Il suffit parfois qu’un réalisateur s’intéresse à un sujet pour qu’il devienne d’actualité et touche des milliers de personnes. Le film de Gilles de Maistre « Mia et le lion blanc » dénonce un phénomène méconnu du grand public : la chasse aux lions élevés en enclos en Afrique du Sud. Depuis, on en parle, on s’offusque, à juste titre. Pourtant, cette pratique est loin d’être étrangère dans nos contrées.
Le lion : un business de la naissance à la mort
L’Afrique du Sud compte environ 3 000 lions à l’état sauvage. 8 000 individus seraient élevés dans le but d’être chassés. Ce business représente plus de 36 millions de dollars de chiffre d’affaire annuel. C’est dans les années 80 que la pratique du canned hunting est apparue, les chasseurs constatant que pour attraper le félin, il fallait plusieurs semaines de safari, sans garantie de tuer la bête.
Face à cette demande de riches touristes nord-américains, les sud-africains ont eu l’idée d’élever des lions destinés à la chasse. Entre 15 000 et 30 000$ selon la taille et la couleur de la crinière, nous sommes bien dans une offre commerciale où le client doit pouvoir trouver rapidement le produit qui lui convient, presque sur mesure.
Au début de sa vie, le lionceau est montré aux touristes qui payent pour le biberonner, puis pour le ballader. Jusqu’à ce qu’ayant atteint sa taille adulte, c’est aux chasseurs qu’il est vendu. Leurs os sont ensuite vendus en Chine, Laos Vietnam, Thaïlande, pour agrémenter des soupes, faire des bijoux ou encore participer à des expériences scientifiques. Ainsi le lion est un produit lucratif toute sa vie durant. Ce sont près de 200 établissements qui fleurissent ainsi en Afrique du Sud.
En novembre dernier, des députés sud africains ont demandé aux ministres d’examiner la question, en particulier le commerce illégal des os des lions. La fondation Kevin Richardson, du nom d’un zoologiste sud-africain, a participé au film, et demande l’arrêt de cette pratique, sous peine d’extinction de l’espèce, passée en près d’un siècle de 450 000 à 20 000 individus. Mais les protecteurs de la faune ne sont pas les seuls à s’élever contre cette pratique. De nombreux chasseurs considèrent qu’elle est contraire au véritable esprit de la chasse, où l’animal a une chance de s’enfuir, et où l’intérêt est bien plus de pister, d’attendre, de guetter, que de tuer.
Le lâché de gibier : une pratique courante chez nous
Sur nos terres, le lâché de gibier est courant. Pour ne pas menacer d’extinction certaines espèces, plutôt que de réduire leurs prélèvements, les chasseurs pratiquent le renforcement cynégétique, ou lâché de gibier élevés en milieu captif, dans le but de les chasser. En France, ce sont 30 millions d’animaux qui sont élevés pour être chassés – faisans, perdrix, colverts, lièvres, cerfs ou encore sangliers. Comme en Afrique du Sud, il arrive que ces lieux d’élevage allient le business de la mort à la pédagogie sur la faune sauvage ou même à du social. En tout, un animal chassé sur quatre provient de l’élevage.
Les animaux inadaptés à la vie sauvage sont les plus vulnérables, ayant perdu leurs mécanismes de défense ou ne les ayant jamais appris. Ainsi pour le lapin de garenne, 69 % des décès suite à l’introduction sont dus à la prédation. Les populations introduites, en se croisant aux natives, peuvent transmettre des gênes et des comportements nuisibles à la survie de l’espèce.
Entre 1970 et 1990, ce sont des dizaines de milliers de sangliers d’élevage croisés avec le porc qui ont été introduits pour la chasse. Une nouvelle espèce, idéale pour les chasseurs : taux de fécondité deux fois plus élevé qu’un sanglier sauvage, maturité sexuelle avancée… la surpopulation a permis de passer de 50 000 sangliers abattus en 1975 à 700 000 aujourd’hui.
Une fois sevrés, les marcassins sont vendus à des parcs de chasse, pour environ 140 euros la bête. Le discours en faveur de cette pratique parle d’accroître le taux de reproduction. Sauf que les animaux sont relâchés à l’ouverture de la saison de chasse et non dans les mois précédents, ce qui permettrait leur reproduction (d’après l’ANSES, L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). En fait, c’est un partenariat entre certains chasseurs et certains éleveurs qui permet à chacun de rentabiliser son activité.
Notre juste indignation
Notre indignation envers le sort des lions d’Afrique du Sud est juste et saine. Mais soyons attentifs à ce qu’elle ne soit pas le paravent de notre tranquillité. Car chaque fois que nous nous accommodons de solutions qui nous permettent de ne pas trop changer nos habitudes – manger bio mais des denrées venues de très loin ou hors saison, ne plus manger de viande mais tant pis pour les poissons, utiliser des plastiques dits biodégradables mais qui finissent aussi par polluer, acheter des sapins de Noël – nous faisons du lâché de gibier. La fragilité du vivant exige de nous un changement radical de comportement. En attendant, qui fera un film sur les sangliers ?