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TotalEnergies refuse de retirer ses actifs de la Russie

Alors que de nombreux champs pétroliers ont diminué dans les régions d’approvisionnement historiques du groupe français, la Russie est devenu le fournisseur principal de Total, qui détient 24% de ses réserves prouvées en Russie, « d'où provient 17% de sa production combinée de liquide et de gaz », l’équivalent de 478.000 barils/jours.

Après les firmes britanniques Shell et BP, l’italien Eni et le norvégien Equinor, le géant américain Exxon a annoncé mardi 1er mars 2022 se retirer de son dernier grand projet en Russie et ne plus investir dans le pays. A l’inverse de ses confrères, la major pétrolière TotalEnergies a décidé de conserver ses actifs en Russie, bien qu’elle ait déclaré ne pas faire d’investissements supplémentaires. Pour cause, le géant français est « barils et champs gaziers » lié à l’Etat fédéral russe, une relation vieille de près de 100 ans qui fait aujourd’hui tâche d’huile sur la scène internationale.

Une longue histoire de fiançailles

Les dirigeants occidentaux cherchent le meilleur moyen de faire plier la Russie sans engager un conflit armé, et les sanctions économiques sont pour l’heure leurs meilleures armes. Les multinationales sont donc attentivement scrutées pour prendre part à « l’effort international ».

Dimanche 27 février, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le britannique BP a été le premier des grands groupes pétroliers européens à réagir en déclarant vouloir se désengager du pétrolier russe Rosnet, à travers la mise en vente des 19,75% de capital qu’il en détient, ce qui devrait occasionner une perte financière pouvant aller jusqu’à 25 milliards de dollars.

Dès le lendemain, le norvégien Equinor a suivi son exemple, en se désengageant lui aussi de Rosnet, auquel il est lié depuis 2012, dont l’ensemble de ses participations en Russie est estimée par le groupe à 1,2 milliard de dollars. La même journée, Shell a annoncé son retrait de ses coentreprises en Russie avec le géant gazier Gazprom.

Mardi 1er mars, c’était au tour d’ExxonMobil d’annoncer l’arrêt de ses activités en Russie. Le géant pétrolier américain gère depuis 1995 le projet Sakhalin-1, situé tout à l’est du pays, au nord du Japon, et en possède 30 %. TotalEnergies était pressé par le pouvoir français de se positionner, c’est ce que l’entreprise a fait dans un communiqué rendu public le 1er mars.

Stupeur pour l’exécutif : si la major pétrolière française a bien « condamné l’agression militaire de la Russie envers l’Ukraine qui a des conséquences tragiques pour les populations et menace l’Europe » et a déclaré ne plus faire d’investissements supplémentaires dans le pays, elle a tout de même décidé de maintenir l’ensemble de ses actifs en Russie.

Si cette décision a provoqué le courroux du ministre de l’Economie Bruno Le Maire, qui a affirmé qu’il allait « discuter avec TotalEnergies et Engie » (qui « prête » de l’argent au gazoduc Nord Stream 2, à hauteur de 990 millions d’euros, malgré la décision de l’Allemagne), elle était pourtant prévisible.

En 2014 déjà, lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, Christophe de Margerie, le précédent PDG de Total, était le seul patron occidental à dénoncer les sanctions économiques occidentales prises contre la Russie. Ce grand patron du CAC40 était réputé pour être un « vrai ami » de la Russie et de Vladimir Poutine.

Ironie du sort, c’est à Moscou qu’il a trouvé la mort en octobre 2014, quelques mois après l’annexion de la Crimée, lors d’un accident d’avion aux circonstances troubles, dont l’enquête a conclu à la responsabilité des employés de l’aéroport pour négligence. La majeure partie d’entre eux ont fini par être amnistiés par le Kremlin, dont Christophe de Margerie était un interlocuteur privilégié.

« Dans l’énergie tous les sujets sont liés à la politique. Ça s’appelle la sécurité d’approvisionnement », expliquait M. de Margerie, reconnaissant « des rendez-vous ponctuels » avec le Kremlin, selon le journal LeMonde.

Et pour son successeur, Patrick Pouyanné, actuel PDG de TotalEnergies, c’est bien de sécuriser les approvisionnements de la major pétrolière dont il s’agit aujourd’hui étant donné la dépendance actuelle du groupe aux gisements pétroliers et gaziers russes.

L’interdépendance entre pétrolier français et producteur russe

L’histoire entre la Russie et le pétrolier français remonte à près d’un siècle, lorsque la société belge Petrofina a commencé à importer des hydrocarbures russes en 1928, pour être absorbée par TotalÉnergies en 1999.

Mais officiellement, c’est en 1991, date de la chute de l’URSS, que le groupe français pose un premier jalon concret en Russie à travers le joint-venture Fransmo, pour Franco Sovietic Marine Oil, permettant le raffinage et la distribution de pétrole offshore en Russie.

Depuis, la coopération s’est renforcée au fur et à mesure d’acquisitions et d’investissements en Russie par le groupe français qui a 240 salariés sur place. A tel point que TotalEnergies est, avec la Société Générale, Renault, Accor et Auchan, l’une des premières entreprises françaises à Moscou, particulièrement appréciées par le Kremlin. Patrick Pouyanné était ainsi le chef d’orchestre lors de l’annuelle rencontre du Conseil économique de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) France Russie avec Vladimir Poutine, en 2019.

Le journaliste Mickaël Correia est l’auteur du livre « Criminels Climatiques », revenant longuement sur le cas de Total

Alors que de nombreux champs pétroliers ont diminué dans les régions d’approvisionnement historiques du groupe français, la Russie est devenu le fournisseur principal de Total, qui détient 24% de ses réserves prouvées en Russie, « d’où provient 17% de sa production combinée de liquide et de gaz », l’équivalent de 478.000 barils/jours.

Lire aussi : Pic pétrolier : il ne reste plus que 9 ans avant que le pétrole ne devienne un bien de luxe

Signe que le groupe est bien loin d’amorcer une véritable transition énergétique, TotalEnergies a profité de la fonte des glaces pour participer à un projet démesuré en 2013 : Yamal, une usine de de gaz naturel liquéfié (GNL) situé à 600 kilomètres au nord du cercle polaire, dont la construction a coûté 27 milliards de dollars, et exigé la création d’un aéroport, à un endroit du globe où les températures descendent parfois en-dessous de 50°C.

Rebelote en 2018, lorsque TotalEnergies a investi avec son partenaire Novatek dans le projet Arctic LNG2, dont le chantier devrait débuter l’an prochain. Ce site industriel aura une capacité de production de 19,8 millions de tonnes par an (Mtpa), ce qui pourrait pousser la part de la Russie dans le groupe français à hauteur de 25% !

Le gouvernement français, qui souhaitait soutenir Arctic LNG2 sous forme de garanties à l’export versées par la banque publique d’investissement Bpifrance, a d’ailleurs renoncé face aux nombreuses mobilisations des associations de défense de l’environnement qui dénoncent l’impact climaticide et social du projet.

Empêtré dans ces projets pétrogaziers russes, TotalEnergies ne dispose donc pas d’une grande marge de manœuvre. Les conflits armés n’ont d’ailleurs pas souvent rebuté l’entreprise française en quête perpétuelle de nouvelles ressources, ainsi que le prouve les scandales qui émaillent son projet Eacop en Ouganda et Tanzanie.

De son côté, le gouvernement russe a annoncé mardi qu’il préparait un décret pour enrayer la fuite des capitaux étrangers, en imposant des restrictions temporaires à la sortie des investisseurs étrangers des actifs russes.

Crédit photo couv : 18.04.2019 Russian President Vladimir Putin shakes hands with Total CEO Patrick Pouyanne during a meeting with representatives of French business community at the Kremlin in Moscow, Russia. – Vladimir Astapkovich / Sputnik / Sputnik via AFP

Lire aussi : Des méga-projets pétroliers de Total menacent plus de 16 000 familles et une réserve naturelle unique en Afrique

Laurie Debove

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