A l’image du pattern de Turing où des corridors écologiques vont se créer entre deux arbres éloignés afin de, par exemple, transformer une prairie en forêt, Kevin et Alexis sont partis semer des graines et créer du lien entre les éco-lieux de France. En 2019, ils partent de Charente à vélo. C’est le début d’une aventure qui durera trois ans, le Permacooltour, où plusieurs coolporteux-ses les y rejoindront. Kevin nous raconte.
LR&LP : En deux mots, c’est quoi le Permacooltour ? Combien de temps a-t-il duré et combien de lieux as-tu visité ?
Kévin Simon : C’est parti du rêve de faire un tour à la cool des éco-lieux pour apprendre en se formant directement par la pratique mais aussi en rencontrant des gens et des récits inspirants afin de les mettre en lumière par la photo, des podcasts, des films et d’in fine créer ou rejoindre un éco-lieu.
L’aventure a commencé en Charente en 2019 avec mon ami Alexis. De fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés jusqu’à huit sur la route. Depuis, nous avons visité 73 lieux. Parfois, nous y passions juste une journée et d’autres, nous y restions jusqu’à cinq mois !
LR&LP : Quels sont les éco-lieux qui t’ont le plus marqué et pourquoi ?
K.S : Il y a TERA du Lot et Garonne qui est un éco-système sur 35km2 avec pour vision de lier une partie d’un territoire avec une monnaie locale qui génère notamment un revenu d’autonomie. L’idée est de créer un écosystème autour de l’économie afin de la voir non pas comme quelque chose de négatif mais comme un bulletin de vote que tu vas donner à quelqu’un que tu soutiens dans son activité plutôt qu’une grande multinationale. Cette vision m’a beaucoup touchée.
Un autre, c’est Copeaux Cabana où tu as l’impression d’être dans le village de Peter Pan avec des cabanes de partout et des enfants assis sur les toits en train de regarder au loin ou encore de couper de grands tronçons de bois pour faire la charpente du nouveau bâtiment. C’était très poétique et photogénique, je me suis éclaté à faire de la photo !
Pour finir, je dirai aussi l’Aérium sur l’aspect vivre ensemble, gérer collectivement ses émotions en apprenant à se connaître en profondeur. L’un des fondements de leur communication est de changer la définition des mots, l’intention que tu y insuffles. Par exemple, si l’on prend la notion de tension, on ne la prend pas de façon négative mais comme un indice qui va faire évoluer le groupe. C’est comme l’amorce de ton muscle lorsque tu dois le tendre fort pour lancer quelque chose très loin.
LR&LP : Quel est l’éco-lieu qui a le mieux réussi à régénérer son environnement et comment ?
K.S : Ici, aux Alvéoles. Ce qui me touche le plus, c’est de voir comme on peut changer totalement de pouvoir. Renverser la donne. De passer de celui de la destruction, de la domination de notre environnement à celui de la régénération et créateur de vie. D’arriver dans un endroit où l’on peut se dire que l’on va faire tout un design pour cultiver l’eau, recréer une forêt, planter plein d’arbres fruitiers, comestibles à la fois, pour nous, terriens, mais aussi pour tous les micro-organismes qui sont dans le sol et les animaux qui nous entourent.
De voir l’impact positif que nous pouvons avoir. On se retrouve comme des castors à construire des structures immenses ! C’est un beau lieu d’expérimentation. Changer de regard sur le pouvoir de l’humain est ce qui m’a le plus marqué sur la route.
LR&LP : Quels sont les ingrédients d’un collectif qui marche et ne cède pas aux tensions du « Putain de Facteur Humain » ?
K.S. : La définition des mots. J’aime beaucoup ce que dit Pierre Rabhi, à savoir que ce « putain de facteur humain » peut-être sublimé en « précieux facteur humain ». Quand tu changes la signification d’un mot, tu peux y voir le précieux et te dire que cette info est inestimable pour le collectif.
Si tu ne vas pas bien, si quelque chose va mal avec quelqu’un et que ça te met en colère, il ne faut pas hésiter à le dire parce que si tu gardes tout ça à l’intérieur, ça s’envenime et ça pète au pire des moments. Avoir des moments privilégiés pour pouvoir s’exprimer et de transformer les mots permet au groupe, au collectif d’avancer.
De plus, apprendre à vivre ensemble, c’est d’abord apprendre à vivre avec soi-même, ce qui demande un énorme travail personnel.
Si tu es bien avec toi même, cela va se refléter sur les autres, développer la bienveillance dans ton regard ainsi qu’affiner ta compréhension du monde. Cela ne fait pas tout mais il n’y a pas de recette miracle. Chaque collectif à ses casseroles et ses moments compliqués mais aussi toutes ces casseroles-là sont des pépites qu’il faut célébrer et utiliser pour les sublimer.
La célébration te permet de passer au rêve qui te re-permet de passer à l’action, qui te re-permet de passer à la célébration en cercle vertueux.
LR&LP : Quel est l’une des leçons que tu as apprises à laquelle tu ne t’attendais pas ?
K.S. : Je pensais partir apprendre sur mon autonomie alimentaire et à cultiver des plantes et au final, j’ai surtout appris à cultiver les liens humains. Je ne m’y attendais pas, je croyais faire le tour de France en vélo avec un pote pour rencontrer des gens, faire des photos et des podcasts et en définitive, j’ai appris à regarder l’humain de manière différente. J’en suis vraiment heureux.
J’ai aussi énormément compris sur mon corps. Pendant trois ans, j’étais à vélo et je n’envisageais pas qu’il soit capable de le pousser avec tout mon matériel photo, faire des distances de dingue en traversant les Pyrénées ou encore les Cévennes ! J’ai redécouvert sa puissance. Je n’étais pas du tout cycliste et d’avoir vu comment mon corps apprend seul était vraiment impressionnant.
La France s’est aussi révélée à un rythme complètement différent. De région en région où tu as de nouvelles odeurs, de nouveaux sons, des plantes sauvages à manger.
Se nourrir de ces dernières a été une première pour moi. Traverser les Alpes en ne mangeant que des plantes comestibles a été la réalisation d’un très grand rêve, une expérience incroyable ! D’intégrer le fait que tu peux te nourrir principalement avec ce que tu as autour de toi ! De plus, c’est ce qu’on a fait pendant des milliers d’années avant de se civiliser et d’apprendre à cultiver.
LR&LP : Qu’espères-tu avec ce livre ?
K.S. : L’intention était de faire une ode au voyage, que les gens se disent : « je prends la route et je vais apporter ma pierre à tout ce monde en devenir ». Chaque jour des éco-lieux s’arrêtent parce que pour beaucoup, dans la durée, ça reste le putain de facteur humain. Mais, chaque jour, il y en a aussi qui naissent et qui ont besoin d’aide, sur un chantier … Tous ces lieux ont besoin de force humaine, de bras, de nouvelles histoires !
On a besoin de coolporteurs et coolporteuses pour aller construire ce monde-là ! Ce livre est vraiment une ode à ça. De déconstruire ce mythe que la permaculture consiste juste à travailler son autonomie alimentaire et de se mettre en autarcie. Mais plutôt de vivre dans une société en lien avec le vivant, l’humain et le paysage (végétal et animal). J’y ai par la photo, apporté une approche très sensible en essayant de l’aborder par une vision plus poétique.
Osez prendre la route ! Se mettre en mouvement, co-créer, c’est ce qui nous anime et qui rend le basculement possible !
Pour découvrir le livre de Kévin Simon : aller sur son site