à l’aménagement général de la ville.
En pleine croissance démographique (4 000 à 5 000 habitants y arrivent chaque année), Rennes bétonne à tout-va, suscitant des nœuds d’opposition de plus en plus nombreux aux quatre coins de la métropole. Avec les quartiers de Beauregard, la Courrouze et maintenant la plaine de Baud, les possibilités de construction intra-rocade sont bientôt épuisées.
« Désormais, il faut construire en hauteur pour ne pas s’étendre, ou empiéter sur la ceinture verte pour maintenir le cadre de vie », indique ainsi le journaliste Benoît Levaillant.
C’est ce second choix que retient de plus en plus la métropole. À la Prévalaye, un site naturel remarquable en vallée de Vilaine, une extension du centre d’entraînement du Stade rennais menace par exemple 8 hectares de terres extrêmement fertiles.
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À Cesson-Sévigné, l’autoproclamée « écocité » de ViaSilva, l’un des plus grands projets immobiliers de l’agglomération, s’étendra prochainement sur 650 hectares de surfaces agricoles. Certains habitants s’y opposent, mais leur voix peine à être entendue.