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A l’école, “Osmose” rend l’apprentissage des compétences psychosociales aussi important que le français

« C’est en travaillant sur les CPS à différents âges et surtout de façon très régulière que nos futurs citoyens pourront garder l’espoir de vivre harmonieusement. Si nous parvenons, tous, à implanter dans nos écoles ces valeurs essentielles de respect, de communication non violente, d’empathie, mais aussi les manières de gérer l’échec par exemple, nous pouvons espérer faire grandir nos enfants dans un monde positif équilibré. C’est en tout cas le défi que je me donne chaque jour en rentrant dans ma classe ! »

Notre système est éminemment violent et ce jusque dans nos écoles. Osmose, une communauté rassemblant professeurs des écoles, psychologues, éducateurs et parents, est convaincue que c’est en passant par l’apprentissage des émotions et de la confiance en soi que l’on enraiera en profondeur cette problématique, harcèlement scolaire inclus. L’expérimentation est en cours dans 600 écoles, et ces dernières sont de plus en plus nombreuses à s’intéresser au sujet.

Les compétences psychosociales à l’école

Certains en sont persuadés, ce sont par les enfants, citoyens de demain que la construction d’un monde meilleur, plus empathique et bienveillant se réalisera. C’est le cas de Benjamin Planche, co-fondateur d’Osmose, une initiative citoyenne créée pour les écoles primaires et leurs enseignants, qui propose plus de 180 activités à réaliser sans écrans, à destination des 6 à 11 ans.

Ces dernières sont conçues par des professionnels de l’éducation. Le projet est accompagné par l’accélérateur d’innovation pédagogique de Réseau Canopé (opérateur public de l’éducation nationale).

En 1993, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) introduit le concept de compétences psychosociales (CPS). Elles sont définies comme « l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement ».

C’est par son application dans le milieu professionnel d’où viennent Benjamin Planche et Vincent Chavinier que l’idée d’Osmose est née.

« La création d’Osmose est partie de 4 constats. Le 1er est le déséquilibre majeur entre enseignement des savoir-faire et savoir-être. Le 2ème, c’est que les enseignants ont à cœur de partager ces CPS mais qu’ils manquent de temps. Le 3ème, est celui de se dire que si ces derniers sont déjà présents dans le milieu professionnel pourquoi ne le seraient-ils pas à l’école ? Et enfin, c’est qu’à 10 ans, les enfants sont de véritables éponges et que c’est un moment privilégié pour leur enseigner. »

Toutes leurs activités ont été élaborées selon les dix compétences de l’OMS (voir tableau) notamment la communication, la conscience de soi et la gestion du stress. Somme toute, un panel de savoir-être à intégrer aux savoir-faire comme le français ou les mathématiques de nos établissements scolaires.

Des outils adaptables pour chaque enseignant.e

Chaque enseignant, chaque école fonctionne différemment. Soit, ils font le lien avec les compétences académiques comme, par exemple, durant les sessions de lecture, proposer des contes avec une morale sur la coopération, l’empathie pour qu’à la fin les enfants et les enseignants puissent en discuter.

Soit, quand les enfants ont terminé leurs devoirs, les enseignants mettent à leur disposition certains supports en classe afin qu’ils puissent y jouer en attendant que les autres aient fini. Benjamin nous explique :

« On a édité presque 180 ressources, activités et jeux. On peut prendre pour exemple l’arbre à succès qui consiste à écrire dans ses feuilles ses succès : “Hier, je ne savais pas marcher, aujourd’hui, oui”. Petit à petit, il l’enrichit et voit ses progrès. Ou encore, le jeu de la joie, un jeu de plateau à imprimer où il y aura sur une case avec pour « gage » de mentionner trois moments de joie dans sa journée ou de donner trois qualités de son « adversaire ». »

« Les ressources d’Osmose s’intègrent facilement aux autres disciplines. Il y a par exemple des textes qui permettent de travailler sur la langue française en même temps que sur les CPS. Mais aussi des activités créatives qui rentrent dans les arts visuels de nos programmes, ou encore des notions telles que le respect ou la tolérance qui font partie de l’enseignement moral et civique » témoigne Morine, enseignante d’enfants entre 6 et 8 ans allant du CP au CE1 pour La Relève et La Peste.

L’apprentissage relatif à la reconnaissance et à la gestion des émotions est entré dans les programmes de l’école maternelle depuis 2016 (avec un support incontournable : le livre « La couleur des émotions »). Les effets bénéfiques de cet outil sont rapidement apparus, mais, selon Eloïse, enseignante utilisatrice, ambassadrice chez Osmose, cela n’était pas suffisant :

« En fouillant sur internet, je suis tombée par hasard sur une offre internet d’Osmose qui proposait d’intégrer une équipe de professionnels pour réfléchir à la création de magazines proposant des interviews et des activités pour découvrir les compétences psychosociales en famille. J’ai intégré l’équipe d’ambassadeurs. Dès la première réunion en visio, j’ai été épatée par le pouvoir de l’intelligence collective. En une heure, 15 personnes avaient proposé une vingtaine d’activités pour le kit sur la Motivation. Ces activités sont mises en page, illustrées par une graphiste. Dès que j’ai reçu le kit, j’ai immédiatement testé ces activités dans ma classe. »

Osmose fonctionne sur un système de parrainage afin qu’il soit entièrement gratuit et accessible pour les enseignants. L’adhésion est de 149€ par an. Elle est financée par des citoyens qui ont à cœur de développer ces CPS dans les systèmes scolaires. 

Quand une personne adhère, deux choix s’offrent à elle. Soit elle donne accès à toutes les ressources à l’école de son village, là où il y a un enfant de sa famille, soit elle peut donner l’accès à l’une des écoles sur liste d’attente.

« Parmi les adhérents, nous avons beaucoup de professionnels qui sont des sophrologues, des coachs scolaires, des thérapeutes qui vont aider les enseignants à mettre en place les activités. »

Selon le rapport l’Ecolhuma, 77 % des enseignants sont d’accord avec le fait que l’une de leurs principales missions est d’aider les élèves à développer des CPS qui leur permettront de faire face aux situations de la vie.

Pour convaincre les 23 % restants, il n’y a selon Benjamin pas de recette miracle. Afin de sensibiliser un maximum de professeurs, ils organisent chaque mois des web-conférences gratuites avec des docteurs et des chercheurs.

Selon Karine Bressand, docteure en neurosciences, les enfants apprennent plus facilement si l’on prend en compte leurs émotions.

« Depuis que je mets en place ces activités de façon hebdomadaire, j’ai l’impression de ne plus avoir besoin de faire de la « discipline » dans ma classe. Des problèmes relationnels, des élèves qui n’ont pas confiance en eux, qui ont peur de se lancer dans un apprentissage, il y en a toujours mais en s’appuyant sur les différents outils, on les règle plus facilement. Chaque problème individuel ou relationnel devient une situation d’apprentissage des compétences psycho-sociales. » détaille Eloïse, enseignante de CE1 – CE2, pour La Relève et La Peste

« Il n’y a pas très longtemps, j’ai travaillé avec mes élèves sur une petite histoire où il était question de la « différence ». Un des personnages de cette histoire vivait mal cette différence et cela le mettait en colère. A partir de cette petite anecdote, un débat s’en est suivi en classe, nous avons abordé quelques clés pour « gérer » cette colère (outils de la bibliothèque des ressources Osmose). Quelques jours après, pendant une récréation, lors d’une dispute entre deux enfants pendant laquelle l’un d’entre eux était très en colère, un troisième a dit : « souviens-toi, on en a parlé dans l’histoire, avec la maîtresse, et quand on est en colère, on peut agir comme ça… » raconte Morine, enseignante, pour La Relève et La Peste

Osmose est aussi un soutien pour les enseignants qui n’ont parfois pas les outils adéquats pour résoudre des conflits qui prennent souvent racines dans des causes plus profondes qu’elles n’apparaissent, comme le manque de confiance en soi d’un enfant ou encore la gestion du stress. Ces dernières peuvent prendre leur source à la maison ou à l’extérieur de l’enceinte scolaire.

« Au fur et à mesure des activités testées, le climat de classe est devenu très agréable, jusqu’à être maintenant extrêmement motivant, dynamique. Je viens chaque jour à l’école avec la certitude que je vais passer une magnifique journée, pleine de surprises, d’interactions. Et j’ai l’impression que mes élèves partagent cette joie. Toutes les disciplines, maths, français, histoire, musique, … s’enchaînent avec fluidité et envie. Je ressens une immense gratitude d’avoir choisi ce métier et je considère comme un cadeau chaque réflexion sur le bien-être, la relation à l’autre que m’offrent mes élèves. » (Eloise, enseignante de d’élèves de CE1-CE2)

Ces problématiques peuvent trouver leurs sources dans un contexte scolaire mais aussi en dehors de l’école. Lorsque l’on demande à Benjamin et à Morine comment ils imaginent l’application de ces compétences de retour à la maison, sachant que chaque enfant vient d’un environnement social différent et qu’il est de fait plus difficile pour certains de rester dans cet état d’esprit « bienveillant », ils nous répondent :

« On ne met aucune limite dans la diffusion des ressources. Quand une école a accès aux ressources, l’enseignant peut les imprimer autant de fois qu’il le souhaite. Ce qui fait que les enfants peuvent repartir à la maison avec les activités. On a espoir qu’en rentrant avec, les parents prennent petit à petit conscience de ces outils. Malheureusement pour ceux qui ne s’y intéressent pas du tout, on se dit qu’au moins l’enfant à la possibilité de continuer ces jeux-là à la maison. »

« Quel que soit l’environnement social dans lequel vivent les enfants, ce qui est réalisé à l’école compte pour eux, et même s’ils ne font pas « tout passer » à la maison, ils en transmettent toujours un peu. Et quand on sème des graines, même si elles ne germent pas toutes, il y en a toujours certaines qui finissent par pousser ! »

On pourrait être amené à penser que sans un changement radical de nos modes de vie, l’apprentissage de ces CPS pourrait entériner la violence de notre système en rendant ce dernier en quelque sorte moins difficile à vivre ou en rendant nos enfants plus dociles.

Malcom Gladwell dans son livre « The tipping point : How little things can make a big difference » paru en 2000, nous explique que pour atteindre un point de bascule, il n’est pas nécessaire de toucher 60 % de la population, qu’une majorité précoce de 13 à 14% de la population suffit à amorcer un vrai changement sociétal et faire bouger la majorité négative.

Et si cette majorité précoce était nos enfants sensibilisés aux CPS ?  Benjamin, le croit :

« On essaie avant tout de rassembler les enseignants que l’on appelle des innovateurs, des « early-adopteurs » qui ont la certitude que ces CPS peuvent changer les choses. Ils sont les 13%. Ce sont eux qui font basculer vers la majorité précoce. Je suis sûr que l’on est à ce point de renversement où l’on n’a pas besoin de persuader tout le monde mais plutôt de se rassembler autour d’un même et unique projet au lieu de faire dans son coin plein de choses différentes. »

Avec la montée de l’insécurité à l’école, il devient essentiel de changer de paradigme en termes de réflexion. En effet, au lieu de se replier sur soi et jeter la faute sur l’autre, ne serait-il pas plus pertinent de se questionner : Pour celui qui a mal agi « Pourquoi as-tu fait ça ? As-tu conscience des conséquences ? » Pour les autres «  Qu’aurait-on pu faire pour l’aider ? Que peut-on faire maintenant pour éviter que ça se reproduise ? »

“J’ai appris récemment que pardon signifie aussi liberté en arabe. Quand on pardonne, on libère l’autre. Quand on se pardonne (c’est-à-dire quand on prend conscience de la gravité de notre acte et du fait qu’il ne doit pas se reproduire), on se libère soi-même.” (Eloïse quand on la questionne sur les récents évènements dramatiques)

« C’est en travaillant sur les CPS à différents âges et surtout de façon très régulière que nos futurs citoyens pourront garder l’espoir de vivre harmonieusement. Si nous parvenons, tous, à implanter dans nos écoles ces valeurs essentielles de respect, de communication non violente, d’empathie, mais aussi les manières de gérer l’échec par exemple, nous pouvons espérer faire grandir nos enfants dans un monde positif équilibré. C’est en tout cas le défi que je me donne chaque jour en rentrant dans ma classe ! » (Morine, enseignante de primaire qui utilise les ressources d’Osmose, et qui répond en lien au dernier évènement dramatique qui a vu un professeur se faire tuer).

Le manque de moyens alloués à l’Éducation nationale

Le 27 septembre dernier, Gabriel Attal annonçait son plan contre le harcèlement scolaire et le 09 novembre prochain aura lieu la journée nationale de lutte contre ce dernier. Notre système est éminemment violent et ce jusque dans nos écoles. On le sait, la violence engendre la violence, l’actualité en fait foi.

Osmose et sa communauté s’investissent sans compter pour disséminer les CPS à travers le réseau scolaire. Nous avons questionné Benjamin sur ce qu’il pensait de la proposition de Mr Attal sur « le plan national pour l’apprentissage à l’école des compétences psychosociales », alors que son gouvernement nous amène dans un monde de plus en plus compétitif.

A l’instar de la courbe de Malcom Gladwell, et dans une société où encore beaucoup de personnes ont des difficultés avec à être empathique, il nous confie que cela a le mérite d’en faire parler à une plus large échelle.

« La crainte que l’on a, c’est que ce soit un énorme effet d’annonce. Il n’y a pas eu de précisions sur les moyens qui allaient être mis en place et notamment sur les formations qui vont être données aux enseignants dans ces domaines-là. Parce que ces derniers ne demandent que ça et n’ont pas forcément les financements là-dessus. On leur remet souvent des formations sur les mathématiques, le français alors qu’eux ils ont envie de se former aux CPS. »

Pour pallier ce manque, Osmose travaille pour ajouter à leur bibliothèque des cours en e-learning sur ces sujets qui seront élaborés par des professionnels comme des doctorants et des chercheurs. Cela permettra aux enseignants de pouvoir se former comme ils le souhaitent, quand ils le veulent et d’acquérir des bases dans ce domaine.

« Quand je discute avec des parents, des amis, ils me disent (phrase qui a motivé Solenne Bocquillon-Le Goaziou à créer l’application Soft Kids), « C’est super ce que tu fais, pourquoi on ne nous a pas appris ça ? » s’amuse Eloïse auprès de La Relève et La Peste

La jeune enseignante nous confie : « On ne peut pas avancer avec les regrets de ce qu’a pu être la société, le fonctionnement social. On peut juste essayer d’aider nos enfants à devenir des adultes heureux et bienveillants. Comme La Légende du Colibri que je partage avec mes élèves, je pense que chacun peut faire sa part pour apporter du mieux dans notre société ».

Aujourd’hui, Osmose a donné toutes ses ressources à plus de 600 écoles. Les fondateurs de la plateforme ont pour objectif de toucher 1000 écoles avant la fin de l’année. Dans leurs projets futurs, il y a cette volonté de développer ces formations en e-learning pour les enseignants.

Ayant eu beaucoup de demandes, ces derniers sont aussi en train d’adapter plus de 50 % de leurs activités pour le collège. Ils vont partir de la même base et adapter les outils à des enfants de 12-15 ans.

Liza Tourman

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