Depuis plus d’un an, la multinationale canadienne Boralex commet sur la montagne de Lure un outrage qui laisse des traces. Son projet d’implantation d’une centrale photovoltaïque industrielle détruit des milieux naturels au nom de la lutte contre le changement climatique, avec la complicité de L’État. Malgré une mobilisation accrue de la part des militants et des associations, tant sur le terrain que devant les tribunaux, le chantier continue d’avancer et de saccager toute une biodiversité rare et fragile.
Une réserve de Biosphère labellisée par l’Unesco et sa biodiversité menacée
À l’heure actuelle, on recense déjà plus de 360 hectares de projets à Cruis, Ongles, Banon, Mallefougasse, Redortiers, Simiane la Rotonde, Revest-du-Bion et sur près de 18 villages de la montagne de Lure. Pour plusieurs d’entre elles, les enquêtes publiques sont terminées, la préfecture a donné son accord, et les travaux pourraient démarrer à tout moment.
« Entre le défrichement de la forêt, les travaux de terrassement et le passage des engins qui retournent la terre, c’est une véritable destruction du milieu naturel qui est en train de se passer » livre Marie Veroda, co-Présidente et coordinatrice du pôle juridique du GNSA (Groupe National de Surveillance des Arbres) pour La Relève et La Peste.
Ce projet n’a pas pour but de favoriser les circuits courts ou locaux, mais est destiné aux métropoles lointaines pour une société toujours plus énergivore.
« Les énergies dites renouvelables ne servent pas à remplacer les énergies fossiles et nucléaires mais ne font que s’y rajouter » ajoute Marie.
Dans un contexte de loi d’accélération des énergies renouvelables du gouvernement, installer une énergie « verte » telle que des parcs photovoltaïques en sacrifiant des espaces naturels est un paradoxe sans nom. C’est ce que dénonce l’Élu marseillais d’EELV Sébastien Barles, mobilisé sur le terrain au côté des habitants : « Oui au photovoltaïque, mais pas contre le vivant ».
Une mobilisation pour défendre le vivant dans un climat tendu
Afin de dénoncer et d’empêcher l’implantation illégale de ce grand parc solaire de 17 hectares par la société canadienne Boralex, des blocages de chantier se produisent dans la commune de Cuis depuis plus d’un an. En août, la mobilisation de terrain s’est accrue grâce à des femmes baptisées « les gardiennes de la Lure », associée à une bataille juridique et administrative de la part des associations.
Sur le volet pénal, elles sont une quinzaine à dénoncer les infractions à la réglementation environnementale commises par Boralex, qui ne dispose notamment d’aucune dérogation pour détruire les habitats d’espèces protégées. Pourtant, le parquet de Digne-les-Bains et l’Office Français de la Biodiversité (OFB) police de l’environnement, parfaitement informés, ne semblent pas enclins à constater les violations du droit par la multinationale.
Sur le plan administratif, le référé déposé devant le Tribunal administratif de Marseille contre une autorisation délivrée en toute hâte par le préfet du département le 29 septembre 2023 n’a pas permis de suspendre les travaux, mais les opposants ont fait appel de cette décision avec un pourvoi devant le Conseil d’État. Pendant ce temps, le chantier se poursuit inexorablement.
S’opposer directement face aux engins reste donc la seule solution possible pour que le droit s’applique sans que des dégâts irréversibles ne soient commis. « Mais défense du vivant rime désormais avec enfermement ».
En octobre 2023, a lieu l’arrestation de deux militantes, devenue symbole de la résistance citoyenne écologique, qui risquent deux ans de prison pour s’être allongées en travers du chemin des engins de chantier commandés par Boralex.
« Ce sont ces engins qui commettent des infractions pénales. Il s’agit donc d’un état de nécessité où un danger réel appelle de la part de citoyennes une réaction nécessaire et mesurée » clame Marie.
Depuis décembre, les violences physiques et verbales commises par les agents de sécurité, employés par la société, contre les écologistes lors des actions de protestations non violentes se multiplient. Des faits se déroulant devant les yeux des forces de l’ordre, qui restent impassibles et tolèrent cette situation.
Malgré l’opposition sans relâche des militants, le projet industriel à Cruis a anéanti le site de reproduction de plus de 90 espèces animales dont certaines en voie d’extinction. Mais la lutte continue face aux autres multinationales qui envisagent de commencer leurs travaux sur d’autres pans sauvages de la montagne de Lure.
Des dizaines d’espèces protégées en danger
Les dernières études scientifiques démontrent que la situation de la biodiversité est plus grave que ce qui était envisagé, notamment pour les plantes et invertébrés d’Europe. Parmi les 15000 espèces figurant sur la liste rouge, une sur 5 est menacée d’extinction. Pierrot Pantel, ingénieur écologue et chargé de mission juridique pour ANB (Association Nationale pour la Biodiversité) explique pour La Relève et La Peste, que les conséquences des travaux sur le site de la montagne de Lure ne font que s’ajouter à ce triste tableau :
« Près d’une centaine d’espèces d’animaux protégés sont détruites pour faire quelques mégawattheure d’électricité. Est-ce malin ou funeste de sacrifier la biodiversité pour « sauver » le climat ? ».
« Une déferlante de projets industriels s’installe en milieu sauvage et c’est terrible. La situation de la biodiversité est déjà assez catastrophique. Nous le savons. C’est complètement à l’envers de ce qu’on devrait faire » dit Marie.
« Les mêmes erreurs sont répétées depuis des siècles mais certains pensent qu’il faut continuer, et c’est un raz-de-marée qui est en train de se produire » complète Pierrot.
Missionné par le collectif Elzéard Lure en Résistance pour effectuer un travail de coordination, le rôle de Pierrot Pantel, ancien inspecteur de l’environnement, vise à trouver les failles dans les dossiers destructeurs des milieux naturels et à proposer des stratégies de lutte efficaces et novatrices.
Des travaux menés dans l’illégalité et ignorés par l’État
Les travaux engendrés par Boralex qui détruisent l’habitat d’espèces protégées se poursuivent dans l’illégalité la plus complète. À titre d‘exemple, un arrêté spécifie que les travaux de terrassement impactant les milieux naturels en période d’hibernation des reptiles sont interdits. Mais Boralex passe outre cette réglementation.
« Pendant des mois, la société affirmait avoir des autorisations pour détruire les habitats d’espèces protégées mais ne les avait pas puisqu’elle était en train de les demander à l’administration. Actuellement la multinationale n’a pas ces autorisations pour 50 des espèces protégées » explique Pierrot Pantel.
Ces fausses informations mensongères cautionnées par la préfecture et relayées par les médias semblent avoir contribué à renforcer la légitimité de Boralex.
« Aucune institution, qu’elle soit judiciaire ou administrative, n’a fait son travail » gronde Pierrot.
Du bureau d’études payé par les industriels qui n’a pas spécifié par négligence dans son inventaire la présence de certaines espèces, à la police de l’environnement qui ne fait pas appliquer le droit, en passant la préfecture et le ministère qui ne cessent de « couvrir » l’industriel malgré les alertes lancées de toutes part (y compris par les scientifiques du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), tout concourt à ce que les industriels puissent continuer à dénuder la montagne chère à l’écrivain Jean Giono.
Marie nous fait part de son inquiétude en expliquant que les porteurs de projets ont la caution des autorités administratives et que la police de l’environnement, qui devrait normalement constater les infractions à la réglementation environnementale, n’agit pas.
« C’est en fait l’État qui laisse un boulevard à ces multinationales en ne jouant pas son rôle de contrôle, de garde-fou ».
Pierrot ajoute que « le procureur qui est chargé de l’enquête pénale nous dit qu’une instruction est en cours depuis des mois mais personne n’a été auditionné, aucun engin n’a été saisi comme c’est normalement le cas dans une telle situation et aucune enquête n’a été sincèrement menée alors que les travaux, eux, se poursuivent ».
Il a même expliqué à plusieurs reprises lors de son réquisitoire, contre les 2 dames arrêtées en octobre, que Boralex ne commettait pas d’infraction sur la montagne de Lure.
« Pour un procureur soi-disant en train d’investiguer sur la culpabilité pénale de cette multinationale, cela pose une sérieuse question d’impartialité » souffle l’ancien inspecteur de l’environnement.
« Certaines associations de protection de la nature comme France Nature Environnement ou WWF, partenaires avec des multinationales, ont aussi leur part de responsabilité » continue l’ingénieur écologue. Ce partenariat est par exemple utilisé comme caution morale par Boralex devant les tribunaux et lui donnerait de la crédibilité. « Pourquoi une multinationale associée à des associations de protection de la nature détruirait la biodiversité ? »
Le principe de précaution devrait être appliqué. « C’est la colonne vertébrale de la protection de la biodiversité en Europe » affirme Pierrot Pantel.
Malgré une Responsabilité pénale engagée pour des délits graves dénoncés et étayés par des dizaines d’associations et scientifiques à travers plusieurs plaintes, les entreprises poursuivent leurs travaux et la situation n’a pas changé.
« C’est de la responsabilité du préfet comme du procureur de faire appliquer la loi et veiller à son respect ». Les travaux continuent sur le site avec de gros engins de terrassement et c’est l’objet de la troisième plainte qui sera déposée début janvier et signée par 15 associations et des riverains.
« Les mensonges prennent l’ascenseur mais la vérité prend l’escalier. Donc nous ne les lâcherons pas et nous finirons par faire reconnaître la tragédie morale et pénale qui se joue sur la montagne de Lure. Au plus tôt au mieux. » conclut Pierrot Pantel.