A l'occasion de la journée mondiale des zones humides, Aurélie Charbonnel revient sur les enjeux de préservation du Lac du Bourget et des marais de Chautagne dont elle est responsable, pour le Conservatoire d’Espace Naturel de Savoie. Retour en quelques lignes sur la politique de gestion des niveaux du lac, la pression de plantes exogènes, et les concertations entre les différents acteurs du territoire afin de préserver au mieux cet écosystème.
Le 2 février a lieu la journée mondiale des zones humides. Initiée en 1971, celle-ci commémore l’adoption de la convention de Ramsar sur les milieux humides et met en lumière ces espaces naturels dont la beauté et l’importance restent méconnues.
Un territoire exceptionnel
Connu comme le plus grand lac naturel français, le lac du Bourget cumule un stock de 3,6 milliards de mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’eau potable française.
Situés au nord du lac, qui s’étend sur 44 km2, les marais de Chautagne occupent quant à eux plus de 2000 ha. Ils représentent la plus grande zone humide de Savoie.
Se trouvant sur le couloir de migration des oiseaux allant de l’Europe du Nord à l’Afrique, le site a accueilli en 2020 jusqu’à 20 000 oiseaux de différentes espèces. C’est notamment cette affluence qui a justifié sa labellisation Ramsar, le plaçant parmi les zones humides d’importance internationale.
“Il y a d’autres critères qui justifient la labellisation Ramsar. Notamment la présence d’1% des individus de la population globale d’espèces d’oiseaux d’eau, comme ici la nette rousse”, explique Aurélie Charbonnel.
Des espaces à protéger
Les zones humides représentent l’un des écosystèmes les plus menacés de la planète : plus de 60% d’entre elles ont disparu ou ont été asséchées depuis 1900.
“Elles nous rendent de nombreux services gratuitement, qui si l’on devait les remplacer, seraient coûteux en argent public. Et l’on ne peut pas compenser leur perte”, précise Aurélie Charbonnel.
La régulation des niveaux d’eau du lac fait partie des pressions majeures sur le site.
“Depuis 1985, le niveau du lac est géré grâce au barrage du canal de Savières. Il a désormais une côte estivale et une côte hivernale, définies pour répondre aux enjeux socio-économiques : gestion des crues, accessibilité des ports, exploitation agricole des marais… “, relate Aurélie Charbonnel.
Le canal de Savières fait le lien entre le Rhône et le lac du Bourget, dont il est l’unique exutoire. C’est à partir des années 1950 que débute la mise en place d’aménagements pour l’exploitation hydroélectrique du Rhône, menant à la déviation d’une partie de son contenu. Afin de pallier la baisse du niveau du fleuve, un barrage est construit au débouché du canal.
Or, historiquement, le marnage naturel du lac atteignait au maximum 4 mètres, pour une amplitude moyenne de 2 mètres. Depuis ces aménagements, le niveau d’eau varie de 30 centimètres seulement.
Cette différence d’amplitude n’a pas manqué d’impacter la biodiversité. En effet, lors de la réalisation de ces ouvrages les enjeux environnementaux et l’impact sur le milieu étaient loin de se trouver au cœur des débats.
“Les considérations de l’époque n’étaient pas les mêmes. C’est grâce aux études réalisées, notamment sur les roselières du lac, que l’on a constaté les incidences sur le patrimoine naturel ”, explique l’écologue.
Ainsi, de vastes programmes de travaux ont été entrepris depuis les années 2000 pour restaurer les écosystèmes, plantations, dispositifs de protection contre la houle… Ils s’inscrivent dans la continuité des actions d’amélioration du système d’assainissement des eaux usées, engagées par la collectivité dès les années 80.
Plus récemment, depuis 2017, c’est une opération de « baisse exceptionnelle » qui est désormais instaurée un automne sur quatre, afin de redynamiser les roselières. Cela permet leur reproduction naturelle et leur rôle d’épurateur par exondation des rhizomes. Toutes ces actions combinées permettent aux roselières de s’étendre à nouveau.
Une richesse biologique à conserver
Par ailleurs, la présence d’espèces exotiques envahissantes, telle que la renouée du Japon, exerce une pression supplémentaire sur le site. Cette plante très compétitive colonise rapidement les milieux grâce à ces rhizomes, ce qui concurrence les espèces végétales autochtones.
“Des actions sont entreprises afin de limiter l’expansion de la renouée. Mais la lutte peut mobiliser des moyens très importants, pour des résultats aléatoires… Il faut donc bien mesurer le rapport coûts pour la collectivité – bénéfices pour la biodiversité,” estime la chargée de mission du CEN.
Une nouvelle technique de traitement a été expérimentée sur les plus gros foyers de renouées, au sud du lac du Bourget. Cette dernière consiste à enfouir sur place et ennoyer les rhizomes de renouées, en créant des mares – propices également au développement de nombreuses espèces.
La concertation entre acteurs du territoire
Parallèlement à ces actions, le travail engagé au nord du lac du Bourget pour la restauration du marais de Chautagne s’est vu récompensé par le prix national du génie écologique spécial zone humide en 2020.
La mise en culture du marais au 20ème siècle, suite à la création d’un réseau de drains de plusieurs centaines de kilomètres, a eu de lourdes conséquences sur le fonctionnement de la zone humide et sa biodiversité.
Selon les naturalistes, certaines pratiques agricoles sont en partie responsables, en raison du travail du sol et de l’utilisation de produits phytosanitaires.
“Il fallait enrayer la dégradation du marais, ce n’était plus possible de poursuivre dans cette direction. Certaines cultures, comme le maïs, ne sont pas adaptées en zone humide”, explique Aurélie Charbonnel.
« Des travaux ont été réalisés en 2019 afin de reboucher une vingtaine de kilomètres de drains, et remettre en place un couvert végétal et des pratiques agricoles adaptées. C’est le fruit de plusieurs années de dialogue au niveau local ”, poursuit cette dernière.
Aurélie Charbonnel précise que le rôle du CEN est d’accompagner les politiques territoriales pour la prise en compte des enjeux écologiques, sur la base de leur propre volonté. Finalement, ce sont les territoires qui choisissent ou non de s’emparer de ces problématiques.
Tout l’enjeu de la réalisation de tels projets réside donc dans le travail de concertation et de dialogue entre les différentes parties prenantes. La vraie réussite se trouve dans l’accord qui est né entre élus, exploitants, chasseurs… L’ambition de l’association reste de favoriser ces synergies.
“La dynamique et les actions initiées depuis plusieurs décennies sont en train de porter leurs fruits. Preuve en est, la communauté d’agglomération a déposé une candidature pour un projet de réserve Homme et Biosphère de l’UNESCO. Cela va vraiment dans le sens de ce que l’on souhaite impulser ”, conclut Aurélie Charbonnel.