De toutes les mesures sanitaires et environnementales à mettre en œuvre, la régulation de l’usage de la voiture est une de celles qui provoque le plus de tensions tant la population en est devenue dépendante. En 2018, la décision du gouvernement d’abaisser la vitesse maximale autorisée de 90 km/h à 80 km/h en rase campagne avait ainsi provoqué une vive contestation de la part des usagers. Passé inaperçu durant l’année 2020, un rapport d’évaluation de cette mesure vient tordre le coup aux idées reçues. Non seulement, la baisse de vitesse à 80km/h a épargné plus de 300 vies, mais elle a aussi permis d’économiser 500 millions de litres de carburant et plus d’1 million de tonnes de CO2 par an ! Un bilan intéressant sur une mesure facile à mettre en œuvre pour une façon plus sobre et pragmatique de se déplacer.
Une baisse très significative du nombre de tués sur le réseau concerné
La mesure d’abaissement de la vitesse maximale autorisée de 90 km/h à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles de rase campagne dépourvues de séparateur central en France métropolitaine a été mise en œuvre le 1er juillet 2018. Son objectif principal était de faire baisser le nombre de tués et d’accidents corporels sur les routes concernées par la mesure.
Et c’est un objectif réussi ! Selon les conclusions rendues par le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), qui avait été chargé par la Délégation Interministérielle à la Sécurité Routière d’en dresser une évaluation approfondie en juillet 2020, il y a eu une baisse 12% du nombre de tués sur le réseau considéré par rapport au reste du réseau routier français (avec une estimation de l’erreur de 3,6 %).
Concrètement, cela correspond à 331 vies épargnées sur les 18 mois après la mise en œuvre de la mesure, de juillet 2018 à décembre 2019.
Ce chiffre monte jusqu’à 349 vies épargnées quand on en prend en compte les mois de janvier et février 2020. A l’inverse, sur le reste du réseau, il y a eu une hausse de 42 personnes tuées durant l’année 2019.
En ce qui concerne les personnes blessées dans des accidents, leur nombre reste sensiblement similaire mais ce qui change positivement, c’est la baisse des dégâts : la gravité des accidents est ainsi bien moindre à 80km/h. Un résultat en accord avec les études scientifiques montrant que le mécanisme d’impact de la vitesse sur la sécurité routière est double : la vitesse joue un rôle dans le risque de survenue d’un accident et dans la gravité de l’accident (parmi les plus récents : Jurewicz et al., 2016 ; OECD, 2018 ; Castillo-Manzano et al., 2019 ; Elvik et al., 2019).
Le reste de l’année 2020 n’a pas été évalué en raison de son caractère « exceptionnel » avec le covid et les restrictions de déplacements.
Un bilan environnemental positif
Décortiquée par l’ingénieur en mobilités durables Mathieu Chassignet, cette évaluation vient tordre le coup à plusieurs idées reçues sur la baisse de vitesse maximale autorisée. Tout d’abord, les gens ne roulent plus aussi vite et ont bien réduit leur vitesse de croisière. Depuis la limitation à 80 km/h, la vitesse moyenne des véhicules légers a diminué de 3,5 km/h.
« La vitesse moyenne en ligne droite est passée de 87 km/h (juin 2018) à 83,5 km/h (juillet 2018 à décembre 2019). Il est intéressant de noter que tous les automobilistes ont diminué leur vitesse, y compris les plus rapides. La baisse des vitesses concerne l’ensemble de la distribution des vitesses des véhicules légers. Cependant, on voit que le mesure est encore loin d’être totalement respectée. 58% des conducteurs roulent à plus de 80 km/h, dont 23% à plus de 90 km/h. L’impact sur la sécurité routière serait sans doute plus important encore si la nouvelle limitation était mieux respectée. » analyse Mathieu Chassignet, ingénieur en mobilités durables
Mieux, alors que la plupart des personnes opposées à cette mesure avaient peur du temps supplémentaire nécessaire pour se déplacer, la perte de temps se situe seulement autour de 1 seconde par km. Ce résultat a été calculé à partir de données réelles de suivi GPS, l’outil TomTom Move Traffic stats, sur un panel de 154 itinéraires.
« Ceci correspond pour des trajets de 50 kilomètres à une perte de 50 secondes en semaine. C’est largement inférieur au temps perdu perçu par les usagers, qui ont tendance à surestimer le temps gagné lorsqu’ils roulent vite. En effet, lors des enquêtes réalisées en octobre 2019, les répondants déclaraient perdre plus de 2 minutes pour ce type de trajet. » explique le Cerema dans son évaluation
Enfin, la diminution de consommation de carburant est elle aussi assez impressionnante : la diminution de consommation est de 0,2L/100 km. Sur l’année, ce sont environ 500 millions de Litres de carburant économisés, soit un gain de pouvoir d’achat pour les français de plus de 600 millions €/an !
« Au passage, cela permet d’économiser plus d’1 million de tonnes de CO2 par an ! » ajoute Mathieu Chassignet
De la même façon, le Cerema a également enregistré une légère baisse des émissions de polluants atmosphériques, un répit bienvenu pour améliorer un peu la qualité de l’air, toujours aussi mortelle et problématique dans les zones urbaines en France.
Une ville sans voitures : une utopie ?
Imaginons un peu ce que permettrait cette mesure appliquée à d’autres tronçons routiers ! Ce serait une réussite substantielle quand on connaît la difficulté de la France à tenir réellement ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre pour respecter l’Accord de Paris.
Selon les sondages du Cerema, l’acceptabilité de la mesure a progressé petit à petit depuis sa mise en œuvre. La part des personnes favorables à la mesure est passée de 30 % en avril 2018 à 43 % en octobre 2019 et 48 % en juin 2020.
« C’est assez classique sur ce type de mesures : la population est contre au début mais cela s’estompe avec le temps. De manière plus générale, les politiques de limitation de la place de la voiture sont toujours critiquées au départ mais finissent pas être jugées positivement par les habitants. Un exemple est celui de Pontevedra, ville espagnole de 80 000 habitants. » analyse Mathieu Chassignet, ingénieur en mobilités durables
La municipalité espagnole de Pontevedra a tout fait pour réduire au maximum l’usage des véhicules motorisés : limite de vitesse, parkings gratuits aux abords de la ville, amende conséquente de 200€ pour les stationnements illégaux en ville.
Résultat : les émissions de dioxyde de carbone ont diminué de plus de 60% depuis 1990. Pontevedra est devenue l’une des rares villes qui respectent les limites de pollution fixées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Contrairement à ce qu’affirmait le sociologue Matthieu Grossetête dans une interview à Libération, la limitation à 80 km/h sur les routes départementales ne serait donc pas une « punition » pour les conducteurs modestes puisqu’ils économisent à la fois du carburant et de l’argent tout en bénéficiant d’un meilleur environnement, avec des impacts positifs directs pour leur santé.
Pour le Cerema, la pleine potentialité de ces mesures pourrait être atteinte s’il y avait un respect encore plus fort des limitations de vitesse. En décembre 2019, 58 % des conducteurs de véhicules légers circulaient encore au-dessus de 80 km/h dont 35 % entre 80 et 90 km/h.
« La littérature indique que ces excès de vitesse inférieurs à 10 km/h sont principalement perçus par les usagers comme peu dangereux et peu répréhensibles, alors qu’ils jouent un rôle important dans la mortalité routière française. » alerte l’organisme de recherche
« Finalement, les bénéfices du 80 km/h l’emportent-ils sur les inconvénients ? Autre formulation : est-ce bien la peine de nous faire perdre du temps pour épargner quelques centaines de vies ? La réponse est oui : le bilan socio-économique est positif et s’élève à 700 millions d’euros sur une année. » conclut Mathieu Chassignet