A Saint-Jean-de-Luz, la mobilisation prend de l’ampleur contre un projet de Surf Park qui devrait se construire à seulement… 1,5km de l’océan. Artificialisation de terres agricoles et naturelles, accaparement de foncier pour des intérêts privés, gabegie de ressources et d’énergie, de plus en plus de surfeurs se joignent aux habitants et agriculteurs opposés au projet pour dénoncer une marchandisation outrancière de leur sport qui va à l’encontre des valeurs de l’esprit du surf.
Un projet à vocation touristique et commerciale
Fin septembre, la salle était comble pour la réunion d’information des opposants au projet de Surf Park de Saint-Jean-de-Luz. Un objectif rempli avec un mot d’ordre donné : occuper le terrain médiatique pour faire plier les différents porteurs de projet, pas forcément accessibles au dialogue.
Wavegarden, leader mondial des vagues artificielles, et le groupe Boardriders, propriétaire de plusieurs marques dont Quicksilver et Billabong, qui appartient à un fond d’investissement international, avec le soutien de la Mairie de Saint-Jean-de-Luz, veulent en effet construire un « Surf Park » sur les hauteurs de Jalday à seulement 1.5km de l’océan.
« J’habite à Guéthary, juste à côté de Saint-Jean-de-Luz. Quand on m’en a parlé, j’ai pas pu dormir la première nuit… Comment peut-on penser faire un part d’attractions sur la côte basque qui est déjà saturée par le tourisme, avec une spéculation foncière énorme et des difficultés à se loger pour les locaux. On parle de réchauffement climatique tous les jours dans les médias, et là les porteurs de projet ne pensent qu’à faire un parc d’attractions de surf en face de l’océan ! Tout le monde est contre, mais pour empêcher le projet, il faut se bouger ! C’est pour cela que je me suis engagé dans ce combat. » raconte François Verdet, surfeur et co-fondateur du collectif Rame pour ta planète, qui rassemble des surfeurs engagés pour la protection de l’environnement, à La Relève et La Peste
L’alerte autour du projet de Surf Park a été lancée en 2019 par le groupe d’opposition politique Herri Berri qui a eu vent du projet en découvrant le dossier du nouveau plan local d’urbanisme (PLU). Le groupe a déposé une pétition, qui recense aujourd’hui près de 70 000 signatures (pour une ville de 14 000 habitants), pour dénoncer toutes les caractéristiques d’un « Grand Projet Inutile et Imposé » ou GP2I.
Parmi les griefs de la pétition : la consommation d’eau et d’énergie demandée par cette immense piscine à vagues (« l’équivalent de 10 piscines olympiques ») et les infrastructures restantes comme un hôtel de 100 chambres et des commerces, l’artificialisation de 7 hectares, « soit 10 terrains de foot/rugby, avec la destruction irréversible d’espaces naturelles et de terres agricoles », l’absence de concertation de la population Luzienne et sa « localisation absurde », si près de l’océan.
Contactée par La Relève et La Peste, la Mairie de Saint-Jean-de-Luz n’a voulu faire aucun commentaire sur le projet de Surf Park, face à la polémique de plus en plus vive. Pourtant, elle doit vendre 4 hectares de terrains communaux afin de permettre sa réalisation. La vente n’aurait pas encore été signée. L’espoir est donc permis pour les opposants au projet.
La question de la résilience alimentaire de Saint-Jean-de-Luz
Pour se faire, le projet ne pourra pas non plus compter sur le soutien financier de la Région Nouvelle Aquitaine, qui s’est définitivement et fermement prononcée contre le financement de tout projet de vague artificielle en juillet 2020, mettant un coup d’arrêt au projet de Surf Park de Castets, une ville des Landes située à 25 min de l’océan.
La conception de la vague basque est d’ailleurs très similaire à son homologue landaise, les deux projets étant portés par la société Wavegarden. A Saint-Jean-de-Luz, la destruction de terres agricoles pour une infrastructure touristique et privée pose de sérieuses questions éthiques, au moment où la crise sanitaire a révélé de façon criante l’importance de relocaliser la production alimentaire.
Parmi les surfeurs opposés au projet, certains sont d’ailleurs agriculteurs, comme Alatz Elcano, dont le terrain est situé à seulement 1km du lieu où le Surf Park veut se construire.
« Pour ma production et mon activité, ce n’est pas vraiment impactant. Mais à l’époque dans laquelle on vit, construire un surf park est un non-sens écologique ! Puis, en tant qu’agriculteurs il y a une opposition vive car cela artificialiserait un espace agricole et sauvage. Cela fait 5 ans que je suis maraîcher, et la principale problématique de tous les porteurs de projet, c’est l’accès au foncier. Avec la pression immobilière, très peu de terrains sont disponibles à Saint-Jean-de-Luz. Résultat, la demande pour des produits bio et locaux est bien plus forte que l’offre, et je refuse des débouchés de vente très souvent ! Pourtant, il y a un tas de projets naissants au Pays Basque, avec plein de jeunes porteurs de projets permacoles et agroécologiques. Soutenir un surf park dans ce cas-là, c’est encore plus contradictoire avec une façon pérenne de dynamiser le territoire. C’est un métier d’avenir et je suis persuadé que des maraîchers bio en petite surface comme je pratique, il en faudrait 3 ou 4 par village ! » détaille Alatz Elcano, fondateur de l’Amizolako Landa, le « Pré au-dessus de la petite rivière », pour La Relève et La Peste
Interrogée sur sa politique d’aide à l’installation agricole par La Relève et La Peste, la Mairie de Saint-Jean-de-Luz a apporté les précisions suivantes : « Saint-Jean-de-Luz, c’est aujourd’hui 34,8% de zones urbaines, 1,3% de zones à urbaniser et 63,9% de zones naturelles et agricoles. Le nouveau PLU compte des zones agricoles en augmentation de 18% et des surfaces boisées protégées en augmentation de 40% par rapport au précédent. L’objectif de la municipalité est de favoriser l’installation de nouvelles exploitations agricoles. Un travail est effectué avec la Safer pour permettre à de nouveaux entrepreneurs de s’installer. »
La marchandisation outrancière du surf
L’engouement de plus en plus fort autour du surf le rend victime de son succès, et en fait peu à peu un univers mercantile bien rodé où les champions et championnes de la catégorie sont parfois sponsorisé.e.s par des marques pourtant peu portées sur la protection de l’environnement.
Mais les arguments contre la réalisation du surf park de Saint-Jean-de-Luz sont tellement forts que de grands noms du monde du surf joignent peu à peu leur image à la lutte, comme la Surfeuse et waterwoman française Léa Brassy qui a contacté le collectif « Rame pour ta Planète » afin de leur proposer une lettre au titre évocateur : « Pas en mon nom ».
« Si on dit « oui mais », il y a aura toujours une exception et des amalgames. Alors que si on est lucides sur la gravité de la situation environnementale et la finitude des ressources de notre planète, on est obligés de s’opposer frontalement à un projet qui veut raser une forêt multi-centenaire et bétonner une prairie. Le surf devient un pur bien de consommation, ce n’est pas acceptable. On prétend faire ça pour le bien des surfeurs mais il s’agit avant tout d’intérêts économiques. A force d’instrumentaliser notre sport qui est aussi un style de vie, on va finir par en perdre l’essence de notre activité. » explique Léa Brassy pour La Relève et La Peste
Cette lettre a déjà été signée par plusieurs surfeurs et surfeuses renommés : Lee-Ann Curren, les frères Antoine et Edouard Delpero, Arthur Bourbon, Vincent Duvignac ou encore Justine Mauvin. Un site web a été lancé par le collectif « Rame pour ta Planète » afin d’inviter d’autres surfeurs à soutenir le message de liberté et d’amour de l’Océan de Léa Brassy à qui nous laisserons les mots de la fin, avec un extrait de sa lettre :
« Dans l’océan, grâce à ma passion, j’allais pouvoir m’exprimer en trajectoires, me confier en silences et apprendre que vivre est plus important qu’avoir. »
crédit photo couv : Le collectif Rame pour ta Planète s’est fait connaitre en 2019 en demandant des mesures de protection des océans à l’occasion du G7 à Biarritz. Ci-dessus, manifestation le 22 août 2019 dans le port de Guéthary. Photo : © Christelle Chambre