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Thomas Sankara : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous »

En quatre ans à la tête du pays, Thomas Sankara bouscule largement l’ordre hérité de la colonisation : il rebaptise le pays « Burkina Faso », ce qui signifie « pays des hommes intègres », et mène une politique anti-impérialiste, tiers-mondiste et d’inspiration communiste.

Aujourd’hui s’ouvre un procès exceptionnel : celui de quatorze personnes accusées d’avoir contribué à l’assassinat du président du Burkina Faso Thomas Sankara et de membres de son entourage en 1987. Avec un absent de marque : Blaise Compaoré, l’ex-ami de Sankara, qui lui avait succédé lors de ce putsch. Trente ans après la mort de ce héros africain, la légende de Thomas Sankara a dépassé les frontières de l’Afrique de l’Ouest. Portrait d’un dirigeant humaniste mais sulfureux, qui fit beaucoup pour l’affirmation d’une identité africaine, et pour la construction du Burkina Faso.

Une figure de l’humanisme

« Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger » ;

en 1984, Thomas Sankara concluait avec ces mots, empruntés au poète latin Térence, son discours face aux Nations unies.

Avide de liberté pour les peuples, radicalement insoumis et incarnant une droiture exemplaire, cet ancien dirigeant du Burkina Faso est aujourd’hui considéré comme une icône dans toute l’Afrique de l’Ouest, même trente ans après son assassinat dans des conditions mystérieuses.

Né le 21 décembre 1949 en Haute-Volta (ancien nom colonial du Burkina Faso), Thomas Sankara est un militaire de formation : formé à l’Ecole militaire inter-armée (EMIA) de Yaoundé au Cameroun, aux côtés de son compagnon Blaise Compaoré (qui sera président du Burkina Faso de 1987 à 2014), il dirige pendant l’essentiel de sa carrière la formation des commandos burkinabés.

A partir de 1981, il se lance en politique dans un contexte extrêmement tendu : depuis l’indépendance du pays, proclamée en 1960, les coups d’Etat militaires se succèdent (3 entre 1960 et 1982).

Ancien premier ministre de Jean-Baptiste Ouédraogo, Sankara est limogé, sans doute sous pression du gouvernement français, qui redoute ses positions. Le militaire décide alors de prendre le pouvoir par les armes, se plaçant à la tête d’un Conseil national révolutionnaire, d’inspiration marxiste.

En quatre ans à la tête du pays, Thomas Sankara bouscule largement l’ordre hérité de la colonisation : il rebaptise le pays « Burkina Faso », ce qui signifie « pays des hommes intègres », et mène une politique anti-impérialiste, tiers-mondiste et d’inspiration communiste.

Parmi ses initiatives les plus populaires, on compte l’abolition du travail obligatoire pour les petits paysans, la promotion de l’égalité des sexes, l’interdiction de l’excision et de la polygamie, le lancement de chantiers de logements sociaux, l’instauration de la vaccination de masse, la rénovation du réseau ferroviaire, le combat pour l’alphabétisation (passée de 5% à 20% pour les hommes en quatre ans).

En termes de gouvernement, Thomas Sankara a aussi mené une politique exemplaire d’éloignement de la France : prêchant la droiture, se déplaçant en Renault 5, il lutte contre la corruption, tient tête au président Mitterrand, et expérimente la démocratie participative avec les Comités de défense de la révolution (CDR).

Il se fera enfin tête de file du Mouvement des non-alignés, prononçant de nombreux discours historiques aux Nations unies en faveur de l’indépendance du Tiers-monde et contre l’assujettissement à la dette, qu’il considère comme un cadeau empoisonné de la colonisation :

« la dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers », plaide-t-il dans son discours.

sankaratop

Le côté obscur de la force

Pourtant, aussi vertueux que l’était Thomas Sankara, sa façon de gouverner n’était pas exempte de zones d’ombre. Même si son engagement et ses actions ont fait date dans l’histoire du Burkina Faso, il était exigeant et impatient.

Sous son gouvernement, les syndicats et partis politiques étaient interdits, les exécutions n’étaient pas rares, selon le principe qu’il faut « démocratiser le violence pour mieux l’assumer » ; droit, honnête et éclairé, le gouvernement de Sankara n’en était pas moins une dictature.

Cet état de fait n’est, selon le journaliste François Soudan, pas étranger à la mort brutale de Sankara. En effet, celui-ci est assassiné de douze balles le 15 octobre 1987, lors d’une réunion au Conseil de l’Entente (une organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest).

Cet homme a, comme le dit bien le chroniqueur Abdourahman Waberi, « donné voix et corps à la force morale d’un peuple, à sa capacité d’indignation et à son désir d’être libre ».

Portrait de Thomas Sankara – Source

Un mystère bientôt percé

Trente ans après, la mort du charismatique dirigeant et de ses douze compagnons reste largement inexpliquée. En effet, l’enquête a longtemps été bloquée par Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso de 1987, année de la mort de Sankara, à 2014, date de la seconde révolution burkinabè.

En 1987, Thomas Sankara aurait dit : « Si un coup d’Etat a lieu contre moi, cela ne peut venir que de Blaise. Il connaît toutes mes habitudes. » `

Le procès qui s’ouvre aujourd’hui à Ouagadougou doit déterminer si Blaise Compaoré, lui-même renversé par une insurrection populaire en 2014 après être resté au pouvoir durant 27 ans suite au décès de son compagnon d’armes, est bien l’homme qui a ordonné l’assassinat de Thomas Sankara.

Après la chute de M. Compaoré, l’affaire a été relancée par le régime de transition démocratique. Un mandat d’arrêt a été émis contre lui par la justice burkinabée en mars 2016. En février 2020, une première reconstitution de l’assassinat de Sankara s’est déroulée sur les lieux du crime, au siège du Conseil national de la révolution, à Ouagadougou.

Blaise Compaoré vit actuellement en Côte d’Ivoire, où il s’est enfui après sa chute et dont il a obtenu la nationalité. Il a annoncé qu’il ne se présentera pas devant les juges. Me Pierre-Olivier Sur, son avocat français, boycottera de la même façon ce rendez-vous judiciaire. Il devrait donc être jugé par contumace.

Pour l’avocat de la famille Sankara, Me Prosper Farama, ce procès reste important : « Même sans la présence de Blaise Compaoré, il est important qu’il se tienne. Cela fait trente-quatre ans que le peuple burkinabé a soif de justice. »

Morceau de l’affiche du film documentaire « Capitaine Thomas Sankara »

Aujourd’hui, le Burkina Faso traverse une grave crise sécuritaire, marquée par la multiplication des attaques terroristes et des violences intercommunautaires. Cette période de crise rend ce procès d’autant plus intense pour les Burkinabés qui devront faire face à un épisode sombre de leur histoire.

Pour rendre la situation plus complexe, il faut aussi prendre en compte l’implication possible de la Côte d’Ivoire et de la France dans l’affaire. En effet, avec les démêlés qui opposaient Sankara et Mitterrand depuis son voyage au Burkina Faso en 1986, le gouvernement français avait tout intérêt à le voir disparaître.

Les archives nationales de la France sur le sujet étaient protégées par le secret d’Etat, et ce jusqu’à 50 ans après les faits. En novembre 2017, Emmanuel Macron s’était engagé devant des étudiants de Ouagadougou à déclassifier des documents « secret-défense » pour les transmettre au juge burkinabé chargé de l’enquête afin d’étudier le rôle éventuel de la France dans cette affaire.

Pour François-Xavier Verschave, auteur de La Françafrique (Stock, 1998), ce rôle ne fait aucun doute :

« Jacques Foccart [grand architecte de la “Françafrique”, un système politico-économique fait de contrats juteux et de barbouzeries] et l’entourage de Kadhafi convinrent, en 1987, de remplacer un leader trop intègre et indépendant par un Blaise Compaoré infiniment mieux disposé à partager leurs desseins. L’Ivoirien Houphouët fut associé au complot.

Une figure mythique

Depuis sa mort tragique, Thomas Sankara est entré dans la légende pour de nombreux jeunes, aux côtés de Nelson Mandela, à l’image de Che Guevara. Parce qu’il a brièvement incarné la voie du peuple, et vécu en accord avec cette condition, il est aujourd’hui le héros d’innombrables images, vidéos, reportages, BD, ou encore chansons (notamment Underground System de Fela Kuti ou Sankara d’Alpha Blondy).

Malgré son passé et ses méthodes tumultueuses, Thomas Sankara incarne une Afrique libérée du colonialisme et fière de sa condition. Cet homme a, comme le dit bien le chroniqueur Abdourahman Waberi, « donné voix et corps à la force morale d’un peuple, à sa capacité d’indignation et à son désir d’être libre ».

A l’heure où une grande partie de l’Afrique connaît encore de paresseuses dictatures postcoloniales, tandis qu’une autre est ravagée par la guerre civile et le terrorisme, une figure comme celle de Thomas Sankara, pour qui « seule la lutte libère », est une promesse de révolte et d’émancipation.

Crédit photo couv : DOMINIQUE FAGET / AFP

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