Aïna Queiroz, biologiste, experte du biomimétisme et conférencière, que l’on retrouve aussi sous le surnom d’Aïna l’exploratrice qu’elle endosse pleinement aujourd’hui, est une passionnée du vivant. Elle nous partage sa fascination pour les plantes et leurs propriétés insoupçonnées.
LR&LP : Pouvez-vous nous raconter votre parcours et votre intérêt pour le monde végétal ?
Mon premier déclic, je l’ai eu en licence de biologie, au détour d’un cours de biotechnologies végétales. Une porte s’est ouverte, celle d’un nouveau monde : les composés actifs des plantes. Invisible, certes, mais d’une richesse infinie. J’ai enchaîné avec un parcours de recherche en génétique végétale et une première expérience au CNRS, avant de plonger dans la recherche appliquée.
Pendant dix ans, dans un grand groupe, j’ai dirigé la recherche et l’innovation et j’ai exploré les plantes pour en extraire leurs principes actifs. Puis un jour, une mission inattendue m’a menée sur les traces des animaux qui se soignent avec les plantes. C’est là que j’ai découvert ces animaux qui utilisent des plantes pour se soigner. C’est ce qu’on appelle la zoopharmacognosie.
Le monde végétal est fascinant. Pourtant, notre société souffre d’une véritable cécité botanique. On porte spontanément notre attention sur les animaux, alors qu’on est souvent incapables de nommer ou de reconnaître les plantes qui nous entourent. Ce biais perceptif s’explique aussi par un déficit de nature, alors que la recherche prouve que le lien régulier avec le monde vivant a des effets bénéfiques démontrés sur la santé physique et mentale.
Aïna Queiroz, spécialiste du biomimétisme, est aussi la réalisatrice de Bio-inspi, le podcast qui s’inspire du vivant, et a réalisé une masterclass sur le génie végétal pour la plateforme Sator, bientôt disponible
LR&LP : Les plantes sont capables de choses étonnantes. Auriez-vous des exemples à nous donner ?
Les scientifiques parlent de sensibilité végétale : les plantes perçoivent leur environnement grâce à des systèmes sensoriels très différents des nôtres, mais qui leur permettent, à leur façon, d’entendre, de voir, de toucher, de goûter et de sentir.
Les plantes communiquent via leurs réseaux racinaires, mais aussi via les airs grâce aux composés organiques volatiles. Elles sont capables d’échanger des messages très fins. Par exemple, une plante est capable de prévenir les plantes à ses côtés quand un herbivore mange trop afin qu’elles puissent charger leurs feuilles en tanin, ce qui leur donne un goût désagréable.
Une tomate stressée peut émettre des ultrasons, inaudibles pour l’oreille humaine sans dispositif. Ces sons, comparables à de petits “pop”, pourraient provenir de phénomènes de cavitation dans les vaisseaux conducteurs. Toute la question reste de savoir à qui est destiné ce bruit.
Les plantes sont également capables d’entendre un herbivore qui les mange. Et le simple son d’une chenille (comme Pieris rapae) va déclencher la production de tanin chez une plante (Arabidopsis thaliana, par exemple).
Des chercheurs ont montré que les racines de pois peuvent détecter les vibrations émises par l’eau qui s’écoule dans des tuyaux, même sans humidité présente dans le sol. Cette perception acoustique guide leur croissance vers la source. Cela suggère que les plantes « écoutent » leur environnement pour survivre.
Les communications inter-espèces me fascinent particulièrement. Par exemple, la chenille légionnaire mange habituellement ce dont elle a besoin de la plante de maïs et fait en sorte de ne pas mettre en péril la survie du végétal. Mais si elle est trop gourmande, la plante prévient les autres plantes, qui se chargent en tanin pour ne pas se faire manger. Si ce n’est pas suffisant, le maïs envoie un signal cette fois perçu par une guêpe parasitoïde. Elle pond ses œufs dans la chenille, qui finit par se comporter comme une “zombie” : son comportement est modifié par les larves qui se développent en elle.
LR&LP : Les plantes sont-elles capables de résoudre des problèmes complexes ?
Les recherches récentes en neurobiologie végétale révèlent que les plantes peuvent traiter l’information, prendre des décisions et s’adapter à des défis complexes. Par exemple, elles optimisent leur croissance en « calculant » la meilleure trajectoire pour atteindre la lumière tout en évitant les obstacles. Les racines explorent le sol de manière stratégique, évaluant la disponibilité en nutriments et en eau pour orienter leur développement.
Les plantes démontrent aussi une forme de « mémoire » : elles peuvent se souvenir d’expériences passées (stress hydrique, attaques d’insectes) et modifier leur comportement futur en conséquence. Certaines espèces comme la sensitive (Mimosa pudica) peuvent même « apprendre » à ne plus réagir à des stimuli répétitifs non dangereux.
Les plantes ont aussi besoin d’être pollinisées et de disséminer leurs graines. Pour cela, elles ont besoin des animaux, mais il ne faut pas qu’elles soient trop appétissantes non plus. Elles développent donc de multiples stratégies pour résoudre cette équation.
Par exemple, quand un fruit n’est pas assez mûr ou quand les graines ne sont pas encore prêtes, la plante produit des composés acides qui repoussent les animaux.
Les plantes doivent aussi se reproduire alors qu’elles ne peuvent pas vraiment se déplacer. Là aussi, elles développent plein de stratégies pour coloniser de nouveaux espaces, comme le fait d’accrocher leurs graines aux poils d’un animal.
LR&LP : Ces capacités végétales extraordinaires ont donné naissance au biomimétisme. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Le biomimétisme s’inspire des stratégies de la nature pour développer des innovations durables. Deux « stars » du biomimétisme sont le Velcro (communément appelé scratch) et l’effet lotus.
Le Velcro s’inspire de la bardane, cette plante qui s’accroche aux poils et aux vêtements grâce à de petits crochets. Un ingénieur suisse se baladait avec son chien et a vu cette plante accrochée au poil de son chien. Il l’a regardée au microscope et a observé qu’elle était constituée de crochets qui lui permettaient de s’accrocher et de s’enlever. Il a alors inventé le Velcro : « vel » pour la partie velours et « cro » pour la partie « crochet ».
L’autre exemple emblématique du biomimétisme est l’effet lotus qui a inspiré les surfaces autonettoyantes, que l’on retrouve notamment dans les hôpitaux pour éviter la stagnation d’eau. Des chercheurs ont regardé comment les gouttes d’eau déperlent sur les surfaces des feuilles de lotus, du fait d’une hydrophobicité tellement forte qu’aucune goutte ne reste jamais sur la feuille.
Les plantes inspirent aussi les architectes, avec la phyllotaxie, qui est la façon dont sont implantées les feuilles sur une tige ou sur un rameau. Elle permet à la plante d’optimiser son exposition au soleil pour la photosynthèse. De la même façon, les architectes tentent de faire en sorte que le maximum de logements d’un territoire ou d’une infrastructure soient exposés au soleil.
Les fleurs blanches de Diphylleia, appelées « fleur squelette » car elles deviennent transparentes au contact de l’eau, sont copiées pour développer des instruments d’optique. La structure auxétique de l’écorce du pomelo, capable de s’épaissir localement sous tension, a inspiré le développement d’équipements de sécurité absorbant mieux les chocs. Les exemples de biomimétisme sont nombreux !
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