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Une famille se bat pour sauver un puits ancestral menacé par l’élargissement d’une route

« La ferme est située dans un site boisé naturel, il y a des oiseaux, une biodiversité superbe. Et c’est une zone humide où passent des millions de litres d’eau. On se défend pour toute cette zone, car elle abrite une avifaune extrêmement riche et un vaste réseau de veines d’eau que nous avons cartographié. »

À Faucigny, en Haute-Savoie, se trouve une ferme datant de la fin du XVIIIe siècle, toute en pierre et en chaume. Depuis sept ans, Marie-Françoise Lacroix-Vesin et sa famille rénovent cette bâtisse héritée de ses grands-parents. Au cœur de ce lieu se trouve un puits d’eau potable qui sert non seulement pour l’irrigation du jardin, mais pour le troupeau de brebis et les volailles élevées sur place ainsi que pour les habitants de la maison. Autrefois, le puits se trouvait au bord d’un petit chemin piétonnier en herbe, qui faisait office de desserte agricole pour les champs en amont et en aval. Celui-ci a été goudronné dans les années 1970 par la mairie, sans que la population ne soit impliquée, en gardant sa largeur de 2,50 mètres. Récemment, la mairie a décidé de doubler la largeur de la voie.

Un projet absurde

C’est pour cette raison que Marie-Françoise Lacroix-Vesin et sa famille se sont engagés dans une lutte éprouvante pour préserver le puits. Celle-ci détaille pour La Relève & la Peste en quoi ce projet d’élargir la route pose un réel problème.

« Ce puits est déjà menacé actuellement par cette petite route. Car une route signifie qu’il y a des vibrations causées par les véhicules qui se transmettent en profondeur et peuvent faire des fissures. Par ces fissures peuvent passer des pollutions, des huiles qui ruissellent de la route. »

Or, le terrain où se trouve la ferme est délimité par deux torrents qui se déversent dans la rivière Arve, une importante rivière en Haute Savoie. Il s‘agit d’une zone humide classée en zone de glissement de terrain.

« Lorsqu’il pleut, il y a un ruissellement intense et la route se transforme en véritable torrent. Comme la route est aussi affaissée, les eaux de ruissellement se déversent contre le puits », explique Marie-Françoise Lacroix-Vesin. « Le maire, pour nous punir, refuse de recréer les revers d’eau que les anciens avaient créés pour que l’eau se déversent côté ruisseau plutôt que côté puits ».

Crédit : Les jardins de la Boussine

Un ouvrage d’une valeur inestimable

Le doublement de cette voie rurale, encourageant le passage accru de véhicules et de poids lourds, anéantirait pour de bon le captage d’eau. Pourtant, il s’agit d’une source particulièrement précieuse puisque la commune n’a pas d’eau sur son territoire et dépend des villages alentours pour s’approvisionner en eau potable.

De plus, précise Marie-Françoise Lacroix-Vesin « des analyses sont effectuées chaque année, elle est d’excellente qualité, minéralisée, et puise dans une veine d’eau qui vient des montagnes ».

En plus de l’eau potable, le puits lui-même mérite d’être protégé.

« Je ne peux pas le dater précisément, mais la maison date d’avant la révolution et on construisait les puits avant les maisons », note Marie-Françoise Lacroix-Vesin. « On suppose qu’il a 200 à 300 ans. Dans ce combat, nous bénéficions de l’aide du BRGM – Bureau de Recherches Géologiques et Minières – qui s’occupe de ce qui concerne le code minier donc tout ce qui est souterrain. Il nous a d’abord indiqué qu’il fallait déclarer ce puits, ce que l’administration autour de moi, en un an, ne m’avait jamais dit. Il a fallu une année avant que la DDT – la Direction Départementale des Territoires – ne nous envoie un récépissé, c’est-à-dire la reconnaissance de l’antériorité du puits ».

Depuis 2 ans, la famille est aidée par Isidore Plantey, président de l’Association des Amis des Puits, qui leur a apporté son savoir. C’est notamment grâce à lui qu’elle a pris conscience de la valeur inestimable de ce puits.

« Il s’agit d’une très belle construction appartenant à notre art vernaculaire, creusé à la main de l’homme à un endroit très précis, témoin d’un savoir-faire émérite disparu, dans un état de conservation excellent », décrit Adrien Lacroix, le fils de Marie-Françoise.

« L’intérêt est aussi historique car c’est un très bel ouvrage. Il a des anneaux empilés les uns sur les autres qui ont été crépis à la chaux. La DRAC – la Direction des Affaires Culturelles – s’est récemment intéressée à l’ouvrage pour le classer, très probablement », complète Marie-Françoise Lacroix-Vesin.

Crédit : Les jardins de la Boussine

Une zone naturelle menacée

De surcroît, l’élargissement de la route ne concerne pas que le puits.

« La ferme est située dans un site boisé naturel, il y a des oiseaux, une biodiversité superbe. Et c’est une zone humide où passent des millions de de litres d’eau. On se défend pour toute cette zone, car elle abrite une avifaune extrêmement riche et un vaste réseau de veines d’eau que nous avons cartographié. »

Pour Marie-Françoise Lacroix-Vesin, cet élargissement signifie « détruire le site, une saignée terrible dans le paysage et la rupture d’un couloir écologique parce que les oiseaux ne pourront plus passer. Il y aura encore plus de pollution et de bruit ».

Agrandir la route implique aussi de faucher à ras les bas-côtés et broyer les haies le long de la route.

« Elles ont été broyées cet automne alors qu’elles étaient pleines de baies pour les oiseaux », se souvient-elle.

La mairie veut aussi buser les fossés. « Ils ont été creusés par les anciens pour drainer l’eau de la zone humide. Les supprimer mènera à une catastrophe car on n’arrivera pas à drainer les millions de litres qui passent là par jour. Et ces fossés sont curés à blanc alors que ce sont des biotopes extraordinaires, remplis de grenouilles il n’y encore pas si longtemps ».

Il s’agit donc d’une lutte pour préserver tout un site naturel s’étendant sur plus d’une dizaine d’hectares, tout proche d’une zone Natura 2000.

Crédit : Les jardins de la Boussine

L’intérêt de la mairie

Dans ce contexte, comment expliquer l’attitude de la mairie ?

« C’est très simple, ils veulent urbaniser », répond Marie-Françoise Lacroix-Vesin. « En Haute Savoie on a une pression immobilière très importante, ça construit de partout, c’est absolument hallucinant. Il n’y a pas de PLU – Plan Local d’Urbanisme – dans notre commune, donc pas de règles. Il y a normalement le RNU – Règlement National d’Urbanisme – qui devrait prendre le relai, mais ils ne le suivent pas du tout. Ils font ce qu’ils veulent, ils n’ont pas associé la population à la réflexion sur l’occupation de notre territoire ».

Depuis plusieurs années, la lutte pour le puits a nécessité de passer beaucoup de temps à se documenter.

« Il faut aller chercher les articles de loi – et il y en a beaucoup des lois qui protègent l’environnement, on pourrait même penser qu’avec toutes ces lois l’environnement devrait être préservé – et en fait je découvre comment l’administration arrive à ficeler les choses de manière à les contourner. Comme ils ont la connaissance de ces lois, ça leur est facile. Tandis que nous, nous ne l’avons pas. Donc il faut qu’on aille les chercher, qu’on les comprenne, qu’on rentre dans les codes. C’est très difficile car c’est un travail de fourmi ».

Crédit : Les jardins de la Boussine

Une fracture

Dans cette entreprise, plusieurs associations ont déjà soutenu la famille.

« Certaines vont probablement se remettre dans la bataille, notamment FNE », suppose Marie-Françoise Lacroix-Vesin. « A partir du moment où la zone est répertoriée comme zone humide, ils envisagent de reprendre le combat. Mais ils m’expliquent aussi que c’est très difficile pour eux car ils croulent sous les dossiers. C’est invraisemblable. Ils sont très peu nombreux, la plupart sont bénévoles et c’est difficile d’être partout ».

Ce différend avec la mairie lui a donné le sentiment qu’il existe à présent une véritable fracture.

« J’ai 60 ans, je suis d’ici, je vois mon village qui change, je vois cette pollution, je vois plein de choses qui n’étaient pas comme ça et qu’il faut prendre en main. J’ai créé une AMAP, une fois que je serai en retraite nous allons la faire vivre. Nous avons aussi créé des jardins partagés, tout un espace où des familles viennent cultiver, car nous sommes persuadés qu’il va falloir être solidaires les uns des autres. J’ai comme l’impression que nous sommes deux groupes de Français, c’est comme si on ne se comprenait plus.

Certains se disent : il faut qu’on avance différemment, qu’on devienne beaucoup plus résilients, qu’on fasse attention à notre environnement et qu’on mette tout en œuvre pour le préserver. Et puis cette autre fraction de la population qui ne voit pas, qui s’acharne, qui se crispe sur la vie d’avant. Sauf qu’on ne peut plus vivre comme avant » conclut Marie-Françoise

Pour en savoir plus : Les Jardins de la Boussine

Marine Wolf

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