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Un camp de réfugiés hors-norme risque de provoquer un incendie meurtrier dans la plus grande forêt des îles d’Egée

« Vous mettez une allumette au cœur la de forêt la plus inflammable qui soit. Vous mettez aussi au cœur de cette flamme 5 000 personnes. Ce sera un crime sans fin. »

Un gigantesque camp de migrants est en construction sur l’île grecque de Lesbos, au cœur d’une vaste forêt protégée et hautement inflammable. Financé par l’Union Européenne, le projet est vivement critiqué pour ses conséquences désastreuses, tant sur le plan écologique qu’humanitaire. Un reportage d’Isabelle Karaiskos.

Il aura fallu rouler quelques 26 km, depuis Mytilène, capitale de l’île de Lesbos, en Grèce, pour arriver à proximité du site de Vastria. À perte de vue, des centaines de milliers de pins habillent l’île jusqu’aux montagnes de Tavros. 

Classée Natura 2000, étendue sur plus de 30 000 hectares et encerclée par tout autant de surface d’oliveraies, la pineraie de Lesbos constitue la plus grande forêt des îles d’Egée-Septentrionale. Le lieu abrite aussi plusieurs espèces d’oiseaux « rares et uniques », comme la cigogne noire, une espèce protégée.

Une des cigognes noire résidente de la foret a été prise en photo à 500 mètres de l’entrée du chanKer. – Crédits : Michalis Bakas

Mais dans ce cadre paisible et isolé, l’odeur ambiante de résine, propre au pins, trahit leur particularité : une haute inflammabilité. 

« Avec les vents que nous avons parfois ici, on peut s’imaginer la vitesse à laquelle pourrait se propager un incendie », note Christos Tsivgoulis, président de la communauté de Komi, localité proche de la forêt. « Comment peut-on une seconde y avoir pensé un camp de réfugiés ? »

C’est pourtant bien ici, sur le lieu-dit de Vastria, au cœur de cette forêt protégée et hautement inflammable, que le gouvernement grec a choisi de construire, depuis un peu plus d’un an, le plus grand camp fermé de migrants d’Europe. Déjà bien apparent, le chantier s’érige sur une trentaine d’hectares, encerclé par les milliers d’arbres adjacents. 

Mais à seulement quelques mois de l’ouverture théorique du camp, maintes fois reportée, le chantier se heurte à une forte opposition des habitants et des collectivités locales. Depuis le début du chantier, en janvier 2022, plusieurs rassemblements, parfois houleux, se sont organisés sur l’île. 

Rassemblement d’opposants au projet sur le site de Vastria, au tout début du chanKer, en février 2022. – Crédit : Christos Tsivgoulis

« Une allumette au cœur la de forêt la plus inflammable »

À Lesbos -qui reste encore aujourd’hui l’un des points d’entrée principaux des demandeurs d’asile en Grèce, plusieurs incendies sont recensés chaque année dans l’actuel camp provisoire de l’île, Kara Tepe. 

En 2020, l’ancien et tristement célèbre camp de Moria, qui avait accueilli jusqu’à 22 000 personnes, dans des conditions qualifiées d’« inacceptables » par les Nations unies, avait, lui, été intégralement dévasté par les flammes. 

« Vue les conditions de vie difficiles, les camps sont particulièrement propices aux incendies, qu’ils soient accidentels ou volontaires », explique Michalis Bakas, environnementaliste, opposant au projet, membre du parti écologiste grec et très engagé pour les droits des personnes migrantes sur l’île.

En février dernier, la question posée au Ministère des Migrations par Kríton Arsénis, un député de l’opposition, évoquait les ravages potentiels du camp de Vastria : 

« Vous allez donc installer cette structure […] dans la plus grande forêt de pins de la mer Égée ? Il n’y a qu’une certitude, elle va brûler. Ce n’est pas une éventualité. C’est une certitude. […]. Les habitants seront perdus et tous les villages des alentours seront en danger. La nature sera détruite. Les oliveraies seront détruites. Cette île ne s’en remettra jamais. (…) Vous mettez une allumette au cœur la de forêt la plus inflammable qui soit (…). Vous mettez aussi au cœur de cette flamme 5 000 personnes (…). Ce sera un crime sans fin. »

Pour Christos Tsivgoulis, « en cas d’incendie, il sera impossible d’évacuer les plusieurs milliers de résidents et 700 salariés d’un lieu aussi difficile d’accès et en pleine forêt ; on en a déjà fait les frais en Grèce, à Mati, en 2018 ». 

Ce dernier évoque aussi les potentielles répercussions pour les paysans et les habitants vivant du près d’un million d’oliviers existants à Lesbos, dont une grande partie borde la forêt.

De son côté, Yiorgos Dinos, chef du syndicat des pompiers de la région avait déclaré, en juin dernier à l’AFP, qu’il s’agit du « pire endroit possible pour construire le camp. (…) Si un incendie se déclare là-bas, il brûlera la moitié de l’île ».

Un bras de fer judiciaire oppose aujourd’hui le Ministère des Migrations et de l’Asile à la Région, qui s’est associée à des collectivités locales, dont fait partie Christos Tsivgoulis. Ensemble, ils ont saisi le Conseil d’Etat sur des motifs environnementaux.

La forêt est bordée de milliers d’oliviers, source de revenu pour de nombreux insulaires. A gauche sur la photo, l’un des pressoirs de l’île. – Crédit : Isabelle Karaiskos

Pirouettes juridiques et ordonnances improvisées

La collectivité territoriale d’Égée-Septentrionale a rapporté que, grâce à une pirouette juridique et des ordonnances improvisées, le Ministère des Migrations avait débuté le chantier sans même avoir élaboré d’Étude d’impact sur l’environnement préalable (EIE), en baissant la jauge officielle initiale de 5000 résidents à 3000 – jauge qui lui a permis d’éviter l’obligation d’une EIE. 

« En réalité, l’on voit bien que selon les plans du chantier et leur cahiers de charges, au moins 7000 places officielles sont prévues, et lorsque l’on a vécu l’expérience des précédents camps, on sait que les autorités sont capables d’entasser jusqu’à 10 000, voire 20 000 personnes dans ces camps », affirme Christos Tsivgouli.

Suite à sa saisie, le Conseil d’État a pour le moment ordonné la suspension de la construction de la route menant au futur camp de Vastria. 

Le projet nécessite en effet, en plus d’un réseau d’alimentation en électricité et en eau, la construction d’une route asphaltée sur au moins 2,5 km, qui traversera la partie Natura 2000 de la forêt et provoquerait « des dommages irréversibles ». 

Cette route implique l’abattage de 1095 pins, et près de 6000 arbres supplémentaires devront être abattus pour la mise en place d’une « zone anti-feu », permettant de « sécuriser » le secteur, selon le Ministère des Migrations et de l’Asile.

Aucune « localisation d’éventuels sites de nidification ou de passages d’espèces d’oiseaux importantes sur le site du projet », ni de « notification à l’office des forêts en cas de découverte d’animaux ou d’oiseaux blessés ou morts » ne sont prévus, selon l’avis du Conseil d’État grec. Ce dernier souligne en outre dans son avis qu’il existe une structure déjà en place, celle de l’actuel camp de Kara Tepe.

« Tout cela, donc, alors qu’un nouveau camp moderne et adapté, construit ailleurs que dans la forêt, par exemple sur le même emplacement que l’actuel camp, à moins de deux kilomètres de la capitale, aurait parfaitement fait l’affaire », fulmine Christos Tsivgoulis.

Un exemple de « zone anK-incendie » dans la forêt, à proximité du futur camp. Cela consiste à raser tous les arbres pour établir une « ceinture » de sécurité. – Crédit : Isabelle Karaiskos

Isoler totalement du reste de l’île les habitants du camp 

Pour Natassa Papanikolaou de l’ONG Lesvos Solidarity comme pour plusieurs organisations sur place, il s’agirait en réalité pour les autorités « d’isoler totalement du reste de l’île les résidents du camp, dans un mépris total des répercussions humaines et humanitaires ».  

Les premières villes et les infrastructures élémentaires se trouveront en effet à plus de deux heures de marche du camp de Vastria. 

« Les commerces, les écoles, et pire, les hôpitaux seront très difficilement accessibles pour les demandeurs d’asile », explique Theodoros Alexellis, chargé des relations publiques à l’UNHCR de Lesbos. 

« Cela sera désastreux, en particulier pour les femmes enceintes ou les personnes ayant des problèmes de santé », ajoute Natassa Papanikolaou.

Surtout, le camp de Vastria, « isolé au fin fond d’une forêt inaccessible, se trouvera loin des regards, de celui des habitants, de certaines ONG, mais aussi des journalistes. Personne ne verra ni combien ils sont, ni qui ils sont, ni ce qu’il s’y passe », affirme de son côté Michalis Bakas.

Le camp de Vastria, qui doit être construit sur le modèle controversé du camp de Samos, sera un « Centre Fermé à Accès Contrôlé » (CCAC). La liberté de circulation y sera restreinte, avec des horaires pour les sorties autorisées du camp, et les résidents déboutés du droit d’asile ne seront pas autorisés à en sortir.

« Ces structures sont par définition extrêmement problématiques », confie Theodoros Alexellis. « La sécurité ne devrait pas outrepasser les droits humains élémentaires ».

LocalisaKon du camp. – Source : Ministère grec des MigraKon et de l’Asile

Le projet, estimé à 87,5 millions d’euros est financé à 100% par l’Union Européenne, via le mécanisme d’aide d’urgence du programme Protection Civile et Operations d’Aide Humanitaire Européennes, qui indique ne pas avoir choisi l’emplacement du camp.

À quelques jours des élections législatives, le chantier, déjà très avancé, se poursuit, y compris durant les jours chômés. Le Ministère grec des Migrations souhaite ouvrir le camp dans quelques mois et mise sur un rejet de la demande d’interdiction de la construction de la route. 

Une décision en défaveur de la route pourrait, elle, remettre en question l’ensemble du camp et mettre en difficulté l’État grec qui a déjà engagé une partie des fonds européens alloués. Le Conseil d’État devrait se prononcer d’ici la fin de l’été.

Sources : Protection Civile et Operations d’Aide Humanitaire Européennes / ΚΟΙΝΩΝΙΑ, « Παιχίδι » με τη Βάστρια και τους αριθμούς…. 2.950 και 5.000 – Σε εξέλιξη ο δικαστικός αγώνας, 17/03/2023  / Médiapart – En Grèce, des camps de migrants aux allures de « prisons » vantés par Darmanin – Elisa Perrigueur, Vera Deleja Hotko, Franziska Grillmeier et Katy Fallon, 15 octobre 2021 / Απόφαση-βόμβα του ΣτΕ στα θεμέλια της Βάστριας – Γιώργος Παγούδης, 02.01.2023

Isabelle Karaiskos

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