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« Pourquoi faire des enfants en temps d’effondrement ? »

"C’est précisément le regard accusateur des enfants qui constitue le moteur principal de notre engagement. C’est à mon avis l’argument politique le plus fort si nous voulons réussir à convaincre les gens de s’engager dans une vraie transition écologique et d’opter pour la sobriété. Parce que si on n’a pas d’enfants à protéger, on n’a pas de raisons de renoncer à la facilité, aux voyages, au pétrole."

Marianne Durano est agrégée de philosophie et normalienne. Enseignante et mère de 4 enfants, elle habite depuis 5 ans un écolieu dans la Loire, traduction concrète d’un engagement de dix années dans la décroissance. A force d’avoir des questions sur son choix de vie, elle a écrit l’ouvrage “Pourquoi faire des enfants en temps d’effondrement ?”. Rencontre.

Marianne Durano a élu domicile dans un écolieu. Ce collectif de huit familles, dont de nombreux enfants, s’essaie à un mode de vie plus sobre, plus démocratique et plus libre. “Naître ou le néant”, sous-titré “Pourquoi faire des enfants en temps d’effondrement ?” est son deuxième livre, après “Pourquoi mon corps ne vous appartient pas ?” Si le premier abordait le féminisme et le corps, le second se consacre à l’engendrement et à sa pertinence dans un monde qui s’effondre.

La Relève et La Peste : Comment en êtes-vous venue à écrire ce livre ?

Marianne Durano : Autour de moi, tous les trentenaires s’interrogent sur le sens qu’il y a à mettre au monde des enfants dans cette société qui va dans le mur sur le plan écologique et social. J’ai 4 enfants et souvent on me demande pourquoi puisque je suis écolo. Ce livre est une réflexion sur ce sujet.

LR&LP : Alors, peut-on raisonnablement mettre au monde des enfants ?

Marianne Durano : Il faut distinguer deux questions : celle de la démographie au regard des ressources et celle de notre responsabilité pour le bien des enfants à venir.

La première se règle assez facilement car la majorité des économistes sont d’accord pour dire que le problème n’est pas la quantité de ressources mais l’inégalité de leur répartition. Par ailleurs, tout le monde n’est pas non plus à égalité dans la responsabilité face aux désordres climatiques.

Aujourd’hui les pays les plus riches sont ceux qui font le moins d’enfants et ceux qui polluent le plus. 

Les 3 milliards d’individus les plus pauvres de la planète, soit 45 % de la population mondiale, contribuent à seulement 7 % des émissions de gaz à effet de serre (Rapport Oxfam “Combattre les inégalités des émissions de CO2”, 2020, ndlr). Et à l’inverse, les 7 % les plus riches, eux, sont responsables de 50 % des émissions de gaz à effet de serre.

Le collectif Yacht CO₂ tracker a évalué le yacht de Bernard Arnault : il émet 16 000 tonnes d’équivalent CO₂ par an quand un Français moyen en émet 6,8/an. Donc qu’on ne me dise pas que ce sont mes enfants qui mettent la planète en danger, qu’on arrête de fabriquer des yachts !

Marianne Durano

LR&LP : Mais peut-on penser à un avenir pour des enfants à naître ?

Marianne Durano : La question est : “est-il irresponsable d’avoir des enfants pour le bien de ces enfants” ? Cela sous-entend que cet avenir ne vaudrait pas la peine d’être vécu et c’est ce qui m’a interrogé. Il y a une vraie contradiction à vouloir protéger quelqu’un en ne lui donnant pas d’existence, cela traduit une angoisse démesurée, notre angoisse. Nos enfants ne pourraient nous accuser de n’avoir pas fait ce qu’il fallait qu’à condition d’exister, c’est-à-dire à condition que nous les ayons mis au monde.

Or, c’est précisément ce regard accusateur qui constitue le moteur principal de notre engagement. C’est à mon avis l’argument politique le plus fort si nous voulons réussir à convaincre les gens de s’engager dans une vraie transition écologique et d’opter pour la sobriété. Parce que si on n’a pas d’enfants à protéger, on n’a pas de raisons de renoncer  à la facilité, aux voyages, au pétrole.

Il faut tout de même revenir sur la notion de progrès, telle qu’elle a été définie par les générations précédentes. Cette idée que chaque génération vivra « mieux » que les précédentes est une illusion qui est, je crois, un peu responsable du désastre écologique que nous percevons actuellement. Car cette vision repose sur l’exploitation de plus en plus de ressources, de mobilité, de technologie, et moi, j’ai envie de dire que même si mes enfants vivent un peu « moins bien »  que moi, ce n’est pas une raison pour leur interdire de vivre tout court.

LR&LP : “Vivre bien, moins bien, mieux”, qu’est-ce que cela veut dire ?

Marianne Durano : C’est une vraie question. Personnellement, j’espère que quand mes enfants seront grands, il y aura moins de supermarchés ouverts 24/24, qu’on prendra beaucoup moins l’avion. Je leur souhaite d’avoir à jardiner davantage pour produire une partie de leur nourriture et de revenir à des tâches qu’on a éradiqué de notre quotidien alors qu’elles sont belles, bonnes et nous remplissent de joie.

Ce n’est pas parce que je ne peux pas garantir à mes enfants le grand bonheur consumériste qu’ils ne seront pas heureux. Comme maman, j’ai constaté que ce qui fait la joie d’un enfant est souvent très simple. Courir dans la forêt, grignoter un croûton de pain, être couvert de boue ou construire une cabane.. Cela les rend heureux et fait d’eux d’excellents professeurs de sobriété joyeuse. Nous devons affirmer cela face au monde.

LR&LP : Quelle est la responsabilité des parents ?

Marianne Durano : Cette question très moderne accable les jeunes parents depuis qu’on a inscrit la parentalité en mode projet. L’individualisme associé au contrôle des naissances fait que si j’ai décidé de faire un enfant, je suis sommée de le réussir. Je dois tout contrôler. Inversement, si j’accueille cet enfant et que j’admets qu’il ne m’appartient pas, la question de ma responsabilité se pose différemment.

De la même façon que je ne suis pas responsable des erreurs de générations précédentes, il ne sera pas comptable des nôtres. Je n’ai pas non plus pour rôle de contrôler tous les aléas qui ponctueront son existence, ni de projeter les critères d’une vie réussie ou mes angoisses d’une vie ratée.

En revanche, ma responsabilité, c’est de pouvoir répondre à toutes les questions, de justifier, de rendre raison de tous les choix écologiques et de mode de vie que nous faisons pour nos enfants. Il faut être suffisamment clair pour qu’un petit de 7 ans puisse comprendre pourquoi il n’aura pas le dernier T-shirt à la mode ou pourquoi nous n’irons pas passer 4 jours au Portugal en avion. Cela nous contraint à être extrêmement clairs sur nos positions.

LR&LP : D’où est venue votre prise de conscience ?

Marianne Durano : C’est arrivé presque par hasard. J’étais enceinte de mon premier enfant. J’entends une info à la radio : l’agence de sécurité alimentaire déconseillait aux futures mamans de manger du poisson à cause d’un risque d’intoxication, mais pas aux autres qui, de fait, pouvaient s’intoxiquer tranquillement. Et là, j’ai eu une prise de conscience énorme. Pour la pollution c’est pareil, les gaz d’échappement des voitures, cela devient intolérable lorsque c’est notre bébé qui les respire. J’ai eu un choc de responsabilité qui a conduit toute la famille à choisir un lieu de vie plus sain, où nos enfants pouvaient grandir en liberté.

LR&LP : Vous dites que la natalité est la catégorie politique par excellence…

Marianne Durano : C’est une idée développée par Hannah Arendt qui écrit en pleine guerre nucléaire, avec un risque d’effondrement et une menace existentielle sérieuse. Nous allons tous mourir un jour, c’est un fait dans la catégorie métaphysique par excellence. Grâce à cela, nous nous posons la question du sens de la vie.

La natalité et le fait que nous recevions la vie des générations qui nous précèdent pour ensuite la transmettre, c’est la catégorie politique par excellence. C’est ce qui permet la continuité et la durabilité d’un monde humain. Tout ce que nous entreprenons qu’il s’agisse d’art, de techniques, d’architecture, etc. prend du sens parce que ce sera transmis à la génération suivante.

Je pense que la crise de la natalité actuelle est pour partie liée au court-termisme politique et économique. Car le court terme ne prend pas en compte les enjeux des générations qui arrivent. D’ailleurs, dans le non-désir d’enfant, vous entendez que ce qui les angoisse le plus n’est pas l’état de la planète, mais l’inaction politique.

Je pense qu’il faut remettre la natalité au centre, c’est-à-dire considérer les enjeux des générations à venir, pour penser le monde aujourd’hui. Je veux que nos enfants, parce que nous les mettons au monde, nous engagent à nous battre pour eux.

LR&LP : On peut aussi ne pas vouloir d’enfants…

Marianne Durano : Bien sûr, on a des tas de raisons de ne pas vouloir d’enfants. Chacun est libre.

Mais qu’on veuille ou non, le corps des femmes est instrumentalisé, transformé soit en stock de ressources qu’il faut exploiter, soit la fécondité féminine est vue comme un problème technique qu’il faut régler. Si on ne veut pas d’enfants, on se débrouille pour bloquer la fécondité, puis après avoir fait en sorte que ça ne fonctionne pas, on fait de la stimulation ou toute autre technique pour remettre en route, de façon mécanique. C’est violent.

On me dit aussi que la maternité est une aliénation. C’est vrai. Parce qu’à partir du moment où j’ai un enfant, le cœur de ma vie ne va plus être moi-même. Ça va être un autre que moi. Donc, d’un strict point de vue philosophique, l’aliénation étant ce qui nous rend pour ainsi dire étranger à nous-mêmes, c’est vrai.

Les principes de la philosophie du droit expliquent que cette aliénation, c’est le moment à travers lequel l’individu cesse d’être uniquement dans la morale subjective, centré sur lui-même. Il se tourne vers la cité et le collectif, il s’ouvre au monde pour y déposer un nouveau citoyen. Ses actes ne concernent plus seulement lui, mais autrui et de cela la cité doit être reconnaissante. Je trouve terrible qu’aujourd’hui des mères écrivent pour dire leur regret, non d’avoir eu un enfant, mais de ce rôle de mère stéréotypé qu’on leur impose.

LR&LP : Pourquoi renvoyez-vous dos-à-dos les politiques natalistes et dénatalistes ?

Marianne Durano : Je m’appuie sur le travail de Michel Foucault autour du biopouvoir. Le pouvoir a toujours instrumentalisé la démographie comme variable d’ajustement. Pour faire simple, les guerres ont besoin de chair à canon ou de forces productives et alors le pouvoir encourage la natalité. Inversement, la réduction de ressources ou l’accaparement par quelques-uns va conduire à freiner les politiques natalistes. Ce sont les deux faces de la même pièce car dans tous les cas, c’est le projet de pouvoir qui s’impose. Les enfants ne sont pas pris en compte.

Ce qui m’intéresse beaucoup ce n’est pas de vouloir des enfants, c’est plutôt ce que je nomme le consentement, une notion mise en avant dans le cadre des violences sexuelles. L’enfant ne peut pas être le résultat d’un projet, la propriété de ses géniteurs, car la vie, par définition, échappe au contrôle..

Il doit être accueilli, c’est-à-dire qu’on doit consentir à cet accueil. Et donc, plutôt que de poser la question de pourquoi un enfant, je préfère demander pourquoi pas ?

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Isabelle Vauconsant

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