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​​Les élections législatives : dernier rempart contre la casse sociale

Tout aussi peu connu, l’article 89 de notre constitution permet à 185 députés d’un même bord d’imposer au gouvernement l’organisation d’un référendum citoyen au sujet d’une question choisie.

Face à l’alternative entre néolibéralisme autoritaire et l’extrême-droite qui se présente aujourd’hui à nous, l’horizon politique paraît d’autant plus sombre que la crise climatique est amorcée, et que la précarité s’est aggravée. L’élection présidentielle française résonne comme le choix ultime de ce que sera notre vie politique pour les cinq années à venir, et la défaite des alternatives écologistes et humanistes à ce scrutin paraît aujourd’hui totale. Pourtant, ce sentiment d’avoir raté notre dernière chance pour mettre ces projets au pouvoir repose sur un implicite selon lequel le ou la Président.e de la République détient automatiquement tous les pouvoirs de l’État. C’est une fausse conception : le pouvoir d’introduire, de censurer et de changer les lois appartient aux 577 députés du Parlement. Contre le défaitisme post-présidentielles, la génération qui a priorisé la justice écologique et sociale peut donc encore changer le cours des choses – à condition qu’elle s’empare de cette institution dévoyée de sa fonction ces cinq dernières années.

Le rouleau compresseur législatif d’En Marche

Le mandat 2017-2022 d’Emmanuel Macron a été marqué par un affaiblissement du pouvoir régulateur de l’Assemblée Nationale. L’emportant à la majorité absolue lors des législatives de 2017, cette dernière était rapidement devenue une « chambre d’enregistrement » au cours de son mandat. 

Cette tendance, que nous avons documenté, s’est nettement aggravée au cœur de la pandémie, lorsque le président a déclaré un « état d’urgence sanitaire ». Ce projet de loi court-circuitait plusieurs garde-fous, dont le débat parlementaire.

Ce dévoiement entêté du rôle de l’Assemblée par LREM se rattache à une tradition politique antiparlementaire qui nous provient directement du rédacteur de la constitution de 1958 : De Gaulle.

La possibilité, maintes fois saisie ces dernières années, de faire usage d’ordonnances ou de l’article 49-3 pour désarmer le contrôle parlementaire est l’indicateur concret de cet antiparlementarisme constitutionnel. 

Mais au-delà de la forme, il faut dire que le gouvernement LREM n’a pas cessé d’incarner une indifférence têtue aux résistances démocratiques, faisant passer des lois sécuritaires et liberticides malgré l’indignation populaire que cherchaient à faire entendre certains députés d’opposition au sein-même de l’Hémicycle. 

Entre 2017 et 2022, nous recensons dans cet article, puis dans celui-là, la liste des projets de lois que le gouvernement d’Emmanuel Macron fit valider par un pouvoir législatif rangé et aligné dont Richard Ferrand garantissait l’obéissance. Loi renseignement, secret des affaires, loi asile et immigration, loi sécurité globale, urgence sanitaire… Les exemples ne manquent pas.

Tout ceci culmine en une grave crise de la représentativité démocratique en France, et en un rejet intuitif des élections législatives par les plus jeunes générations, qui comprennent toutes ce que veut dire la musique du 49-3, mais du même coup ne comprennent plus à quoi servent les chambres parlementaires du Sénat et de l’Assemblée Nationale. 

Selon une étude datée de 2021, 40% des Français jugent ainsi l’Assemblée « inutile ».  

Lire aussi : Assemblée Nationale : le gouvernement Macron sabote le travail parlementaire et son rôle démocratique

Un contre-pouvoir face à l’exécutif

Pourtant, l’article 49-2, moins connu, rappelle qu’une Assemblée Nationale dont la majorité n’est pas alignée avec le Président peut constituer un réel contre-pouvoir à la toute-puissance exécutive. Aussi appelée « motion de censure », cet article permet à 58 députés d’un même parti de s’accorder pour déposer une motion de censure contre le gouvernement. 

Si cette motion de censure obtient une majorité de « oui » lors du vote, le gouvernement exécutif en place est dissous, et le ou la président.e doit le remplacer. Quoi que cela ne soit arrivé qu’une fois au cours de l’histoire de la Vème République, sa possibilité est dissuasive et peut instaurer un rapport de force entre les députés et le gouvernement (comme récemment lors de l’affaire Benalla). 

Tout aussi peu connu, l’article 89 de notre constitution permet à 185 députés d’un même bord d’imposer au gouvernement l’organisation d’un référendum citoyen au sujet d’une question choisie.

Au-delà de ces articles de loi, les députés animent le débat national, commandent des rapports, et incarnent le rapport de force entre les citoyens et le pouvoir. Leur alignement politique et leur quantité a de ce fait une influence réelle sur l’orientation du débat public et sur le comportement assumé par le pouvoir exécutif.

Enfin, un scénario extraordinaire existe où, si la majorité parlementaire n’est pas du même bord politique que la présidence, la majorité désigne directement les ministres du gouvernement. On appelle ce type de régime la cohabitation, c’est d’ailleurs l’objectif dorénavant poursuivi par l’Union Populaire, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon.

La majorité se charge dans ce cas de conduire les politiques des différents cabinets ministériels, tandis que le ou la Président.e voit son rôle restreint à des questions de défense, d’affaires étrangères et de justice. Si c’est son souhait, néanmoins, l’exécutif peut alors dissoudre l’Assemblée au nom de ses « pouvoirs propres ».

Crédit : Voltuan Redde
Lire aussi : Gueule de bois électorale : quand la justice sociale et l’urgence écologique sont mises au placard

Qui vote pour ceux qui votent les lois ?

Tout ceci étant dit, la crise de légitimité de l’Assemblée Nationale que nous avons mentionnée n’est pas également ressentie par toute la population. Lors des élections de 2017 qui donnaient la majorité absolue à LREM, FranceCulture fit le point démographique sur l’électorat des législatives. En utilisant les données d’Ipsos, l’article tirait plusieurs conclusions.

Les villes et les communes rurales se répartissaient un taux de participation égal. Par contre, les 18-24 ans étaient près de 80% à s’abstenir, tandis que cette proportion tombait à 39% chez les plus de 70 ans. Par ailleurs, les ouvriers et employés, eux, étaient presque 70 % à ne pas aller voter, tandis que les cadres et retraités y étaient allés massivement.

Répartition du taux d’abstention selon le revenu, la classe, l’âge et le partisanat, Ipsos Steria

Pour en revenir aux législatives à venir, ces chiffres sont à mettre en comparaison avec ceux du premier tour des présidentielles qui viennent d’avoir lieu. Lors de ce premier tour, nous avons vu une très nette tendance des plus de 34 ans à se polariser autour de l’alternative entre le néolibéralisme actuel de Mr. Macron et l’extrême-droite de Mme Le Pen. 

A cela s’ajoute une très nette préférence des milieux ouvriers pour les discours de cette dernière, mais le taux de participation aux législatives de l’électorat de Marine Le Pen restait plutôt bas en 2017. Nous pouvons donc supposer que, si ce sont les mêmes populations qui iront voter aux législatives cette année, le parti d’Emmanuel Macron en sortira à nouveau majoritaire.

Infographie tiré de l’étude d’Elabe sur les votes au premier tour

Ainsi, si les choses se passent comme en 2017, nous aurons vraisemblablement une nouvelle assemblée dominée à nouveau par la droite néolibérale, mais cette fois-ci avec une plus forte opposition constituée autour de Le Pen, de par la majorité de votants âgés de plus de 34 ans. 

Dans un tel scénario, les députés défendant une alternative éco-socialiste seront rendus minoritaires, et dès lors, les lois qui passeront au cours des cinq prochaines années ne seront ni amendées, ni introduites, ni censurées au nom de la justice sociale ou de l’intelligence écologique. Ce serait un deuxième désastre politique pour les plus jeunes générations. 

Au contraire, si cette génération se mobilise massivement, la troisième alternative défendue lors des présidentielles pourra exercer un pouvoir sur les lois et installer ses thèmes dans le débat public. 

Crédit photo couv : Lilian Cazabet / Hans Lucas via AFP

Pierre Boccon-Gibod

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