Elle a tout de suite été l’un des symboles du silence retrouvé dans les villes, et de la nature en répit. Venise, la ville aux 30 millions de visiteurs par an, est vide depuis cinquante jours. Vide ? Pas tout à fait. Les habitants retrouvent leur ville autrement que comme un musée où se ruent les touristes descendant des avions et bateaux-immeubles.
Certes le confinement est respecté et ce n’est pas à proprement parler une vie de village qui s’installe, mais d’un coup, on peut se croiser, se reconnaître dans le quartier, distinguer les contours de la place San Marco où les oiseaux prennent un bain de soleil à défaut d’être gavés par les touristes.
Dans une Europe qui reste le premier marché mondial du tourisme plus de 700 millions de touristes par an, qui concentre 50% du tourisme mondial, la crise du coronavirus va porter une atteinte sévère au secteur. 1 milliard d’euros par mois selon le commissaire européen en charge du marché unique et du numérique. L’Italie perdrait 7,4 milliards d’euros en trois mois.
À Venise, les élus et les habitants se demandent si ça n’est pas l’occasion de changer de politique. Le maire-adjoint de Venise chargé du développement économique déclare que :
« c’est l’occasion d’aller vers un tourisme intelligent, avec des touristes qui prennent le temps de comprendre et ainsi sortir des circuits frénétiques d’autrefois »
Prendre le temps, autrefois… on le disait dès le départ, toute crise amène des questionnements et peut être l’occasion de changements radicaux. Le rapport au temps et à l’espace sont radicalement interrogés durant cette période de confinement. Mais les acteurs de l’industrie du tourisme – hôtels, agences de voyage, musées, compagnies aériennes – ne le verront pas du même oeil. Pour eux le tableau de clés vides sonne le glas de leurs métiers.
Le tourisme est une économie difficilement maîtrisable, et extrême dans les profits comme dans les dégâts qu’elle génère. Elle fait le bonheur de certains locaux et le malheur des autres. À Venise comme à Barcelone ou Amsterdam, tandis que les hôteliers et restaurateurs font le plein, l’artisanat et le commerce local sont écrasés, les dégâts environnementaux sont massifs, et la vie locale n’existe plus.
Bien sûr, même après confinement, les voyages organisés ne reprendront pas immédiatement. Les mesures de distanciation devront être respectée pendant au moins un an même si les gens pourront à nouveau se déplacer.
Qu’on souhaite le retour du tourisme de masse ou pas, il va falloir inventer d’autres manières de faire.
C’est peut-être là que les défenseurs d’un tourisme responsable et ceux qui souhaitent le retour du tourisme de masse, vont devoir s’entendre. Que ce soit en attendant que la frénésie reprenne ou bien dans l’optique de changer durablement la politique touristique, il faudra bien trouver une autre manière de vivre la ville et de relancer l’économie, dans la période qui suivra immédiatement le confinement.
Dès lors le tourisme de proximité pourrait bien se développer, moins par conscience environnementale que par nécessité. Pour la Terre, peu importent les motivations, cela fera du bien quand même. Comme souligne l’écrivaine française Arielle Butaux installée à Venise :
« Il ne serait pas juste d’empêcher les touristes de revenir à Venise, mais il serait profondément injuste de continuer à spolier les vénitiens de leur ville. Ce n’est pas possible qu’on ait des artisans extraordinaires à Murano et que ces gens-là se fassent damer le pion par de la verroterie qui vient de Chine et qui retourne en Chine. On marche sur la tête. »
Comment mettre en valeur un patrimoine sans l’abîmer ? Comment faire que ces lieux magnifiques restent des lieux de vie au lieu d’être des lieux sans vie accueillant des hordes de touristes qui vivent d’une ville à l’autre la même expérience ? De la cité des doges aux villages de France eux aussi victimes de la montée des prix et désertés en dehors des touristes, un débat idéologique culturel et identitaire va avoir lieu.