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Landes : des habitants seuls face à un méga-projet de ligne Très Haute Tension

« Un travail de fond a été engagé par le Collectif pour dénoncer tous azimuts les contradictions affichées par RTE dans de nombreux domaines. Dire blanc à Lille, gris à Perpignan et noir dans les Landes est inadmissible aujourd’hui et a conduit à une perte totale de confiance dans le discours de RTE. D’où l’extrême vigilance de la dizaine de passionnés qui s’exprime au nom du Collectif. Nous avons accepté le principe d’un dire d’expert sur le passage sous le Gouf (nous en attendons le retour d’un jour à l’autre, avec notre expert géophysicien à la manoeuvre), mais refusé catégoriquement une controverse suggérée par RTE sur les champs électromagnétiques (CEM). Le Collectif affirme qu’une seule disposition permettrait de rassurer les populations sur "l’innocuité" des CEM à proximité de tels ouvrages : c’est une étude épidémiologique effectuée sur un échantillon significatif d’animaux puis d’humains. À défaut de disposer d’une telle étude, une seule voie : le respect du principe de précaution. D’autant plus qu'il y a suffisamment de possibilités à l’est de la zone urbanisée dans une logique forêt-autoroute-forêt pour appliquer ce postulat et respecter ainsi humain et environnement. “Quoi qu’il en coûte", à savoir sans doute quelques kilomètres de câble de plus... » exprime ainsi le collectif d’un seul bloc

L’Etat français, l’Espagne et l’Union européenne lancent un projet électrique titanesque jamais réalisé auparavant. Inelfe est un projet d’interconnexion et d’échange électrique, long de 400 Km et d’une capacité de 5000 mégaWatts, soit la puissance de deux centrales nucléaires. Il prévoit de relier la France et l’Espagne via une ligne Très Haute Tension (THT) de 400 000 Volts entre Bordeaux et Bilbao. D’un coût d’1,7 milliards d’euros, le projet bénéficie d’une subvention européenne de 578 millions d’euros dont le montant devait lui permettre de franchir le grand canyon maritime au large de Capbreton. Face à des difficultés techniques, la société RTE en charge du projet a décidé d’abandonner cette option pour un passage terrestre en plein milieu des habitations et devant des écoles. En découvrant ce nouveau tracé, les habitants ont lancé une énorme fronde pour que le réseau n’impacte ni les populations, ni la faune et la flore. Leur exigence : respecter le principe de précaution pour limiter les risques sanitaires et environnementaux. Alors qu’aucune étude n’existe sur les conséquences pour la santé d’un tel projet en courant continu, ils le clament haut et fort : ils refusent d’être des cobayes.

Un projet titanesque

L’interconnexion électrique France-Espagne par le Golfe de Gascogne est un projet colossal, jamais réalisé auparavant dans le monde, reliant Cubnezais, en Gironde, à Gatixa, au nord de Bilbao via une ligne Très Haute Tension (THT) de 400 000 Volts et longue de 400km.

Ce projet est porté par Inelfe, une société mixte entre REE (Réseau Electrique d’Espagne) et le français RTE (Réseau Transport d’Electricité), afin de doubler les capacités d’échange d’électricité entre les deux pays pour alimenter jusqu’à 5 millions de foyers.

Initialement pensé pour se déployer uniquement au fond des océans, les ingénieurs du projet se seraient heurtés à des difficultés techniques dans un canyon sous-marin méconnu mais gigantesque : le gouf de Capbreton. En cause : l’instabilité du sol relevée par des études mandatées par Inelfe, ayant trouvé des glissements de terrain importants.

En découvrant le nouveau « Fuseau de Moindre Impact (FMI) », stupeur parmi les habitants : Inelfe prévoit de faire passer le câble, transportant l’équivalent de deux centrales nucléaires, en plein milieu des habitations, devant deux écoles et une crèche, dans les villes de Seignosse, Hossegor et Capbreton. Un collectif citoyen s’est alors constitué pour s’opposer au projet.

Les raisons de leurs inquiétudes : les risques sanitaires tout d’abord, dont les études sérieuses manquent encore pour mieux appréhender les conséquences d’une telle exposition à des champs électromagnétiques (CEM), mais aussi l’ampleur des travaux et leurs conséquences sur le quotidien.

Surtout, les habitants se sont sentis lésés. Sous prétexte de pandémie, trop peu d’entre eux ont été réellement informés de ce qui se tramait dans leur ville. Ils sont donc très nombreux à avoir eu connaissance du projet par un citoyen anonyme ayant laissé des tracts sur les pare-brise, ou via les réseaux sociaux.

Un manque de transparence dénoncé par les habitants

900 foyers, soit plus de 2500 habitants, se sont alors réunis au sein d’un collectif citoyen afin de réclamer une nouvelle concertation, d’obtenir des réponses à leurs questions et surtout l’abandon du tracé terrestre près des habitations.

Une pétition ayant recueilli plus de 28 000 signatures leur a permis d’obtenir l’attention des élus des communes concernées, qui ont fini par se positionner contre le projet.

Cette fronde citoyenne a obtenu la commande d’un dire d’expert par la Commission du débat public/CNDP à Mme Sara Lafuerza, de l’Institut des Sciences de la Terre de Paris (Responsable M1 Sciences de la Terre de Polytech Sorbonne).

« Sa mission est de porter un regard indépendant sur les différentes études réalisées pour la traversée du Gouf à la base de la décision par INELFE d’abandonner le fuseau maritime initial au droit de Capbreton. Le livrable de cette mission sera rendu public. » explique RTE pour La Relève et La Peste

Cette première avancée est réjouissante pour les citoyens du collectif qui dénoncent un manque de clarté et de transparence sur les informations apportées par RTE.

En effet, les différentes étapes du processus de concertation ont été houleuses : des micros ont même été coupés via Zoom lorsque les habitants posaient des questions précises. De surcroît, les données présentées aux habitants inquiets ont régulièrement évolué : d’abord sur la capacité de puissance, passée de 2000 à 5000 MWatts, mais surtout sur les champs électromagnétiques (CEM).

Initialement présentés comme inexistants, RTE a fini par admettre au gré des échanges que le champ magnétique généré par leur ouvrage pourrait aller jusqu’à 150 microteslas (µT), champ magnétique terrestre inclus. Une information qui nous a été confirmée par RTE.

Et c’est là que le bât blesse. Pour RTE, cet ouvrage en courant continu ne devrait représenter aucun problème de santé, puisqu’il ne s’agit pas de courant alternatif. RTE s’appuie sur une ancienne recommandation de l’ICNIRP, datant de 2009.

Mais face au manque de transparence et aux informations contradictoires d’un projet électrique à l’autre, les citoyens, eux, n’ont plus confiance. Surtout lorsqu’ils ont entendu lors des échanges, de la bouche d’un expert de RTE, que les expositions aux ondes allaient conduire à abaisser le niveau de réglage des pacemakers.

« Un travail de fond a été engagé par le Collectif pour dénoncer tous azimuts les contradictions affichées par RTE dans de nombreux domaines. Dire blanc à Lille, gris à Perpignan et noir dans les Landes est inadmissible aujourd’hui et a conduit à une perte totale de confiance dans le discours de RTE. D’où l’extrême vigilance de la dizaine de passionnés qui s’exprime au nom du Collectif. Nous avons accepté le principe d’un dire d’expert sur le passage sous le Gouf (nous en attendons le retour d’un jour à l’autre, avec notre expert géophysicien à la manoeuvre), mais refusé catégoriquement une controverse suggérée par RTE sur les champs électromagnétiques (CEM). Le Collectif affirme qu’une seule disposition permettrait de rassurer les populations sur « l’innocuité » des CEM à proximité de tels ouvrages : c’est une étude épidémiologique effectuée sur un échantillon significatif d’animaux puis d’humains. À défaut de disposer d’une telle étude, une seule voie : le respect du principe de précaution. D’autant plus qu’il y a suffisamment de possibilités à l’est de la zone urbanisée dans une logique forêt-autoroute-forêt pour appliquer ce postulat et respecter ainsi humain et environnement. “Quoi qu’il en coûte », à savoir sans doute quelques kilomètres de câble de plus… » exprime ainsi le collectif d’un seul bloc

L’inconnu technique et ses risques sanitaires est ainsi la raison principale pour laquelle de nombreux habitants, interrogés par La Relève et La Peste, se sont joints à la mobilisation. Nombre d’entre eux ont témoigné de pas avoir pu échanger sereinement avec RTE lors du processus de consultation.

Lire aussi : Les électro-sensibles et chimico-sensibles sont encore et toujours les oubliés du plan santé du gouvernement

Un grand projet inutile et imposé

Leur détermination à faire entendre leurs revendications a permis aux habitants d’obtenir la promesse d’un nouveau tracé, hors habitations, grâce aux soutiens des maires. Mais pour le collectif, le combat commence tout juste.

 « C’est déjà une véritable victoire que d’avoir obtenu la promesse d’un nouveau tracé, mais nous restons vigilants. On l’a subi lors des soi-disant concertations qui ressemblent plus à des opérations de communication, ils sont champions pour noyer le poisson ! Et quand le rouleau compresseur qu’est l’État français a un projet en tête, nous savons que nous pourrons difficilement remettre le fil électrique à l’eau. » s’inquiète un membre du collectif

Les associations environnementales locales suivent également le projet avec attention. Pour elles, cette interconnexion électrique a tout d’un Grand Projet Inutile et Imposé ainsi que l’explique la CADE dans un argumentaire détaillé.

« Ces interconnexions sont inutiles, hors de prix et nuisibles ! Les États français et espagnol ont déjà une capacité électrique « excédentaire ». L’interconnexion actuelle reste « largement suffisante et récemment accrue ». Les compagnies électriques privées espagnoles achètent de l’électricité d’origine nucléaire à la France, le prix étant bien plus bas qu’en Espagne. En achetant de l’électricité (82 % du temps) et en la revendant plus cher en Espagne, les opérateurs espagnols font une marge importante aux dépens du consommateur. C’est de la pure spéculation. » regrettent-ils.

Crédit : Collectif Stop THT40

Interrogé sur la part en pourcentage d’ENR dans le mix énergétique qui sera transporté dans ce tuyau, RTE n’a pas été en mesure de répondre avec des chiffres concrets et précis, aussi bien sur l’offre actuelle que sur l’estimation des besoins futurs. Pour cause, les entreprises mandatées pour ce projet sont des distributeurs, et non des producteurs d’électricité.

« D’un point de vue environnemental, cette interconnexion va permettre de favoriser l’intégration d’énergies renouvelables dans le mix électrique européen et d’éviter d’ici à 2030 l’émission de 2,3 millions de tonnes de CO2 chaque année en moyenne sur les scénarios « Sustainable transition » et « distributed generation » du Ten Years Development Plan d’ENTSO-E (Project Sheet (entsoe.eu). De plus, le projet permettra d’éviter de gaspiller 4,3 millions de MWh d’énergies renouvelables par an. » ont-ils précisé

Dans son Bilan Prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France, rendu public en mars 2021, RTE a fait un diagnostic sur les perspectives d’évolution du système électrique de 2021 à 2030. Les perspectives d’évolution de la consommation d’électricité ont été révisées à la hausse par rapport aux prévisions de 2017.

« Pour autant, la croissance de la consommation d’électricité ne devrait pas mécaniquement entrainer celle de la « pointe de consommation », qui est en diminution depuis quelques années grâce aux progrès de l’efficacité énergétique. A l’horizon 2030 la consommation annuelle devrait augmenter de 5 % pour atteindre 500 TWh, mais la pointe de consommation non flexible devrait baisser de 3 GW. » résume RTE pour La Relève et La Peste

De l’aveu-même de RTE, on peut donc s’interroger sur la réelle utilité de ce projet. De l’autre côté des Pyrénées, les espagnols ont également créé une mobilisation pour protester contre la façon dont est construite ce projet. Ils dénoncent la création d’un « grand marché de l’énergie » conçu pour faire plaisir aux industriels, plutôt que pour répondre aux réels besoins de la population.

Crédit : PERILL-PELIGRO: ALTA TENSIÓN-ALTA TENSIÓ

Les inconnues des conséquences écologiques d’un tracé terrestre

Dans les Landes, RTE a précisé que l’étude d’impact environnemental du projet terrestre « n’est pas terminée au stade de la concertation préalable où en est le projet à ce jour », faute d’un tracé. Les demandes d’autorisation devraient être déposées auprès des services instructeurs de l’état d’ici fin 2021 et l’enquête publique se tenir courant 2022.

« Effectivement, une étude d’impact environnemental nécessite une durée d’étude importante. Le contournement terrestre de Capbreton ne représente que 5 % du linéaire de notre projet. Nous devions déposer nos demandes d’autorisation en juin 2019 et notre étude d’impact était finalisée à cette date. Il nous reste donc à la modifier pour intégrer le contournement terrestre de Capbreton, une fois le fuseau pour ce dernier retenu par le ministère. » précise RTE

Les associations environnementales locales, qui suivent le dossier depuis octobre 2017, sont particulièrement vigilantes aux conséquences du tracé terrestre afin qu’il ne passe pas par des zones naturelles protégées.

« Ce qui pose problème au fuseau proposé actuel, c’est la traversée des Barthes, une zone humide qui a pour objet de réguler les crues. Si elles font l’objet d’empiètement par le câble, cela va perturber la zone et provoquer de fortes inondations. Le passage dans le flanc Est de Capbreton et d’Hossegor est également problématique. Ce sont des espaces naturels protégés depuis septembre 1969, grâce à de nombreux contentieux qu’on a mené et gagné. Ensuite, ils ont proposé de passer à l’Est en traversant les pistes forestières. Nous, on réclame que ça passe sous l’autoroute et qu’il n’y ait aucun défrichement de la forêt. » explique José Manarillo, vice-président de la Sepanso

Dans les Landes, la révélation du prochain tracé risque donc d’être polémique, si une solution respectueuse des populations, de la faune et de la flore n’est pas trouvée. La confiance étant désormais complètement rompue entre les citoyens et l’État, ce dernier va donc devoir faire preuve de bonne volonté et d’honnêteté.

Un vœu que nombre d’habitants, improvisés enquêteurs face aux informations trop souvent contradictoires qui leur ont été données, considèrent désormais comme utopiste.

Pour aller plus loin : Cancer : le gouvernement ignore les risques liés à l’environnement dans sa stratégie de lutte 2021-2030

Laurie Debove

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