Mardi 12 mars, quatre membres du groupe basque OSTIA passaient devant le tribunal de Bayonne. Ils sont attaqués en justice par Bouygues pour avoir déversé de la terre sur une maquette du projet Marienia dans une agence du groupe. Prévu à Cambo les bains, ce projet de logements porté par Bouygues immobilier menace de bétonner 3,7 ha de « terres agricoles rarissimes » sur le Pays basque.
Mardi 12 mars, une centaine de personnes, un tracteur et un point ravitaillement ont investi le parvis du tribunal de Bayonne pour apporter leur soutien à Jeanine Beyrie, Dominika Daguerre, Jakes Bortayrou et Filipe Laskarai.
Les quatre prévenus sont poursuivis pour « dégradations commises en réunion », le 10 décembre 2022, sur une maquette et le sol de l’agence Bouygues à Anglet en déversant de la paille et de la terre. Leur est également reproché d’avoir refusé de se soumettre à des prélèvements biologiques lors de leur arrestation en novembre 2023, ainsi que leurs empreintes digitales pour Jakes Bortayrou et Filipe Laskarai.
Le combat pour préserver des terres nourricières
A la barre, les prévenus sont droits dans leurs bottes et l’affirment : ils ne s’exprimeront qu’en basque. Leur langue étant refusée par le tribunal, ce sont donc les trois témoins appelés par l’avocat de leur défense, maître Alain Larrea, qui expliqueront toute l’affaire.
Maryse Cachenaut, la présidente de Lurzaindia, Martine Boucher du Cade (Collectif des associations de défense de l’Environnement) et Argitxu Hiriart-Urruty, l’élue d’opposition à Cambo, ont rappelé la genèse du projet. Depuis 2014, élus d’oppositions, paysans et habitants ont uni leurs forces pour sauver 3,7 ha de terres agricoles exceptionnelles sur le Pays basque, au lieu dit Marienia, à l’entrée de Cambo les bains.
Lors de son témoignage, Maryse Cahenau, paysanne dans la ville voisine d’Itxassou, dénonce : « Nos amis sont accusés d’avoir mis quelques kilos de terre sur une maquette qui fait 3 à 4m2, alors que 3 à 4ha de terres agricoles vont être recouvertes de béton par Bouygues ! Et elles, on ne pourra pas les nettoyer, elles seront perdues pour toujours. »
A mi-chemin entre le littoral et l’intérieur du pays basque, ces terres agricoles sont rarissimes sur le secteur. Alors que le Pays basque extrêmement vallonné est peu propice aux activités de maraîchage, ces terres ont un potentiel agronomique énorme et moins de 10% de pentes. Une caractéristique rare dans le village, dont les trois quarts des terres agricoles sont en pente.
La pression de Bouygues sur les opposants au projet
Marine Boucher, membre du CADE (Collectif des Associations de Défense de l’Environnement), rappelle que des recours en justice ont été lancés contre le projet, et notamment le permis de construire. Pour cela, le président du CADE, Victor Pachon, a reçu en 2021 la visite d’un huissier, mandaté par Bouygues, avec une sommation interpellative expliquant que si le recours gracieux se prolongeait en recours contentieux, le CADE serait attaqué pour recours abusif et que Bouygues leur réclamerait 240 000 euros de dommages et intérêts.
Malgré cette menace, le CADE a tout de même décidé d’aller au bout de sa démarche. Le permis de construire a bien été retoqué par le Tribunal Administratif. Résultat, la maquette qui a été dégradée par les citoyens basques était en fait « illégale et mensongère » pour les potentiels acheteurs. Bouygues a dû présenter un permis modificatif, sur lequel un nouveau recours en justice est en cours d’instruction.
« Le CADE est ici aujourd’hui car on refuse de laisser Bouygues utiliser son argent impunément pour faire taire les opposants à son projet » explique Martine Boucher, professeur des écoles, lors de son passage au tribunal
Fâché par les tentatives d’intimidation du groupe immobilier, le CADE a décidé d’attaquer à son tour Bouygues en justice pour « tentative d’extorsion par contrainte morale ».
La troisième témoin, Argitxu Hiriart-Urruty a elle rappelé le contexte politique du projet, car le promoteur immobilier se targue de créer plusieurs logements sociaux, qui manquent en nombre sur la commune. Elle n’en a que 8% alors que la loi SRU lui en demande 25%. Cambo les bains paie donc une pénalité annuelle de 100 000 euros.
« Cambo est passée en zone tendue sur le logement. Alors que nous avons 800 logements de résidences secondaires et meublés, le maire n’a pas voulu qu’on mette en place la taxe ou la mesure de compensation votée dans le Pays basque. Cette politique a pour conséquence que les jeunes couples ne peuvent pas s’installer, que les écoles se vident, alors que nous avons à Cambo les bains la possibilité de rénover l’existant à faire pâlir d’envie tous les maires de la côte ! » explique l’élue d’opposition Argitxu Hiriart-Urruty
« Ce que je vois surtout aujourd’hui, c’est qu’on cherche à criminaliser notre action et que c’est un signal fort que vous (les juges, ndlr) allez envoyer à la population et à la jeunesse qui ne veulent plus de ces pratiques immorales qui les privent de leur façon d’habiter le territoire au présent, et de leur futur ! » conclut-elle
Répression et fichage systématisé en question
Au tribunal, l’avocat de Bouygues, maître Antoine Beauquier, a réclamé « la réparation, à l’euro près, des destructions commises », soit 24 732 euros et un euro pour préjudice moral. « Je viens demander le droit de travailler normalement sans être victimes d’agression. Tout repose dans les mains du Tribunal Administratif sur le fond du projet » a-t-il recadré.
Ce montant a été réfuté par l’avocat de la défense qui estime que 16 176 euros de cette somme sont de trop, car ils représentent des dégâts commis par d’autres personnes dans une agence différente à Bayonne. De son côté, la substitut du procureur de la République de Bayonne, Amandine Boyer, a recommandé une condamnation à 1000 euros d’amende dont 500 euros avec sursis au vu du « caractère mineur de cette infraction » et rappelé que lorsque les prévenus étaient rentrés dans l’agence, ils avaient prévenu le personnel qu’ils n’allaient pas être violents.
Surtout, elle a mis en avant le flou juridique, « le droit mou », sur la possibilité laissée aux citoyens de refuser le relevé d’empreintes biométriques afin de respecter leur droit à la vie privée, ainsi que le stipule la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
« Nous avons comme socle une décision du conseil constitutionnel, qui précise que c’est à l’appréciation souveraine du juge du fond de juger si le relevés d’empreintes est proportionnel à la gravité d’une affaire. Votre décision va être importante car tout va se jouer sur l’appréciation du terme de proportionnalité » a-t-elle rappelé à la juge lors de l’audience
Une inquiétude partagée par Maître Larrea, l’avocat de la défense, qui a ouvertement critiqué la législation française sur la collecte des données biométriques et génétiques qui va à l’encontre du droit européen.
Dans un arrêt du 26/01/2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) estime ainsi que la directive européenne « police-justice » interdit la collecte systématique des données biométriques et génétiques de toute personne mise en examen aux fins de leur enregistrement policier. Dans cet arrêt, la CJUE précise notamment que le relevés d’empreintes doit être conditionné par une « nécessité absolue » dans le cadre de l’enquête.
« Je pense que la collecte des données en France va suivre le même chemin que celui de la garde-à-vue qui était trop systématique dans le pays et a été retoqué par l’UE. Je vous demande d’appliquer le principe de la primauté du droit européen, et de prononcer une relaxe pour le refus de se soumettre aux prélèvements » a-t-il exprimé
« Il ne faut jamais céder aux restrictions de nos libertés, il faut toujours y résister et désobéir dans la mesure du possible. C’est important de refuser ce genre de prélèvements qui sont des abus de pouvoir. Il y a un flou juridique qui fait que plus on va refuser, plus cela fera jurisprudence » a expliqué Jakes Bortayrou pour La Relève et La Peste
La détermination face à la répression
Les deux prévenus dénoncent « un durcissement très important de la répression » de l’État Français contre les mouvements sociaux ces dernières années, Gilets Jaunes en tête, ainsi qu’une volonté gouvernementale de réprimer et de faire peur qui se fait de plus en plus forte.
« Ils sont venus me chercher à 8 gendarmes un matin à mon domicile, c’était une démonstration de force complètement disproportionnée. Et encore, ils ne m’ont pas mis les menottes contrairement à un de mes camarades ! Même les gendarmes étaient gênés » confie Dominika Daguerre à La Relève et La Peste
« Le gouvernement applique une politique néolibérale pour défendre les intérêts des multinationales, des classes dominantes, du capital. Et ça, ça passe de moins en moins auprès de la population puisque cela se fait au détriment de la survie de l’humanité lorsqu’on parle de la dégradation de nos conditions de vie sur Terre » a rappelé Jakes Bortayrou pour La Relève et La Peste
En sortant du tribunal, accueillis par leurs soutiens, les prévenus se sont montrés sereins et confiants.
« Ce qu’on a ressenti de la part du tribunal et y compris de la part de la procureure, c’est que notre cause bénéficie d’une grande légitimité. On voit bien que le projet de Bouygues est un projet qui est aujourd’hui indéfendable. Continuer à vouloir artificialiser des terres alors qu’il y a la possibilité de construire des logements pas loin, c’est une aberration à l’heure où tout le monde dit qu’il faut arrêter l’artificialisation et préserver les zones naturelles »
Les prévenus connaîtront le verdict du tribunal le 14 mai 2024, tandis que le fond du projet Marienia est toujours suspendu à la cour administrative d’appel de Bordeaux. Sa décision concernant la modification du PLU, et donc la constructibilité ou non des terres agricoles, devrait être rendue publique en juin 2024.