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Un projet d’autoroute risque de balafrer le parc naturel régional de Camargue et détruire 200 ha de terres agricoles

« Le projet d’autoroute entend aussi franchir des rizières certifiées, continue Marie-Hélène Bousquet-Fabre, ainsi que des champs d’agriculture biologique, des pâturages de mérinos d’Arles labellisés, des zones d’élevage de taureaux et de chevaux de race Camargue. Autant d’emblèmes de la région sur lesquels il devrait être impensable de rogner ! »

À Arles et dans le pays de Camargue, l’opposition grandit contre le projet de contournement routier « Sud-Vigueirat », qui serait extrêmement destructeur pour la biodiversité et le patrimoine local. Agriculteurs, associations et scientifiques se sont constitués en collectif, mais la bataille ne fait que commencer.

Un projet vieux de 25 ans

Plus grande commune de France (près de 76 000 hectares), Arles est aussi l’une des plus bouchonnées. Située sur l’axe Espagne-Italie, passage obligé pour relier Marseille et Montpellier via Nîmes, la cité millénaire des Bouches-du-Rhône accueille chaque jour 80 000 véhicules, dont 15 à 20 000 poids lourds.

Du matin au soir et même la nuit, ils circulent le long de la route nationale 113, un tronçon d’une trentaine de kilomètres assurant la continuité routière entre deux parties de l’A54 tout en desservant le centre-ville arlésien.

Pour tempérer les mille désagréments que cette procession ininterrompue de camions inflige aux quelque 5 000 riverains de la RN 113, un projet de contournement routier est sur la table depuis plus de 25 ans.

Dès les années 1990, une dizaine de projets de décongestion sont étudiés, mais aucun ne parvient à emporter une franche adhésion. Il faut attendre 2005 et l’arbitrage du ministre de l’Équipement de l’époque pour que le scénario sobrement baptisé « Sud-Vigueirat » soit sélectionné. 

Ce tracé prévoit de construire 13 kilomètres d’autoroute nouvelle, deux voies dans chaque sens, en parallèle de la RN 113. Partant du péage d’Eymini, cette première portion franchirait la Crau verte, la Camargue orientale, le Rhône et enfin la Grande Camargue, avant de se greffer à la route nationale actuelle, dont un second tronçon de 13 kilomètres serait réaménagé en quatre voies, jusqu’au péage de Saint-Martin-de-Crau.

Sinuant au beau milieu de zones marécageuses et inondables, ce projet, jugé trop risqué, est très vite remis en sommeil. Une décennie après l’arbitrage, il semble même s’être transformé en vieux serpent de mer.

C’était sans compter l’élection, en 2017, de Monica Michel, députée LREM des Bouches-du-Rhône, qui a fait du contournement l’un des thèmes principaux de sa campagne.

En 2018, le dossier est ainsi rouvert. Un rapport sur les mobilités du quotidien, constatant que le tracé « ne fait pas l’unanimité au plan local », recommande de poursuivre « la concertation et les études en vue de déterminer rapidement la solution technique la mieux adaptée », mais le gouvernement préfère la rapidité et classe le contournement comme projet national prioritaire dans sa loi « d’orientation des mobilités », adoptée le 24 décembre 2019.

Alors que le tracé Sud-Vigueirat vient de faire l’objet d’une consultation publique, qui s’est close le 31 janvier dernier, vingt-quatre associations et entités locales — parmi lesquelles l’Arles Camargue Environnement & Nature (ACEN), Agir pour la Crau, la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, le syndicat des riziculteurs de France, l’université Domaine du Possible —, se sont constituées en collectif pour s’opposer à ce qui représente pour elles un attentat contre « l’identité même de la Camargue et de la Crau ».  

Flamants rose de Camargue – Crédit : Image par Association Posidonia

Des menaces pour le patrimoine naturel et agricole

Leurs griefs sont légion. Dans une tribune adressée à la DREAL de Provence-Alpes-Côtes-d’Azur, le collectif souligne que le projet d’autoroute détruirait 140 à 200 hectares d’espaces agricoles, perturberait « l’écosystème de nombreuses espèces végétales et animales protégées par la réglementation » et empiéterait sur plusieurs zones qui jouissent de labels nationaux, européens et même internationaux depuis des décennies.

« Le tracé actuel ne se contente pas de traverser le parc naturel régional de Camargue, nous explique Marie-Hélène Bousquet-Fabre, vice-présidente de l’ACEN. Il passe aussi à proximité d’une réserve nationale et de zones humides protégées par la Convention de Ramsar, le réseau Natura 2000, les directives Oiseaux et Habitats et inscrites au Programme sur l’homme et la biosphère (MAB) de l’UNESCO. Je ne comprends pas qu’avec toutes ces barrières, on puisse ne serait-ce qu’envisager un tel projet. »

Enserrée entre les deux bras du Rhône et la mer Méditerranée, la Camargue constitue l’une des plus grandes zones humides d’Europe. Composés de lagunes salées, de marais d’eaux douces, d’étangs, de dunes, de plages et de roselières, ses 150 000 hectares abritent un écosystème unique, une nature encore sauvage et une agriculture ayant réussi à faire passer la tradition dans la modernité.

Le foin de Crau est par exemple le premier et seul aliment pour animaux qui bénéficie aujourd’hui d’une appellation d’origine contrôlée (AOC).

« Le projet d’autoroute entend aussi franchir des rizières certifiées, continue Marie-Hélène Bousquet-Fabre, ainsi que des champs d’agriculture biologique, des pâturages de mérinos d’Arles labellisés, des zones d’élevage de taureaux et de chevaux de race Camargue. Autant d’emblèmes de la région sur lesquels il devrait être impensable de rogner ! »

Taureaux de Camargue – Crédit : Christian Ferrer

Balafrer un parc naturel régional avec un tronçon autoroutier, comment est-ce possible ?

« En le déclassant, répond la vice-présidente de l’ACEN. Il y a quelques années, on s’est rendu compte que si l’autoroute était actée, l’emprise du chantier, 900 mètres de largeur environ pour un résultat de 300 mètres, déborderait sur le parc. On en a donc tronqué une petite partie au nord, par anticipation, avec la promesse de la reclasser après les travaux. »  

Membre du collectif, la Tour du Valat suit le dossier depuis 25 ans. Déjà, dans les années 2000, cet institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes s’opposait au tracé Sud-Vigueirat, qu’il estimait inadapté au patrimoine naturel local.

« Le projet est né en 2005, témoigne Jean Jalbert, son directeur. C’était un autre temps. Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé dans la société. Les attentes et la stratégie nationale ne sont plus les mêmes. »  

Crédits photos : Gilles Martin-Raget

En janvier dernier, la Tour du Valat a rédigé une analyse du projet soumis à concertation par la préfecture, afin de l’évaluer au regard des engagements de la France postérieurs à l’arbitrage de 2005, dans les domaines du climat et de la biodiversité.

Le résultat est sans appel : le contournement Sud-Vigueirat, en son état actuel, s’oppose aussi bien à la Stratégie nationale bas carbone (2015) qu’à la loi pour la Reconquête de la biodiversité (2016) et au Plan biodiversité de 2018.

« Dans notre analyse, commente Jean Jalbert, nous avons cherché à démontrer que l’argumentaire de la DREAL est faible, très faible. Aucun des éléments que fournissent les services de l’État ne sont étayés, tous les chiffres montrent que le projet fait fausse route et aggrave notre déficit en matière de réduction des transports routiers. »   

La réunion des deux sections de l’A54 augmenterait la circulation des poids lourds en provenance du grand port maritime de Marseille (GPMM). Ce serait même l’une des ambitions officieuses du projet. Certains opposants remarquent que la députée Monica Michel a occupé pendant 18 ans la fonction de directrice commerciale du GPMM. Mais celle-ci se défend de tout conflit d’intérêts : seuls comptent le bien-être et le confort de la population…

En empruntant cet axe routier, les poids lourds accélèreraient aussi la construction de plates-formes logistiques à Saint-Martin-de-Crau, d’aires de repos, de parking, etc., c’est-à-dire l’artificialisation des sols.

« Bref, soupire Jean Jalbert, rien n’est fait pour respecter le principe éviter-réduire-compenser, pourtant au cœur de la stratégie nationale. »

Parmi les dix propositions de contournement routier débattues dans les années 1990-2000, il existe une variante nommée « sous-fluviale longue » ou « V0 enterrée ». Ce tracé consisterait à faire passer l’autoroute sous le Rhône, afin qu’elle ressorte de terre juste avant l’embranchement avec la RN 113.

Selon la Tour du Valat, cette variante serait « la seule option à peu près compatible avec les objectifs zéro artificialisation et zéro perte nette de biodiversité ». Seulement, son coût dépasserait celui des scénarios en surface, d’où le choix du fuseau Sud-Vigueirat…

La vice-présidente de l’ACEN, quant à elle, préfèrerait qu’il n’y ait pas de contournement du tout et que le gouvernement envisage de réduire le trafic routier grâce aux transports en commun et le report modal (ferré, fluvial et maritime) des flux de marchandises.

« Cependant, quitte à choisir, déclare-t-elle, l’État devrait faire table rase de tout ce qui a été proposé et rechercher une solution à moindre coût environnemental. »

Quoi qu’il en soit, le tracé Sud-Vigueirat semble très mal parti. Des études d’ingénierie récentes ont conclu qu’une partie de l’autoroute devra être bâtie sur pilotis, du fait des crues du Rhône et d’espaces marécageux qui compromettent l’imperméabilité du béton. La mise sur pied de ce viaduc fera enfler le prix du contournement, ôtant toute justification au tracé « le plus destructeur ». Et pendant ce temps, l’opposition s’organise. La concertation publique l’a galvanisée.

Crédit photo couv : Rambouil jean

Augustin Langlade

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