Chaque semaine, des centaines de milliers d’oisillons sont broyés vivants dans les Deux-Sèvres. L214 publie de nouvelles images glaçantes et interpelle le gouvernement sur une pratique que l’on croyait révolue.
Le broyage de poussins
Les images sont insoutenables. Sur un tapis roulant, des milliers de poussins et de pintadeaux glissent inexorablement vers une broyeuse. Certains sont saisis brutalement, frappés à coups de balai-raclette, puis projetés comme de simples déchets dans la machine. Quelques secondes plus tard, ils en ressortent inertes.
Ces scènes proviennent de la dernière enquête de L214, dévoilée ce jeudi. Les images ont été tournées sur une dizaine de jours au couvoir Boyé Accouvage, situé à La Boissière-en-Gâtine (Deux-Sèvres), en Nouvelle-Aquitaine. Un lieu où, chaque semaine, près d’un million de poussins éclosent. Mais où seule une partie survit.
Nombre d’exploitations commandent des lots de même sexe, uniquement des mâles ou uniquement des femelles. Le mardi 23 septembre, L214 a ainsi constaté que 97 555 poussins femelles et 29 852 poussins mâles avaient été livrés à quatre élevages. Les 67 704 mâles “en trop” ont été broyés vivants.
En parallèle de la diffusion des images, L214 s’associe à l’animateur et producteur Sam Zirah, connu pour ses interviews sur YouTube, afin d’appeler à la fin du broyage des oisillons. Ensemble, ils interpellent Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, ainsi qu’Olivér Várhelyi, commissaire européen chargé du Bien-être animal, pour une interdiction totale de cette pratique sur le continent.
“Les consommateurs ont été induits en erreur”
L’association a également déposé plainte contre le couvoir Boyé pour sévices graves et mauvais traitements sur animaux.
Pour Sébastien Arsac, directeur des enquêtes chez L214 : « En 2023, le gouvernement et le Comité national pour la promotion de l’œuf annonçaient fièrement la fin du broyage des poussins mâles dans la filière des poules pondeuses. Mais les citoyens et les consommateurs ont été induits en erreur, croyant cette pratique ignoble abolie ! Le gouvernement doit aller au bout de son initiative en remplaçant le broyage de tous les oisillons par le sexage dans l’œuf. »
En effet, le décret n° 2022-137, entré en vigueur en février 2022, interdit le broyage… mais uniquement pour les poussins mâles des lignées pondeuses destinées à la production d’œufs de consommation. Autrement dit : les poussins destinés à la viande ne sont pas concernés. Et plus sournois encore : cette interdiction ne s’applique pas aux ovoproduits, ces œufs utilisés dans les plats préparés, gâteaux, pâtes ou desserts industriels.
« En Allemagne, la loi couvre tous les œufs issus de la filière pondeuse, qu’ils soient vendus en coquille ou transformés », précise Bérénice Riaux, chargée d’enquêtes pour L214, à La Relève et la Peste. « En France, nous n’avons jamais eu de témoignages directs sur la filière des ovoproduits, mais la réglementation suggère que les poussins y soient gazés. L’enquête actuelle, elle, concerne exclusivement les poussins et pintadeaux destinés à la chair. »
Le recours à des lots homogènes (uniquement mâles ou femelles) permet aux industriels d’obtenir des groupes plus rentables. Les mâles et femelles n’ont pas la même vitesse de croissance ni les mêmes débouchés commerciaux. Un poulet lourd femelle atteint environ 3,9 kg, contre 4,7 kg pour un mâle.
Des pintadeaux sont broyés
Le sexage dans l’œuf : une alternative viable
Dans les secteurs où le broyage est interdit, les éleveurs utilisent désormais le sexage in ovo, ou ovosexage : une détection du sexe de l’embryon avant éclosion. Selon Bérénice Riaux, cette technologie n’est ni coûteuse ni complexe.
« L’ovosexage ne coûte que 0,39 € pour 100 œufs vendus. Ce surcoût, imperceptible pour le consommateur, a été entièrement absorbé par la filière. Le coût n’est donc pas un obstacle à une harmonisation européenne. » Aujourd’hui, seuls quatre pays européens – la France, l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg – interdisent le broyage dans la filière pondeuse.
Depuis 2008, L214 a mené plus de 175 enquêtes. « En quinze ans, les mentalités ont profondément changé », observe Bérénice Riaux. Selon la fondation 30 millions d’amis, 85 % des Français estiment qu’il est inacceptable d’abattre des animaux conscients. Ce, quelles qu’en soient les raisons.
« Les citoyens sont mieux informés de ce qui se passe dans les élevages et les abattoirs. De plus en plus de personnes rejoignent l’association, et l’offre végétale s’élargit », poursuit-elle.
L214 a déjà obtenu plusieurs avancées législatives majeures. Parmi lesquelles : l’interdiction de la castration à vif des porcelets (2022). La fin du broyage des poussins mâles dans la filière pondeuse (2023). En 2025, le groupe LDC (Le Gaulois, Maître CoQ), premier producteur français de volailles, a adhéré à l’European Chicken Commitment (ECC), réduisant de 78 % la durée des souffrances aiguës des poulets d’élevage.
Reste à savoir si cette nouvelle enquête provoquera, une fois encore, un sursaut politique.
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