Face aux urgences écologiques et sociales, le collectif « Plus jamais ça », regroupant une trentaine d’organisations, propose un véritable « plan de rupture » à rebours des actes du gouvernement actuel. Parmi les 36 mesures proposées, « la semaine de travail à 32 heures sans perte de salaire ni flexibilisation » mais aussi l’abrogation des lois liberticides et de la réforme de l’assurance chômage. Le collectif souhaite aussi lancer un plan d’urgence pour l’hôpital public basé sur le recrutement de 100 000 personnes ainsi que promulguer de nouveaux droits pour les femmes, les immigrés, l’accès au logement, à l’emploi stable et une alimentation saine. Le moyen de levier qu’ils veulent utiliser : une nouvelle politique fiscale et monétaire permettant de mieux distribuer les richesses. Voici leur tribune.
Plus jamais ça
Le 18 janvier 2020, dans un monde frappé de stupeur et d’immobilisme par la pandémie, 8 organisations nationales, syndicales et associatives, publiaient une tribune intitulée « Plus jamais ça » pour appeler à la reconstruction d’un monde de justice sociale et environnementale. Rapidement rejointes par une vingtaine d’autres organisations et associations, la dynamique collective « Plus jamais ça » a publié, le 26 mai 2020, un « plan de sortie de crise » composé de 34 mesures d’urgence soumises au débat public.
12 mois plus tard, plus d’une trentaine de collectifs locaux Plus jamais ça se sont librement organisés sur l’ensemble du territoire. Dans les conditions que nous avons tou·tes connues d’entraves de nos libertés fondamentales, ils ont organisé des luttes exemplaires pour faire la démonstration qu’un autre monde est non seulement urgent mais surtout possible : mobilisation pour le rétablissement des trains Perpignan-Rungis, contre l’installation d’entrepôts Amazon, pour l’accès de tou·tes à une alimentation saine…
Au niveau national, nous nous sommes uni·es pour faire entendre la voix de salarié·es qui, comme à Chapelle Darblay ou à Grandpuits, ont élaboré des projets innovants, économiquement responsables et répondant à l’urgence sociale et environnementale.
Aujourd’hui, nous revendiquons un véritable plan de rupture.
Parce que l’heure n’est plus à sortir de la crise mais à rompre franchement avec tout ce qui l’a nourri et la maintient vivace : le capitalisme effréné qui détruit les emplois et les ressources naturelles, qui accentue les inégalités sociales et laisse chaque jour davantage de nos concitoyen·nes sur le bord du chemin.
Parce qu’il est urgent de rompre avec le dogme de la résilience institué par le président Macron qui promeut l’individualisme et l’adaptation quand, plus que jamais, il faut stimuler le collectif, la solidarité et nos capacités à transformer ce qui est.
La loi « climat et résilience » fait d’ailleurs la part belle au monde d’avant qui demeure le monde d’aujourd’hui et sera immanquablement celui de demain si nous ne réagissons pas.
Cette année et demie de confinement a bouleversé et détérioré nos conditions de vie et de travail, en premier lieu pour les plus précaires. La jeunesse n’a jamais autant été délaissée et si peu considérée. En attisant les inégalités et en confortant l’isolement, la précarisation, le fatalisme et l’individualisme, le président Macron attise les ressorts de la violence et des discriminations. Ce plan rompt précisément avec cette idéologie dévastatrice.
Un plan de rupture
Ainsi, ce plan de rupture est le résultat de nos échanges, jamais conquis d’avance, souvent ardus, toujours exigeants, avec l’ensemble des collectifs locaux et des organisations nationales. Nous avons refusé la facilité qui aurait consisté à compiler l’ensemble des propositions de chacune de nos organisations.
A la veille de nouvelles échéances électorales déterminantes, ces propositions ont vocation à alimenter les débats, nos mobilisations et à proposer des solutions réalistes qui répondent aux urgences tant sociales qu’environnementales.
L’alliance inédite de nos organisations nationales fait la démonstration concrète que la crise exige un arc de forces uni, seul capable de poser les mesures qui doivent être prises pour bâtir un monde humaniste, solidaire et digne.
Depuis un an et demi, le monde est confronté à une situation sans précédent : la crise sanitaire a entraîné la déflagration des crises, sociale, économique et environnementale. Mais c’est précisément dans les périodes de choc et de crise que l’histoire commande de choisir, de décider, d’agir afin d’infléchir l’ordre des choses et d’en créer un nouveau.
En France, le gouvernement se saisit de l’état de crise pour accélérer son vaste plan de démantèlement de l’État social avec son corollaire d’inégalités, de casse des solidarités et d’atteintes à l’environnement. Mais nous sommes nombreux·ses à aspirer à un autre monde, où justice sociale rime avec préservation de l’environnement. C’est sur ces dynamiques que nous comptons bâtir un autre monde.
Depuis plus d’un an, nos organisations syndicales et associatives convergent, convaincues que les réponses aux urgences sociales et environnementales doivent être construites ensemble pour, enfin, véritablement changer de système.
Aujourd’hui, il est urgent de dépasser l’effet de sidération paralysant que génère le traumatisme de la crise sanitaire entretenu par la menace toujours imminente d’un nouveau couvre-feu, d’un nouveau confinement… Il s’agit d’amener la population à convertir sa juste colère ou son légitime désarroi en un acte politique.
Aussi, à quelques mois d’une élection majeure, nous ne nous résignons pas à ce que les forces réactionnaires réduisent les termes des débats publics à leurs sujets de prédilection tels que l’insécurité ou l’immigration.
Tel est le sens des propositions que nous versons à la discussion. Ce plan de rupture est le point de départ à la construction d’une politique concrète en termes de justice sociale et environnementale. Les mesures présentées poursuivent deux objectifs.
D’abord, signifier que nous ne nous contenterons plus des grands mots, des déclarations d’intention, des formulations creuses. Nous voulons démontrer, à travers l’articulation de mesures de court et de long terme, le pragmatisme et l’ancrage dans le réel de notre démarche.
Ensuite, notre but est de faire la démonstration qu’il y a des alternatives au capitalisme néolibéral, productiviste et autoritaire, et que ces alternatives sont crédibles, désirables et réalisables, à condition que la volonté politique et les moyens financiers soient enfin mis au service de ces objectifs de transformation sociale et de préservation de l’environnement, au lieu de les soumettre aux pressions et désidératas des lobbies.
Du reste, un grand nombre de ces alternatives relèvent d’un « déjà-là » qu’il s’agit simplement de conforter, de rénover et de généraliser, que ce soient les grands systèmes collectifs mis en place dans le cadre de l’État social (protection sociale, services publics, etc.) ou les alternatives concrètes qui sont souvent autant de possibles si leur généralisation est envisagée.
L’heure est aux urgences sanitaires et sociales et à la satisfaction des besoins fondamentaux de la population, dans le respect des droits. Nos organisations portent ensemble la nécessité de lancer un vaste plan de renforcement et de développement des services publics.
L’École, la Sécurité sociale et tous les services publics doivent répondre aux besoins sociaux et écologiques des citoyens et de leurs familles sur l’ensemble du territoire, en lien avec les services et l’industrie, et non aux intérêts de l’oligarchie capitaliste. Ils doivent favoriser un renouveau démocratique de toutes les parties prenantes (personnels, élus, usagers…) avec pour but d’appliquer chacun des droits fondamentaux et chacun des principes constitutifs de la République.
L’aménagement des territoires, déterminant pour la qualité de vie et de travail, doit être défini en lien avec les services publics de la transition écologique. C’est ainsi qu’on pourra répondre aux exigences démocratiques sociales, économiques et écologiques du 21e siècle. Tel est le sens des mesures des premières et deuxième parties.
Cette crise ne doit pas être l’occasion de nouveaux plans d’austérité et de nouvelles régressions sociales. Si l’on souhaite partager les richesses et financer la transition écologique, alors il faut refonder le système bancaire et financier ainsi que la fiscalité. C’est l’objet de la troisième partie.
Face aux plans de relance du gouvernement, qui ne font que conforter un système profondément insoutenable, nous en appelons dans la quatrième partie à des mesures courageuses, permettant une reconversion sociale et écologique de la production agricole, industrielle et de services, pour à la fois créer des centaines de milliers d’emplois de qualité, améliorer les conditions de travail de tou·tes et cesser les activités les plus néfastes pour les populations et la planète.
Cette reconversion doit être aussi l’occasion d’une relocalisation des activités s’accompagnant de mesures fortes de solidarité européenne et internationale.
Enfin, il faut assurer l’accès de toutes et tous à une alimentation suffisante et de qualité en s’appuyant sur des paysan·nes plus nombreux, en relocalisant et en diversifiant les systèmes alimentaires en lien avec les ressources locales. Telle est l’ambition de la cinquième partie du plan.
Débattons partout, mobilisons-nous sur le terrain pour changer le système et exiger des transformations radicales ! Rompre avec ce monde qui a rendu cette crise aussi violente et destructrice est l’affaire de toutes et tous. Le monde de demain sera celui que nous serons capables de bâtir ensemble.
OBJECTIF 1 : GARANTIR À TOUTES ET TOUS LES MESURES DE PROTECTION ET DE PRÉVENTION
Mesure 1 : Lever les brevets sur les vaccins Covid
Mesure 2 : Un plan d’urgence pour l’hôpital public et contre les déserts médicaux
Mesure 3 : Un plan contre les violences faites aux femmes
Mesure 4 : Garantir la santé et la sécurité individuelle et collective au monde du travail
OBJECTIF 2 : ASSURER LA SÉCURITÉ SANITAIRE EN FAISANT PROGRESSER LA DEMOCRATIE
Mesure 5 : Abroger les lois liberticides
Mesure 6 : Pour les droits des femmes et contre le sexisme
Mesure 7 : Pour les droits des étranger·ères
OBJECTIF 3 : DU TRAVAIL POUR TOUTES ET TOUS
Mesure 8 : Augmenter les salaires
Mesure 9 : Revaloriser les droits pour les intermittent·es, les privé·es d’emploi et les travailleur·euses en contrat précaire
Mesure 10 : Revaloriser les salaires et les carrières des femmes
Mesure 11 : Réduire et partager le temps de travail
Mesure 12 : Interdire les licenciements dans les entreprises qui font du profit et qui bénéficient d’aides publiques exceptionnelles au nom de la crise sanitaire
Mesure 13 : Mettre en œuvre un plan de politique publique d’anticipation, de soutien et de contrôle de la transition écologique
Mesure 14 : Créer un nouveau statut du salarié·e
OBJECTIF 4 : GARANTIR LA SATISFACTION DES BESOINS FONDAMENTAUX
Mesure 15 : Pour un droit garanti au revenu et à la protection sociale pour toutes et tous
Mesure 16 : Pour l’accès et le droit au logement de qualité pour toutes et tous
Mesure 17 : Pour le déploiement des services publics de qualité sur l’ensemble du territoire
OBJECTIF 5 : POUR UNE RÉELLE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE
Mesure 18 : Engager des annulations de dettes des pays les plus pauvres
Mesure 19 : Pour un fonds d’aides internationales
Mesure 20 : Mutualiser les savoirs et les brevets pour garantir l’accès mondial à l’innovation et la coopération sur les biens médicaux
OBJECTIF 6 : REPRENDRE LE CONTRÔLE SUR LE MONDE DE LA FINANCE ET LA DETTE PUBLIQUE
Mesure 21 : Pour une politique monétaire et prudentielle au service des besoins sociaux et environnementaux
Mesure 22 : Réguler les activités bancaires
OBJECTIF 7 : PLUS DE JUSTICE FISCALE
Mesure 23 : Pour une imposition plus juste et progressive des revenus et du patrimoine
Mesure 24 : Lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscale
Mesure 25 : Renforcer la taxation des transactions financières
Mesure 26 : Supprimer les niches fiscales inutiles et les exonérations nocives pour la protection sociale, le climat, la biodiversité et la lutte contre les inégalités
OBJECTIF 8 : ACCOMPAGNER DURABLEMENT LA RECONVERSION
Mesure 27 : Soumettre l’Etat et les entreprises à l’Accord de Paris et interdire les dividendes climaticides
Mesure 28 : Cesser les soutiens publics aux acteurs polluants, destructeurs de la biodiversité et de l’emploi
Mesure 29 : Accompagner la reconversion via le renforcement des droits des travailleuses et travailleurs, des systèmes de formation et d’enseignement-recherche rénovés
OBJECTIF 9 : TRANSFORMER NOS MODES DE PRODUCTION, DE MOBILITÉS ET DE CONSOMMATION
Mesure 30 : Stopper toutes les négociations et finalisations d’accords de commerce et d’investissement
Mesure 31 : Repenser les mobilités
Mesure 32 : Une loi pour bâtir ensemble et démocratiquement une économie de sobriété
OBJECTIF 10 : UN PLAN DE TRANSITION SOCIALE ET ÉCOLOGIQUE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION
Mesure 33 : Construire une véritable démocratie agricole et alimentaire
Mesure 34 : Valoriser et créer des emplois dans l’agriculture
Mesure 35 : Garantir à toutes et tous un égal accès à une alimentation saine et de qualité
Mesure 36 : Instaurer la souveraineté alimentaire pour tous les peuples