Des mégalopoles aux zones les plus reculées du monde, la pollution lumineuse augmente bien plus vite que ce que nous pensions. C’est ce que révèle une étude publiée le 19 janvier dans la revue Science.
Pour quantifier cette augmentation, l’équipe de scientifiques conduite par l’astrophysicien Christopher Kyba, du Centre allemand de recherche des sciences de la Terre, s’est servie des données fournies par le programme de sciences participatives Globe At Night, dont la plate-forme a compilé pas de moins de 51 351 observations du ciel nocturne à travers le monde, principalement en Amérique du Nord et en Europe, dans une moindre mesure en Asie.
Ces observations ont été effectuées à l’œil nu en suivant une méthode commune : à des dates spécifiques, les participants étaient invités à sortir une heure après le coucher du soleil, à fixer un point précis du ciel et à le comparer avec des cartes stellaires dans différentes conditions de pollution lumineuse, fournies par l’application.
Cette méthode, qui comporte évidemment des biais – il y a par exemple plus de données aux abords des zones habitées –, a permis aux chercheurs d’estimer l’augmentation annuelle de la pollution lumineuse à 9,6 % en moyenne, de 2011 à 2022, « ce qui équivaut, écrivent-ils, au doublement de la luminosité du ciel tous les huit ans ».
Autrement dit, illustre l’étude, « un endroit avec 250 étoiles visibles verrait ce nombre se réduire à une centaine d’étoiles » sur une période de dix-huit ans, soit « la durée d’une enfance humaine ».
Un coupable tout désigné
Auparavant, les seules données fiables sur la pollution lumineuse provenaient des observations satellitaires, qui plaçaient le taux d’augmentation à 2 %. De deux à dix, un facteur de cinq : d’où vient une telle différence entre les résultats du ciel et ceux de la terre ?
La jugeant trop rapide pour qu’elle provienne uniquement de nouvelles sources de lumière, l’équipe de Christopher Kyba explique cette hausse de la pollution par le recours massif aux diodes électroluminescentes, les LED, moins consommatrices d’électricité que les ampoules normales.
« Au cours des années 2010, remarquent les chercheurs, de nombreux luminaires extérieurs ont été remplacés par des LED », dont « la part de marché mondiale pour le nouvel éclairage général est passée de moins de 1 % en 2011 à 47 % en 2019 ».
Or, les LED émettent une lumière à longueur d’onde plus courte, cette fameuse lumière « bleue » à laquelle l’œil humain est plus sensible, la nuit, et qui, en plus d’irradier davantage dans le ciel, reste moins détectable que les autres sources lumineuses par les satellites. Les chercheurs estiment donc tenir leur coupable.
Les insectes en première ligne
Quelles conséquences cette pollution lumineuse a-t-elle sur la biodiversité, la santé humaine et l’environnement ?
« Il existe peu d’études de terrain contrôlées sur les impacts écologiques du halo lumineux, disent les scientifiques, mais il a été prouvé que celui-ci affecte les plantes, les animaux et leurs interactions. »
Pour ne prendre qu’un seul exemple, l’éclairage artificiel serait, juste derrière les pesticides, la seconde cause de mortalité des insectes, dont 80 % des populations européennes ont disparu en trente ans. Une étude de 2020 a prouvé que la lumière nocturne les affecte dans tous les aspects de leur existence : recherche de nourriture, reproduction, croissance, déplacements.
Les papillons confondent par exemple les lampadaires avec la Lune (dont ils se servent pour se repérer) et ne peuvent plus s’en détacher. Ils finissent alors brûlés, dévorés par leurs prédateurs, ou par mourir d’épuisement – un sort que la lumière nocturne réserve à bien d’autres insectes volants.
Éteignons les lumières
Astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur, Éric Lagadec, réagissant à l’étude de Science, souligne également que la pollution lumineuse risque de nous priver peu à peu du « plus vieil héritage commun de l’humanité : le ciel étoilé, qui a été source de connaissance et de croyances depuis l’aube de la civilisation humaine ».
Cette pollution a enfin une incidence sur la santé : dans un rapport de 2019, l’Anses avertissait que la lumière bleue des LED pouvait engendrer des pathologies oculaires, des troubles du sommeil, des migraines et des crises d’épilepsie, entre autres effets cognitifs.
Dès lors, que faire ? « La solution est simple, répond Éric Lagadec : éteignons les lumières des lampadaires, des bureaux, des publicités autant que possible. »
Outre l’éclairage privé (des fenêtres aux jardins), la France serait aujourd’hui recouverte par 11 millions de points lumineux publics et 3,5 millions d’enseignes demeurant, pour nombre d’entre elles, allumées la nuit. Il serait donc aisé de s’attaquer aux sources de lumière inutiles.
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Crédit photo couv – Michael Nosek