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300 ans de lutte environnementales contre le mythe destructeur du progrès

Face au mépris, au refus brutal, à l’absence de discussion de ceux auprès desquels la contestation prend forme, un certain nombre de mouvements ont dû se radicaliser, voire quitter le mode pacifique, suivant en cela ce qui fut ensuite théorisé par Gandhi lui-même.

2021 ne signe pas l’avènement des luttes pour l’environnement. En tous temps, la notion de progrès a été portée, questionnée et combattue. Des sonnettes d’alarme ont été tirées face aux ressources naturelles et humaines que ce progrès demandait en regard des bénéfices attendus. Le livre « Une histoire des Luttes pour l’environnement » montre à quel point cette préoccupation est antérieure aux années 70 – « On aurait pu remonter bien avant, dit Steve Hagimont » – même si cette période représente une première massification de la bataille. Le couple théorie du progrès et croyance dans l’avenir technologique, puis la révolution industrielle ont renvoyé le vivant loin de l’humain : il faut inverser le processus. Et la lutte est engagée ! Un entretien mené par Isabelle Vauconsant.

« Une histoire des Luttes pour l’environnement » est paru aux Éditions Textuel. Il est le résultat du travail de Anne-Claude Ambroise-Rendu, Steve Hagimont, Charles-François Mathis, Alexis Vrignon et de l’iconographe Caroline Pochoy. Un livre passionnant, avec une profusion d’illustrations pour accompagner une histoire française, européenne et au-delà. Il s’adresse aux militants, étudiants, et tous ceux que l’histoire des idées intéresse.

Steve Hagimont travaille sur les controverses accompagnant les recompositions sociales et écologiques liées à l’essor touristique en montagne. Il est maître de conférence à l’Université Versailles – Saint-Quentin. Il répond à nos questions.

LR&LP : Le livre retrace trois siècles d’histoire des luttes, pourquoi cette durée ?

SH – Nous avons choisi de poser le curseur au démarrage de la révolution industrielle mais bien sûr, cela aurait pu commencer très longtemps avant. Ça correspond au moment, théorisé par Philippe Descola ou Bruno Latour comme le grand partage entre nature et culture. C’est à ce moment que la nature se trouve déplacée comme élément extérieur et exploitable pour le genre humain.

Ce rapport de domination de la nature est très masculin, constat porté par l’écoféminisme aujourd’hui. Cette place d’une nature asservie par les humains pour le profit est contestée dès le XVIIème siècle et des propositions plus sensibles se font jour comme celle de Gilbert White au XVIIIème siècle, présenté comme le père de l’écologie, par exemple.

« Il y a un fait bien connu en Amérique du Nord qui prouve que les arbres favorisent et entretiennent lacs et rivières : depuis que les bois et les forêts ont été défrichés, toutes les sources d’eau ont beaucoup diminué, de sorte que quelques rivières qui étaient très importantes il y a un siècle sont incapables maintenant de faire marcher un moulin ordinaire. Du reste, chez nous, la plupart des régions boisées, les forêts et les terrains de chasse ont beaucoup de mares et de fondrières, assurément pour les raisons données ci-dessus. » Histoire Naturelle de Selborne – 1793 – Gilbert White

LR&LP : En 1850, Henry David Thoreau, poète, naturaliste et théoricien de la simplicité volontaire, critique déjà les aliénations de la société marchande, dans son livre Walden ou la vie dans les bois. Mais, si sa critique remet en cause les fondements d’un système dont il perçoit les effets délétères, ce n’est pas le cas de tous les contempteurs du progrès.

Pour ceux qui se réfèrent à une nature ontologique, sans remise en cause possible, le progrès représente un éloignement de notre condition, déterminée par dieu, qui relève de l’affront. On est alors du côté de la réaction. Le mouvement patriotique écologique Heimatschutz du début du XXème siècle en Suisse est de ceux-là. Cette critique se situe où politiquement ?

SH – Une part de la critique est réactionnaire bien évidemment, comme celle d’Heimatschutz, et on pourrait la situer à l’extrême-droite à partir de la révolution française. À côté de ça, le courant humaniste issu de la révolution française qui pense en matière d’amélioration des conditions de vie pour les humains sur le plan social, s’inquiète aussi de la destruction de la nature comme c’est le cas pour Rousseau, dont les positions dans ce domaine à l’intérieur de son œuvre, célèbre, ne sont pas assez connues alors qu’il est une figure tutélaire des mouvements environnementaux.

Ce courant, très important, se situe du côté du progrès, à gauche de l’échiquier politique et lie les questions sociales – à la recherche d’une société plus égalitaire – et d’environnement – c’est-à-dire qui ne détruise plus le vivant.

C’est ce courant, aujourd’hui majoritaire, qui associe luttes pour l’égalité sociale et raciale, lutte contre la domination de l’homme et de l’Homme sur la nature et lutte pour l’égalité de genre. Pour beaucoup des penseurs de cette écologie-là, le respect de l’ensemble du vivant, dans lequel l’humain est inclus, est le fondement du respect comme valeur.

LR&LP : L’histoire des luttes, c’est aussi celle de leurs formes…

SH – Oui bien sûr et les modalités de luttes s’additionnent depuis le XVIIIème siècle. Les formes littéraires de la contestation sont bien connues et très anciennes. Les parlements sous la royauté, devenus tribunaux ensuite, permettent aux plaignants de faire juger les nuisances des manufactures ou des collectivités qui leur dénient des droits.

Très accessibles – il y en a un peu partout –  et peu onéreux, ils offrent à tout un chacun la possibilité de tenter d’obtenir réparation d’une gêne occasionnée sur leur environnement. Ils sont très largement utilisés qu’il s’agisse de pollution de l’eau ou des champs.

À partir de la deuxième moitié du XIXème arrivent les pétitions et les enquêtes d’utilité publique mises en place sous Napoléon ; elles ont survécu jusqu’ici et ont pour objet de recueillir l’avis des riverains sur des projets importants ayant un impact sur le collectif. Elles permettent de voir à quel point les contestations étaient déjà très nombreuses.

Bien entendu, il y a beaucoup de manifestations, la plupart pacifiques, au moins au départ, parfois violemment réprimées par le pouvoir. La plus emblématique est celle de Rio Tinto en Andalousie. 

Répression sanglante de la manifestation du 4 février 1888 – Crédit : Musée minier de Riotinto – Cliché APIC, 2015

Le 4 février 1888, sur une manifestation pacifique, le régiment de Huelva, qui venait d’arriver à Rio Tinto, a fait peut-être plus de deux cents victimes, paysans et ouvriers. Ils étaient venus demander qu’il soit mis fin aux » fumées » dégagées par les « calcinaciones » de pyrites exploitées par les compagnies minières britanniques pour en obtenir un certain pourcentage de cuivre, qui les étouffait.

Les modalités d’actions sont aussi nombreuses que les actions qui s’égrènent au fil des pages : l’humour avec l’émergence des dessins de presse, dont l’histoire récente nous aura appris qu’il n’est toujours pas accepté par les ennemis de la liberté. Plus dures, les actions de résistances commencent le plus souvent par la volonté pacifique de se faire entendre.

Face au mépris, au refus brutal, à l’absence de discussion de ceux auprès desquels la contestation prend forme, un certain nombre de mouvements ont dû se radicaliser, voire quitter le mode pacifique, suivant en cela ce qui fut ensuite théorisé par Gandhi lui-même. 

C’est le cas à petite échelle de ces randonneurs anglais de Kinder Scout en 1932. Ils sont près de 500 à se réunir au sommet du Peak District pour affirmer leur droit à profiter librement des landes interdites contre l’avis de leurs riches propriétaires.

La réponse est brutale : la police et les garde-chasses arrêtent 6 d’entre eux qui se voient condamnés à de la prison. Le combat prend dès lors une dimension politique, encourageant un combat sur un mode plus rude.

Plus tôt encore, en Ariège, ce qu’on appellera “La Guerre des Demoiselles” éclate et prend une ampleur inattendue. Un Code forestier adopté en 1827 “restreint drastiquement les droits d’usage dans les forêts domaniales communales et privées », tant pour le ramassage du bois de chauffage et de construction que pour la circulation du bétail.

“Gardes et tribunaux transforment en délinquants des milliers de personnes à qui les forêts fournissent des services vitaux. Des révoltes éclatent sur tout le territoire. “ 

Les insurgés d’Ariège se costument d’une longue chemise blanche et se font appeler “Demoiselles”. Ils utilisent la menace et la peur à l’encontre des charbonniers, occupent les forêts sur un mode festif, défilent, occupent et finiront par obtenir gain de cause. Dix ans plus tard, une nouvelle tentative de l’État se solde par une nouvelle explosion de colère et 9 morts : 4 militaires et 5 civils, dans le Vercors.

LR&LP : Quelles sont les formes les plus récentes ?

SH – La désobéissance civile est une forme du XXème siècle théorisée d’abord par Gandhi et rentrée dans le répertoire des luttes écologistes dans les années 60 et 70. Depuis, c’est un mode d’action très utilisé par les mouvements de défense de l’environnement, depuis les Amis de la Terre, Greenpeace jusqu’à Alernatiba ; ce sont des actions non violentes mais à forte portée déstabilisante.

« Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. » Henry David Thoreau – La désobéissance civile

LR&LP : Y a t-il de nouvelles formes actuelles de lutte ?

SH – Les modalités d’actions ne cessent de se recomposer dans la filiation des précédentes. Mais, il y a en ce moment des émergences intéressantes. L’investissement d’une partie de la jeunesse sous forme ritualisée de rendez-vous réguliers intégrés à l’agenda, c’est assez nouveau.

Et puis, il y a cette primaire écologiste qui a mobilisé comme jamais, même si les chiffres restent modestes ; cela signe un mouvement de nouvelle massification qui ne semble pas prêt de retomber.

On peut regretter, en cette période électorale, que les débats se polarisent sur les questions identitaires, reléguant au second plan les questions fondamentales que posent le climat et les enjeux de la défense de l’environnement mais aussi la croissance économique.

Or de plus en plus de scientifiques remettent en cause cette croissance et invitent à réfléchir au lien entre croissance et destruction de l’environnement. Ce devrait être un projet politique majeur et il va être masqué par ces sujets identitaires bien plus mobilisateurs tant pour les médias que pour les politiques qui s’en emparent.

Pour entendre l’échange complet entre Steve Hagimont et Isabelle Vauconsant, écoutez le Podcast TerraFocus

Crédit photo couv : Guerre des demoiselles – Office de Tourisme Saint-Girons

Isabelle Vauconsant

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