Impossible de les repérer sans lever les yeux aux cimes. Haut, très haut. Pouvant être perchés à
plus de 40 mètres au-dessus du sol, les écureuils du collectif Sitka sont des grimpeurs-cueilleurs qui récoltent, depuis près d’une vingtaine d’années, des semences forestières en partenariat avec l’Office national des forêts (ONF). L’objectif : reboiser des parcelles dans le besoin sur l’ensemble du territoire national. En parallèle, ils réalisent des missions pour l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l’environnement (INRAE), participant ainsi aux recherches scientifiques des forêts de demain. Pour La Relève et la Peste, l’un d’entre eux revient sur ce métier singulier et tout aussi essentiel.
Un partenariat avec l’ONF
Si Vincent Dousset est un écureuil aguerri depuis 21 ans maintenant, sa spécialité était pourtant, au départ, la spéléologie et l’escalade. Mais en 2006, son collectif Sitka, cofondé avec trois autres grimpeurs, remporte l’appel d’offre lancé par l’ONF afin d’en faire son partenaire privilégié pour la récolte de semences forestières sur le territoire français. Une nouveauté qui l’a amené, comme d’autres, à se former progressivement à la grimpe d’arbre, nécessitant de connaître des techniques très particulières, propres à l’activité.
Chaque année, en effet, un plan d’approvisionnement définit les besoins en matière de graines d’arbres sur le territoire national. Un plan élaboré par les agents de l’ONF présents sur le terrain et fins connaisseurs de chaque secteur, dans le but de reboiser des parcelles en difficulté.
Ce plan définit à la fois l’essence mais aussi la quantité à récolter. « Sur le terrain, on voit ce qu’il est possible de faire. Parfois, les arbres ont beaucoup donné. Dans ce cas, il est possible d’atteindre les rendements souhaités. Mais à d’autres moments, on abandonne la mission parce qu’il n’y a simplement pas de graines, explique Vincent Dousset pour La Relève et la Peste. Une fois que nous avons identifié tous ces besoins avec eux annuellement, nous partons sur des missions à l’automne et faisons les récoltes ».
Une cueillette qui peut concerner tous les résineux : cèdre, pin, sapins, de Nordmann, de Céphalonie, et à des altitudes variables, comme pour le pin cembros, qui se situe à 2000 mètres au col de l’Izoard, dans les Alpes. Mais les équipes récoltent également les graines des feuillus, de grands érables, grands chênes, mais aussi des petits fruits comme les alisiers, les cormiers ou sorbiers.
Au total, près de 35 espèces de graines ont été récoltées depuis la création du collectif. Une fois les graines recueillies, celles-ci sont acheminées vers la sécherie de la Joux, dans le Jura, unique sécherie publique de France, qui s’occupe de les centraliser. Là-bas, les graines sont extraites des fruits par des machines puis nettoyées et triées dans le but d’être conditionnées.
Les lots de semences sont identifiés suivant leur région de provenance, puis, enfin, commercialisés auprès de pépiniéristes privés qui sèmeront les graines au sein de leurs structures. Là-bas, elles donneront vie à de jeunes arbres prêts à être plantés en forêt selon les besoins.
De l’exigence physique
Si 4 pilotes sont responsables de la structure, ce sont au total 70 grimpeuses et grimpeurs qui sont répartis sur le territoire national. À la fois pour une logique d’intervention et de rapidité sur le terrain, mais aussi dans un souci environnemental, afin d’éviter de trop gros déplacements.
D’autres grimpeurs sont également présents en France, mais travaillent essentiellement et directement pour des pépiniéristes. Au total, seule une centaine de personnes pratiquent le métier de grimpeur dans le pays. Si aucune formation spécifique ne mène à cette activité, chacun des écureuils, au départ élagueur, éducateur de grimpe d’arbre ou encore accompagnateur en montagne, dispose d’une sensibilité le rapprochant inextricablement de la forêt et ses sommets.
Bien que les grimpes s’effectuent toute l’année, le gros de la saison reste concentré entre septembre, octobre et novembre. Le pin nécessite un travail un peu plus tard dans la saison hivernale.
Durant les missions, les grimpeurs se retrouvent en petit groupe de trois ou quatre et vivent alors au milieu des bois, au contact du peuplement forestier, dans de petits véhicules aménagés ou des maisons nomades. Sur place, il faut évidemment composer avec les éléments, et anticiper des conditions pouvant être difficiles, physiques comme météorologiques.
« C’est un métier qui demande de l’exigence en terme physique. Grimper des arbres de parfois 40 ou 50 mètres de hauteur pour aller y chercher la graine au sommet, ça demande une préparation. On s’entraîne pour la saison et on a une hygiène de vie cohérente. Après, cela demande aussi du mental, tout de même, pour aller chercher ces graines là-haut », abonde l’écureuil pour La Relève et la Peste.
Au niveau des aléas climatiques, là encore, les grimpeurs-cueilleurs doivent maintenir une certaine vigilance. « Lorsqu’il pleut, dans la mesure du raisonnable, cela ne nous arrête pas. Le facteur principal reste le vent, qui peut engendrer des casses au niveau de l’arbre et des graines. Il faut imaginer un grimpeur de 80 kg tout en haut d’un arbre sur une cime de 10 cm de diamètre. Nous avons déjà eu des grosses frayeurs », continue Vincent Dousset pour La Relève et la Peste.
Aux avant-postes du changement climatique
Les écureuils de Sitka travaillent également, en parallèle, pour l’INRAE. Ils récoltent cette fois des échantillons d’arbres, comme des petits greffons ou des rameaux d’arbre, qui vont être analysés.
« On a l’exemple du chêne, où certains vont être particulièrement résistant au réchauffement climatique et qui pourraient devenir, à l’avenir, le chêne « ultime ». Avec le réchauffement climatique et ses enjeux, toute la configuration de la forêt française est en train de se transformer », explique le grimpeur pour La Relève et la Peste.
Une autre approche, donc, qui permet à la fois de prendre le temps d’aller chercher le bon greffon, et qui ouvre également la voie à la connaissance plus scientifique des techniciens de l’INRA, apportant un regard très actuel sur l’arbre.
« Nous sommes au coeur de ces problématiques concernant le réchauffement climatique. Aujourd’hui, on voit très bien que les arbres, qui ont beau avoir 370 millions d’années d’existence et qui sont la grande usine vivante, ils ont inventé le photovoltaïque bien avant nous, souffrent et les changements sont palpables à vue d’oeil », termine Vincent Dousset pour La Relève et la Peste.
Il faut en effet rappeler que le plan de renouvellement forestier, qui concerne notamment le Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté suite à d’importantes attaques scolytes, mais aussi l’adaptation des peuplements vulnérables au changement climatique et l’amélioration des peuplements pauvres doivent faire face au réchauffement des températures, aux incendies, aux sécheresses et aux maladies.
En outre, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) prévoit une aggravation de la mortalité forestière jusqu’en 2025. Bien qu’une légère baisse soit envisagée entre 2026 et 2030, elle connaîtra toutefois un accroissement continu jusqu’en 2079, réduisant ainsi drastiquement les capacités de stockage du carbone pourtant indispensable à la survie de tout écosystème. On estime que la capacité de stockage du CO2 par les écosystèmes forestiers a été divisée par deux en dix ans. Autrefois à 57,7 millions de tonnes de carbone, elle était, en 2021, équivalente à seulement 31,2 millions.
Sources : Récoltes de semences forestières par grimpage, sitka.fr / La sécherie de la Joux, berceau des graines d’avenir, ONF.fr, 04/03/20