Samedi, 14h30, la marche pour le climat part de la place de la Nation à Paris. Des marches ont lieu au même moment dans 135 autres villes partout en France. Quelque 573 organisations ont appelé à la mobilisation. Au total, 80 000 personnes ont manifesté en France, dont 35 000 à Paris selon les organisateurs. La conférence de presse qui a précédé la marche a réuni seulement six médias dont Mediapart, Reporterre, Libération, l’AFP et nous-mêmes. Un reportage de Florian Grenon.
Replacer le changement climatique au cœur des débats présidentiels
L’institut Onclusive a analysé la place médiatique accordée aux sujets climatiques dans la campagne présidentielle. Résultat, seulement 2,7% du temps est accordé à la question dans les médias. Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria, 33% des Français vont voter en fonction de la guerre en Ukraine. Les principales préoccupations des Français sont, à 52% le pouvoir d’achat, à 25 % le climat et l’immigration à 23%.
Ces marches ont pour but de replacer le changement climatique au cœur du débat présidentiel. Eclipsé par l’actualité géopolitique et par les batailles électorales autour des thèmes de l’immigration, de la sécurité et du pouvoir d’achat, les organisateurs dénoncent le « silence » des candidats « alors que notre avenir est en jeu ».
Marie Cohuet , membre du mouvement Alternatiba Paris, a tenu à rappeler que l’on « sort d’une mandature au cours de laquelle la France a été condamné deux fois pour inaction face au changement climatique » et durant laquelle la loi climat a « été saboté ». « Malgré cela les candidats n’ont pas l’air de saisir l’importance des enjeux ».
Afin de rappeler la gravité de la situation, une marche pour le climat se tiendra le 9 avril prochain, un jour avant l’élection présidentielle.
Lorette Philippot, chargée de campagne pour Les Amis de la Terre, prévient : « on ne se contentera pas de grands discours qui ne seront pas tenus sur un monde d’après qui arriverait de manière miraculeuse […] On a besoin aujourd’hui d’aller exiger dans la rue et dans les urnes un changement radical de notre modèle énergétique, pour le climat, pour la justice sociale et pour la paix. »
Une forme de convergence des luttes
A l’instar de Lorette Philippot, Laurent Bopp, chercheur au CNRS et co-rédacteur du rapport du GIEC, insiste sur l’aspect co-bénéficiaire de la lutte contre le changement climatique. En atténuant le changement climatique, on « diminue les inégalités, on « réduit la pauvreté », on « améliore la santé » des populations.
Le scientifique rappelle également que 50 % de la population mondiale vit dans des zones vulnérables au changement climatique.
Populations qui seront touchées à l’avenir en termes économiques,de nutrition, et de migration. Aujourd’hui, 12 millions de français sont en situation de précarité énergétique.
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Pour ces raisons, une multitude de fondations et associations, peu ou pas habituellement concernées par les manifestations contre le réchauffement climatique, se sont jointes à la marche pour le climat. Parmi elles, des associations féministes ou encore la Fondation Abbé Pierre. Benjamin Ball, membre d’Il Est Encore Temps, travaille à pérenniser « les liens créés avec les gilets jaunes » et ceux « avec les mouvements féministes ». « On a une capacité à mobiliser au-delà de nos cercles habituels ».
Lorette Philippot estime que la crise géopolitique que nous traversons « nous rappelle que l’on a besoin comme jamais de créer les conditions de notre souveraineté, que l’on a besoin de développer un système énergétique basé sur les énergies renouvelables ».
La Crise ukrainienne, « moment de bascule »
C’est un des messages principaux des organisations qui ont orchestré la marche. Nous sommes à un « moment de bascule », pas seulement écologique mais aussi social et géopolitique. Les pays européens souhaitent se réarmer, le Danemark entend sortir de sa neutralité et participer aux politiques de défense de l’UE, Olaf Scholz va augmenter le budget de l’armée Allemande pour atteindre 2% des finances étatiques.
« Il est clair que nous devons investir beaucoup plus dans la sécurité de notre pays, afin de protéger notre liberté et notre démocratie », a assuré le chancelier allemand devant le Bundestag le 27 février dernier.
Le « moment de bascule » ne correspond pas uniquement au réveil des européens par rapport à leur politique de défense, mais également à leur souveraineté énergétique. Lorette Philippot rappelle que depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union Européenne a acheté pour 9 milliards d’euros d’énergies fossiles à la Russie. Le budget du Kremlin provient à 40% de ces énergies.
Emmanuel Macron prévoit, dans son plan « France 2030 », d’investir 1 milliard d’euros pour « faire émerger des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets ». Ces SMR, small modular reactors, sont censés être « beaucoup plus sûrs » et abaisser « les coûts » de l’énergie.
Pour Lorette Philippot, « on ne peut pas décemment penser que la solution sera le nucléaire, à un moment où plane la menace à la fois d’une guerre nucléaire et du devenir de Tchernobyl en Ukraine. Cette peur là est d’autant plus légitime qu’aujourd’hui correspond à la date d’anniversaire de la catastrophe de Fukushima. »
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Nous sommes à un « moment de bascule » qui va s’avérer historique car nos yeux sont tournés vers l’Ukraine. A l’heure où le dérèglement climatique est une question de « vie ou de mort » selon les experts du GIEC, d’autres problématiques que l’on pourrait considérer comme antinomiques arrivent sur la table.
Pourtant, selon les organisateurs de la marche, cette guerre en Ukraine est « l’opportunité de parler du lien » entre les problématiques géopolitiques, énergétiques, écologiques et sociales.
Crédit photo couv : Marche Look Up à Paris, 12 mars 2022 – Basile Mesré-Barjon