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« Tous les spectacles sauvages du Grand Nord m’ont fait croire en la vie »

C’est au contact du Grand Nord, dont on pourrait dire que la circonférence est partout et le centre nulle part, que Françoise est devenue photographe professionnelle. Spectatrice privilégiée, elle se sentait en devoir de partager avec le reste du monde « la fragilité, la vulnérabilité de ces régions qu’on pense éternelles ».

À l’occasion de la sortie d’ANIMAL, son cinquième livre-journal, La Relève et la Peste brosse le portrait des huit auteurs qui ont contribué à faire de ce numéro « le seul tour d’horizon aussi complet du monde animal ». Aujourd’hui, nous vous présentons Françoise Gervais, chef d’expédition, photographe et autrice du texte « Chaleur dans la froidure ». Vous découvrirez tous ces merveilleux clichés dans notre ouvrage.

« L’appel du large » : rien ne résumerait mieux l’existence de Françoise Gervais que ce poème en trois strophes de Baudelaire. Pour celle qui fut tour à tour ornithologue, spécialiste de la conservation, photographe et chef d’expédition dans le Grand Nord, le voyage ne représente pas un passe-temps, une simple évasion, mais un métier, un tourment, une vocation. Une seconde nature.

1983 : Françoise naît au Québec. Si elle connaît le froid de l’hiver, rien ne la destine encore à se marier aux pôles. À la fin du secondaire, elle étudie pendant deux ans les sciences naturelles. Mais déjà quelque chose lui murmure de partir. Ce sera la France puis l’Écosse, où elle a l’ambition de perfectionner son anglais, nécessaire pour parcourir le monde.

À cet âge, il faut se trouver des raisons. Au nord de la Grande-Bretagne, Françoise se trouve un petit boulot, puis « le reste du temps c’est la liberté », dit-elle pour parler de ses multiples incursions dans les Highlands écossais.

De retour en terre natale, elle poursuit ses études en aménagement du territoire, seule matière qui lui permet de se spécialiser dans l’environnement. Deux années passent, finie l’université. Françoise est engagée par une association de protection des zones humides. Elle négocie des terrains, recense la faune et la flore, participe à la création de réserves naturelles…

Mais malgré ses interventions sur le terrain, la vie de bureau l’ennuie, la monotonie la révulse, les larges frontières de son immense pays ne lui suffisent plus. Françoise a vingt-huit ans et elle songe au large, au grand, noble, véritable voyage, qui vous emmène jusqu’aux confins du monde. 

Et un beau jour, le départ. Françoise rencontre une personne qui lui propose d’embarquer pour une expédition à l’extrême ouest du Canada, vers l’île de Vancouver, au large de laquelle se trouve le plus grand observatoire sous-marin du monde : un réseau de huit cents kilomètres de fibre optique, connecté à plus de deux cents instruments de mesure. Durant un mois, notre argonaute étudie les espèces sous-marines, pousse le jeu jusqu’à en rédiger l’inventaire, nourrit son âme de découvertes.

Mais revenue sur la terre ferme, voilà que ses rêves se couvrent à nouveau d’étendues blanches. Le bourdon, une sorte de mal du pays inversé s’empare de Françoise, qui cherche à repartir, interroge ses connaissances, prospecte, s’informe sur les prochains départs. Là encore, c’est une rencontre qui va la pousser y aller, mais il s’agit cette fois d’une expédition intégralement féminine : plongée et apnée du Canada au Groenland. Françoise doit investir toutes ses économies. Qu’importe. Le navire est affrété, on embarque ! C’est là qu’un événement imprévu va bouleverser sa vie.

« Dans les heures qui ont précédé l’appareillage, raconte la photographe, un membre d’équipage s’est fracturé la cheville. Il ne pouvait plus partir pour l’Arctique. Comme j’avais de l’expérience dans la navigation, on m’a demandé de le remplacer. Puis l’expédition s’est achevée au Groenland, où un avion devait nous déposer en Colombie-Britannique. L’équipage, lui, continuait de naviguer tout l’été. On m’a proposé de rester. Deux heures avant de prendre l’avion, alors que tout le monde partait, j’ai sauté sur le navire et je ne suis revenue que quatre mois plus tard. »  

Ce saut marque une progression dans la vie de Françoise. On est en 2013, et pour elle c’est la fin d’un monde — ou le début d’un nouveau. Sa carrière de guide vient de commencer. Après avoir aidé la NASA à cartographier des fonds marins le long des glaciers du Groenland, une compagnie l’embauche comme chef d’expédition en Arctique. À partir de cette période, elle ne rentre plus chez elle que pour les vacances.

Les pôles de son existence s’inversent. Loin des territoires francophones qui l’ont vue naître et grandir, elle partage son temps entre les terres de Baffin, tout là-haut, tout au nord du monde, de mars à novembre, et la Colombie-Britannique, quand vient la redoutable période de la nuit polaire.

De merveilleux projets ne cessent de la retenir dans le Grand Nord. Elle accompagne l’équipe de Fisher Stevens sur le tournage du documentaire Before the Flood, puissant plaidoyer pour la sauvegarde de notre planète. Puis elle conduit des « mountain bikers » jusqu’à l’île d’Axel Heiberg, à l’ouest de l’Eureka, juste avant le pôle magnétique.

« C’est l’endroit du monde qui a le moins bougé depuis la séparation des continents. Je ne suis jamais allée plus au nord. Dans ce territoire complètement désertique, il se passe toujours des choses incroyables », affirme Françoise, dont les anecdotes suffiraient certainement à noircir un livre.

Il y a par exemple l’histoire de ce loup arctique : sorti de nulle part, l’animal rare à la fourrure immaculée croisa son chemin sans lui adresser le moindre regard et disparut pour toujours dans l’horizon glacé, « comme s’il avait fréquenté toute sa vie les êtres humains ».

Il y a aussi cette fois où un bœuf musqué fit mine de charger sur une équipe de tournage, avant de prendre la tangente au dernier moment. « Un coup de bluff, quoi ! » Françoise était partie voir les souches fossilisées, derniers témoins d’une époque où le Grand Nord était recouvert de forêts luxuriantes semi-tropicales. Platanes, sycomores, châtaigniers, épicéas, pins y sont enfermés dans la glace depuis quarante-cinq millions d’années.

C’est au contact du Grand Nord, dont on pourrait dire que la circonférence est partout et le centre nulle part, que Françoise est devenue photographe professionnelle. Spectatrice privilégiée, elle se sentait en devoir de partager avec le reste du monde « la fragilité, la vulnérabilité de ces régions qu’on pense éternelles ».

L’exploratrice attend parfois des heures, des jours avant d’immortaliser le furtif renard arctique, ou le scintillement d’une aurore boréale. Peu à peu, elle a appris à connaître les animaux qu’elle photographie et qui sont pour elle comme un point de jonction entre les deux mondes, celui des villes géantes et l’autre, où « la nature a encore le contrôle, où les êtres humains n’ont pas encore tout transformé ».

Le comportement de ces animaux sauvages a précipité chez Françoise une forme de renaissance.

« Une ourse polaire et ses petits sortant de leur tanière, des manchots protégeant avec tant de précaution leurs œufs quand ils changent de place, la résilience des renards arctiques, qui résistent à des températures atteignant -50 degrés, tous ces spectacles m’ont fait croire en la vie. Ils me donnent envie de continuer. »

Aujourd’hui, comme chacun le sait, les régions polaires sont parmi les plus menacées du monde. Mais Françoise refuse de s’abandonner au pessimisme. Selon elle, il équivaudrait à s’avouer vaincu, à renoncer à l’avenir et du même coup à compromettre l’existence des êtres qui lui ont tant donné.

« Si je crois en l’ours polaire et le renard, je dois croire aussi en toute la chaîne dont les maillons dépendent les uns des autres, et qui inclut l’être humain. »

Plutôt que de se laisser envahir par cette anxiété si caractéristique de l’époque, Françoise préfère révéler la meilleure part des hommes, celle de pouvoir choisir la voie vertueuse, de pousser vers un équilibre qui ne leur ferait plus honte.

En attendant que la lumière succède à la nuit polaire, plutôt que de céder au désespoir, l’optimiste voyageuse préfère se remémorer tous ces minuscules événements qui témoignent du miracle de la vie, la résistance, l’entraide inconsciente des animaux, le cycle des saisons…

Alors qu’elle songe à sa prochaine expédition en Arctique, on lui voit de nouveau briller au fond des yeux l’appel du large, celui-là même qui fit écrire au prince des poètes :

« Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! »

Augustin Langlade

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