En ce début d’été, deux journalistes de La Relève & La Peste se sont embarqués dans un tour de Bretagne à vélo. L’objectif de cette itinérance : partir à la découverte d’initiatives autour des low-tech. Les low-tech ? Ce sont – pour reprendre la définition du Low-tech Lab, qui fait référence en la matière – des technologies à la fois utiles, accessibles et durables, donc particulièrement adaptées aux enjeux actuels. C’est aussi une véritable philosophie de vie, puisqu’en réfléchissant sur l’impact environnemental des outils du quotidien, il s’agit de repenser sa manière de vivre d’un point de vue global. C’est enfin un concept émergent, qui prend de plus en plus d’ampleur, et suscite déjà un vif enthousiasme et de nombreux débats. Une aventure de Marine Wolf & Elouan Ameline.
Deuxième étape : Le Nomade des Mers et Corentin de Chatelperron
Le village éphémère du Low-tech Festival se dresse sur le port de Concarneau. Amarré au quai en contrebas, le Nomade des Mers se repose enfin, après 6 ans de tour du monde. Concarneau est son port d’attache.
C’est ici qu’a émergé en 2016 le projet de Corentin de Chatelperron, une expédition autour du globe afin de recenser, documenter et partager des systèmes low-tech. Celui-ci nous accueille sur le catamaran pour nous faire découvrir cet habitat flottant et nous partager les enseignements de son voyage.
« L’idée de ce projet était de trouver des low-tech un peu partout autour du monde pour pouvoir les documenter”, rappelle le jeune ingénieur. “Pour pouvoir bien les documenter, on voulait les tester et voir dans quel contexte elles avaient été développées ».
Une multitude de solutions
Dans le sillage du Nomade des Mers est né le Low-tech Lab, autour de l’envie de permettre au plus grand nombre de s’approprier ces découvertes. Les technologies répertoriées sont documentées sous forme de tutos écrits et de vidéos publiées sur le wiki du Low-tech Lab, une plateforme collaborative. Les trouvailles de l’équipage ont aussi été partagées grâce à une série documentaire diffusée par Arte.
« On l’a fait dans l’idée que des particuliers, des entrepreneurs ou des organisations locales un peu partout dans le monde s’approprient ces idées et les implantent localement, en les adaptant en fonction de leur culture, de leur économie locale, et des ressources disponibles. Le modèle de développement qu’on essaye de promouvoir est qu’une multitude de petites solutions émergent, plutôt que d’essayer de trouver de grandes solutions aux problèmes climatiques et de biodiversité », résume notre guide.
Depuis 2 ans, environ un demi-million de personnes se sont connectées chaque année sur la plateforme collaborative du Low-tech Lab. Ces internautes proviennent de 10 000 villes différentes dans le monde.
Le bateau des innovations
Après nous avoir présenté le fonctionnement d’un four solaire permettant de stériliser des bocaux et celui des cultures en hydroponie, Corentin s’arrête devant une petite éolienne. D’une puissance de 20 Watts, celle-ci a été construite peu de temps après leur départ. C’est au sein d’un FabLab de Dakar que l’équipage a découvert comment la réaliser, en remplaçant le système de bobines et d’aimants d’une éolienne classique par un moteur d’imprimante recyclé.
Le reste de la fabrication est tout aussi artisanal : la construction des pâles avec un tube PVC, le circuit électronique à partir de matériaux récupérés, l’assemblage des hélices avec le moteur. Coût total de l’opération : 10 euros. L’engin permet de charger un téléphone, allumer des LED ou encore alimenter une petite pompe.
« Il a connu toutes les conditions météo possibles, ce truc-là est indestructible ! » s’exclame Corentin en souriant.
Les mouches soldats-noirs
À côté de l’éolienne, une caisse suspendue au-dessus de l’eau à l’arrière du bateau attire notre attention. Il s’agit d’un compost, plutôt atypique puisque son processus de dégradation se trouve accéléré par des larves de mouches.
« Vous ne connaissez pas les mouches soldats-noirs ? C’est l’avenir ! Pour moi, c’est l’un des meilleurs exemples d’efficacité en termes de low-tech. »
Les larves des mouches digèrent les déchets organiques, produisant du compost. Certaines sont ensuite données à manger aux poules vivant sur le bateau. Les autres sont placées dans une volière à mouches, afin qu’elles pondent de nouvelles larves.
« En Malaisie, là où elles ont été documentées, ce système règle 3 problèmes », précise Corentin. « D’abord, la gestion des déchets organiques. Habituellement, ceux-ci sont soit incinérés – ce qui prend beaucoup d’énergie puisque ces déchets sont composés à 80% d’eau – soit enfouis avec d’autres déchets – ce qui pollue les sols. Ensuite, celui des engrais bio importés, les larves permettant de produire un compost local et utilisable. Enfin, le problème de la surpêche, puisque les larves sont données à manger à des poissons d’élevage, ce qui évite de pêcher des poissons sauvages. »
S’associer avec le Vivant
Parce qu’il ne répond pas à un besoin par un objet créé par l’Homme, cet exemple de système low-tech se démarque de ceux que nous avons découverts jusqu’ici.
« L’association avec le Vivant, pour moi c’est une des grandes découvertes de ce tour du monde », confie Corentin. « ll y a plein d’associations possibles avec des espèces vivantes, on s’est rendu compte que c’était mille fois mieux. Et ce sont de vraies innovations. Les mouches par exemple, il y a 10 ans personne ne connaissait ce truc-là et maintenant des boîtes ou des associations se lancent là-dedans. Parfois on entend que les low-tech c’est un retour en arrière. Nous on veut montrer qu’elles regroupent plein d’idées nouvelles qui permettent de réinventer notre manière de vivre. »
De ce que nous avons commencé à comprendre au fil de notre itinérance, cette idée rejoint directement ce que l’on pourrait appeler la philosophie low-tech. Il ne s’agit pas de résoudre un à un des problèmes isolés, mais plutôt de repenser son mode de vie de manière globale.
Réinventer nos imaginaires
« À la base, je pensais juste qu’il fallait trouver des systèmes techniques qui allaient répondre à nos problèmes », continue Corentin. « Et petit à petit, je me suis dit : en fait, nos modes de vie génèrent tellement de problèmes qu’on ne peut pas juste essayer d’en gérer les conséquences. Il faut repenser nos modes de vie, ce qui implique de réfléchir à ce qu’on fait sur cette planète, ce qu’on a envie de faire, où est-ce qu’on a envie d’aller. Et donc, quel est notre imaginaire ».
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Sur ce point, nous le rejoignons totalement. Nous réalisons que nous avons tous les trois en tête une vision du futur basée sur des histoires de science-fiction nées à une période où les limites de la planète étaient mal connues.
« Il y avait une croissance économique très forte, des innovations technologiques tout le temps… », remarque Corentin. « Donc la pente du progrès laissait imaginer un monde ultra-technologique. On sait maintenant qu’il y a les limites de ressources, que tout cela crée un monde injuste. Comme si les règles du jeu avaient changé. Sauf qu’on a toujours en tête ces visions du futur. »
Des futurs différents
Nous le rejoignons immédiatement sur ce point, la question de l’imaginaire est capitale. Il nous paraît essentiel de détrôner ces films de science-fiction pour les remplacer par d’autres décors. D’autant plus que certaines des personnalités les plus riches et les plus puissantes de la planète rêvent de rendre réel ces mondes fictifs.
« Dans la tête de la plupart des gens, soit on va vers un futur high-tech à la Elon Musk, avec le métavers et tout ça, soit on revient en arrière. Pas du tout en fait ! Je trouve qu’on n’a pas suffisamment d’idées de futurs possibles, qu’il n’y a pas assez d’alternatives. Et tant qu’on n’aura pas d’autres visions du futur, on n’arrivera pas à mener le progrès dans une direction. Dans ce cadre-là, c’est impossible de penser autrement qu’à court-terme.
Les étudiants doivent être paumés par exemple. Il y en plein qui ne savent pas quelles études choisir, ni quel métier choisir en sortant de leurs études. Ils ne peuvent pas se dire : le boulot que je vais faire pendant 50 ans, je veux qu’il contribue à cette vision-là. Et ça, c’est déprimant. Donc, je m’en suis rendu compte pendant le tour du monde, il est absolument nécessaire d’avoir ces visions. Il faudrait qu’il y ait plein d’éclaireurs de futurs différents ».
Relire le premier épisode de l’aventure de Marine & Elouan : Récup’ et sobriété : les low-tech font leur festival
crédit photo couv : Low-tech Lab