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Un ermite vit depuis 30 ans sans eau, ni électricité en haut d’une falaise pour protéger le bois de Païolive

« En étudiant la nature, je vois la sagesse de Dieu dans les arbres, les fleurs, les rochers et les insectes. Protéger la nature, c’est retenir. On ne peut pas tout empêcher, remettre la nature comme elle était mais on peut faire des efforts pour empêcher la catastrophe. »

Comme deux âmes complémentaires, l’un passionné d’histoire, l’autre, gardien des mémoires du temps et des océans anciens, Jean-françois Holtof et le bois de Païolive témoignent du récit de notre Terre. Dans l’ermitage St-Eugène, sur la falaise dominant le Chassezac, Jean-françois Holtof nous raconte sa vie d’ermite et sa mission de vie : protéger le bois de Païolive, alliage de calcaire et de végétation qui en fait une forteresse encore préservée des aléas climatiques.

Jean-François Holtof et le bois de Païolive

Jean-François Holtof, 75 ans et moine de l’abbaye de Cîteaux près de Dijon, vit depuis 30 ans ans sans eau, ni électricité dans un ermitage culminant le bois de Païolive, joyau de la biodiversité du sud Ardèche.

« J’ai découvert le bois peu à peu parce que je vis à son orée. Ici, c’est une vieille forêt et du karst runiforme. Je me sens à l’aise dans cet environnement calcaire. C’est une roche lumineuse, propre, purifiante. » explique-t-il à La Relève et La Peste

C’est avec son livre « La terre et la sagesse » entre les mains que Jean-François nous raconte son parcours. Après 20 ans de vie monastique commune, il a souhaité la poursuivre en solitaire tout en restant membre de sa communauté. C’est ainsi qu’il s’est mis à chercher un ermitage. Après un an d’essai dans les Alpes, un moine de Senan lui a parlé de ce lieu situé près de Les Vans, au carrefour des Cévennes et de l’Ardèche méridionale.

« Le propriétaire était content de me voir arriver car il ne savait pas trop quoi faire de cet ermitage qu’il avait reçu en héritage. J’ai commencé à m’installer mais personne n’avait vécu là depuis la révolution. Il y avait beaucoup de travaux à faire, et cela reste limité car il n’y a pas d’électricité et d’eau courante. »

L’ermitage de Jean-François Holtof – Crédit : Kevin Simon

Cela fait maintenant 30 ans qu’il prend soin du lieu. Ses journées commencent vers 2h du matin pour se terminer à 22h. Elles sont composées de lectures, de prières, d’offices, d’entretien et de travail administratif pour l’association Païolive qu’il a co-fondé en 2004.

« La vie monastique est très régulière. C’est nouveau tous les jours, mais ce qui est nouveau est inséré dans le quotidien. Cependant mes activités sont variables en fonction des saisons, surtout comme je n’ai pas d’électricité, l’éclairage n’est pas le même. »

Jean-François est arrivé prêt à cette vie en solitaire car devenir moine lui a appris à être en rupture avec le monde. Mais dans la solitude, c’est une symbiose avec le lieu qu’il habite qu’il a créé par son mode de vie.

« Je suis très content d’être là. Il y a un rapport à la nature qui est important. C’est une chose qui m’a poussé à la vie érémitique d’avoir un contact avec elle. Il ne suffit pas d’être dans la nature, il ne suffit pas d’admirer un beau paysage. Il faut apprendre à lire le livre de la nature et y voir la sagesse qui l’habite. »

Jean-François Holtof dans le bois de Païolive

Jean-François Holtof dans le bois de Païolive

Le bois de Païolive, un écrin préservé

Pour Jean-François, le réchauffement climatique n’a pas vraiment impacté le bois qui est protégé par un micro-climat. L’humidité qui remonte du sol et qui est portée par les courants d’air en caressant la roche calcaire provoque une forme de climatisation naturelle favorable à la forêt.

« Sur les Gras (plateaux de rochers, ndlr), il y a plus de sécheresses, plus longues surtout. Il tombe environ 1m d’eau par an depuis 20/30 ans. Les saisons sont un peu différentes mais cela dépend beaucoup des années. »

Selon lui, le plus grand danger encouru par le bois réside dans le tourisme de masse dans ce sanctuaire qui n’est pas une zone protégée. C’est pour cela qu’avec son association, qui compte 200 adhérents et 30 personnes actives, ils concentrent leurs actions sur trois axes : étudier, sensibiliser et protéger.

« Au bord de l’eau, les gens ne se rendent pas compte que sous les galets, il y a plein de vie qui s’y réfugie. Quand ils arrivent, ils s’amusent à faire des barrages, des petits tas, ils piétinent tout. Le but, c’est de les sensibiliser à la vie aquatique. »

Il collabore avec des naturalistes et des scientifiques qui font l’inventaire de l’incroyable biodiversité du bois.  Aujourd’hui, ils recensent plus de 5000 espèces dont l’emblématique cétoine bleu (scarabée bleu) et plus de 350 espèces de mousses, qui en fait un site d’intérêt européen.

« Les entomologistes qui étaient là il y a 40 ans retrouvent presque les mêmes espèces mais en nombre beaucoup plus restreint. Les populations diminuent, et c’est vrai aussi pour les oiseaux, les chauves-souris, les reptiles, mais les espèces en elles-mêmes sont toujours là. C’est une base de laquelle on espère que la biodiversité repartira. Autant il y a des endroits sur la planète où les espèces disparaissent très vite, autant ici on ne peut pas dire ça. » partage-t-il à La Relève et La Peste

La mémoire du bois et de ses roches

Dans ce labyrinthe sinueux que Jean-François connaît comme sa poche, chaque recoin cache une histoire passionnante. Il s’arrête pour nous en conter quelques-unes comme la formation du bois et de sa roche calcaire.

« Ça, c’est du calcaire (en montrant les rochers) qui s’est formé il y a 130 millions d’années. »

Avec le retrait de la mer, l’érosion a commencé à décaper le calcaire. Puis le plissement des Pyrénées (rencontre de la plaque ibérique et européenne) a fracturé le massif calcaire émergé. Les fleuves ont ramené plein de sédiments aux pieds des Cévennes. Une couche d’alluvions a recouvert tout le massif où la végétation s’est installée. La respiration acide des plantes et l’eau chargée de gaz carbonique a dissous le calcaire.

L’érosion a sculpté ici un univers surréaliste. Quand le ruissellement a tout enlevé, il est resté ces rochers aux formes arrondies, que notre imagination assimile à autant de créatures qui surplombent le bois tels ses gardiens.

Le secret des arbres rampant au sol, lui, viendrait vraisemblablement de la cavitation, c’est-à-dire d’une entrée d’air dans le circuit de circulation d’eau des arbres. Une dépression peut alors se créer et provoquer une embolie. Comme cet endroit est assez difficile pour les chênes, cela peut leur coûter beaucoup d’énergie de s’élever droit. Plutôt que de la dépenser à faire monter la sève verticalement, ils ont pris des parcours plus sinueux, horizontaux où ils dépensent moins d’énergie.

« On pense que comme c’est une forêt qui n’a jamais été gérée par des sylviculteurs, les arbres ont pu tranquillement s’adapter sans être coupés. » s’émerveille Jean-François

« Là j’ai enlevé la couche du lichen (il gratte avec un caillou la paroi du rocher) et si vous regardez, c’est vert. Quand il pleut où c’est humide, le vert ressort. Ce sont des algues, des cyanobactéries. »

C’est-à-dire les premiers êtres vivants, apparus dans l’océan, à faire de la photosynthèse. Il y a 4 milliards d’années, ils ont modifié l’atmosphère en pompant le CO2 et en rejetant de l’oxygène. Après les cyanobactéries, viennent les lichens, symbioses entre des algues et des champignons. Ils produisent des spores partout dans l’air, une sorte de plancton aérien qui nourrit les mousses qui viennent coloniser les croûtes de lichen.

Les mousses creusent le calcaire et quand elles meurent, cela fait de la matière organique offrant une zone propice à la naissance de fougères, les premiers végétaux. Après, ce sont les plantes vasculaires (végétaux supérieurs à tige, racine(s) et feuilles) qui apparaissent jusqu’aux arbres. Un seul rocher du Bois de Païolive recompose ainsi tout le processus d’émergence du Vivant.

Engagement spirituel et protection de la nature

« Je protège le bois de Païlove parce que je vois que la nature est très menacée aujourd’hui. Cette crise de la nature est très récente, cela remonte à deux siècles à peu près. Ce que j’appelle dans le livre la grande transformation et ce que vous appelez le capitalisme. L’industrialisation a commencé en Angleterre et s’est répandu ensuite dans le monde entier. Elle a détruit la sagesse partout où elle passait, comme la Peste. »

Son choix de vie érémitique a été en partie pris afin de se rapprocher de la nature et l’impacter le moins possible.

« La destruction des habitats avec l’artificialisation de sols est l’une des causes principales de l’effondrement de la biodiversité. Ici, je cohabite, parfois, il y a des chauve-souris, des serpents, des araignées qui rentrent mais tout le monde ne peut pas vivre comme ça. (rires) »

Protéger la nature passe tout d’abord par la connaître pour comprendre ses mécanismes mais aussi comment il est possible de la préserver.

« En étudiant la nature, je vois la sagesse de Dieu dans les arbres, les fleurs, les rochers et les insectes. Protéger la nature, c’est retenir. On ne peut pas tout empêcher, remettre la nature comme elle était mais on peut faire des efforts pour empêcher la catastrophe. »

Quelque part, le combat spirituel mené par Jean-François est un miroir commun avec ceux qui luttent avec leur cœur ouvert pour la protection du Vivant.

« La nature, on est dedans, il n’y a pas l’homme et la nature face-à-face. Pour moi, c’est par le Créateur que le lien se fait en le reconnaissant dans sa création. »

Par sa foi, Jean-François Holtof est en quelque sorte devenu le protecteur du bois de Païolive dont il s’est donné la mission de défendre sa biodiversité. 

« Ce bois a quelque chose d’unique. Il faut vraiment le garder, c’est une réserve pour toutes les générations futures » conclut-il.

Sources : « Sécheresse et embolie gazeuse chez les arbres », 30/08/2016, INRAE

Liza Tourman

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