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Rouen : un campus « écotechnologique » veut détruire 60ha de forêts

Depuis une quinzaine d’années, 200 hectares de cette forêt ont été rasés et bétonnés au nom de l’innovation éco-responsable. Et récemment, la métropole a donné son feu vert pour en éradiquer 60 hectares de plus. Comme lors de la violente expulsion de la ZAD de la Dune, à la mi-avril, des coupes massives ont eu lieu en plein confinement dans la forêt du Madrillet, tandis que bien évidemment, personne n’était là pour la défendre.

À Rouen, 60 hectares de forêts et de landes silicicoles vont être rasés par la Métropole pour y construire un nouveau campus « à l’américaine », consacré aux « écotechnologies ». Les promoteurs de ce projet absurde parlent de quartiers « écoresponsables », de « végétalisation » et de « compensation », mais ce greenwashing ne sauvera que leur conscience. Youth for Climate a déjà lancé une pétition pour faire arrêter les travaux.

La forêt du Madrillet en danger

« Rouen Madrillet Innovation » : voilà le petit nom d’un cycle de déforestation et d’artificialisation des sols qui vient d’entamer sa nouvelle phase, dans la commune de Saint-Étienne-du-Rouvray, au sud de l’agglomération rouennaise (Seine-Maritime). Porté depuis de longues années par la Métropole Rouen Normandie avec la bénédiction des communes avoisinantes, le Technopôle du Madrillet est un immense campus universitaire, « dédié à l’implantation d’entreprises innovantes spécialisées dans les éco-technologies », selon les mots de ses promoteurs.

Cette « pépinière » censée réunir « entreprises et centres de recherche autour de savoir-faire reconnus à l’échelle européenne » est implantée sur les cendres de la forêt qui l’entoure et qui se nomme elle aussi, triste héritage, Madrillet.

Depuis une quinzaine d’années, 200 hectares de cette forêt ont été rasés et bétonnés au nom de l’innovation éco-responsable. Et récemment, la métropole a donné son feu vert pour en éradiquer 60 hectares de plus.

Bordant sa plus vaste et célèbre consœur de la Lande-Rouvray, la forêt départementale du Madrillet ne couvre plus que 306 hectares. Pourtant, son écosystème possède de très précieuses particularités. Outre sa végétation variée abritant des massifs mixtes, de feuillus ou encore d’arbres résineux ; au-delà de sa faune abondante (chevreuils, sangliers, renards, lapins), la forêt de Madrillet se situe dans une des boucles de la Seine, un fleuve qui n’a cessé de charrier des quantités de sable durant son histoire.

De ce fait, elle comporte des milieux naturels dits « silicicoles », parce que la végétation y pousse à même le sable, en un sol pauvre en nutriments. Dans ces landes typiques des vallées de la Seine, des espèces rares d’animaux ont depuis bien longtemps élu domicile, favorisées par un habitat idéal.

C’est le cas de l’engoulevent d’Europe et du lézard des souches, une espèce protégée par la loi en France, dont l’environnement a peu à peu été grignoté par l’avancée des carrières de sable exploitées par les géants du BTP, qui comptaient bien rendre lucratives les ressources de la vallée. Aujourd’hui, maintes anciennes landes, dépouillées de leur sable, sont inondées par les eaux.

Lézard des sables – Crédit

Combien coûtera, non pas aux finances publiques, mais à la nature elle-même, l’agrandissement du campus du Madrillet ? Soixante hectares de forêts et de landes, soixante hectares de plus, sacrifiés pour un « accélérateur d’écotechnologies »… Le projet d’extension a déjà commencé.

À la fin du mois de janvier 2020, le chantier du premier quartier universitaire de 3 hectares, nommé « We Hub » (barbarisme qu’on ose à peine traduire par « Nous Centre »), a vu affluer pelleteuses, défricheuses et bétonnières, qui transformeront d’ici 2021 cette forêt en « grand parc d’activité et véritable campus à l’américaine », comme le disent les fossoyeurs en charge du projet, dans un article partisan du journal local Paris Normandie.

Et Christèle Morin-Deforceville, directrice du département économique de la Métropole, de préciser : « Les acteurs veulent réellement un écocampus, un lieu ouvert et connecté dans lequel on trouve des services mutualisés, des équipements, des transports plutôt doux, une offre de restauration et des activités culturelles. »

Entendez, tout simplement : un hôtel trois étoiles, cinq immeubles de bureaux, des restaurants, un coworking, une salle de sport, une crèche, des arrêts de bus… La ville, en fait. C’est la société de construction de Vinci qui s’occupera d’étendre le campus sur la forêt. Le financement est entièrement assuré par des fonds privés.

Les ravages ont déjà commencé – Source : Rouen dans la rue

Le prétexte de « l’écotechnologie »

Le cabinet d’architectes rouennais auquel a été octroyé le projet « We Hub », pour sa part, semble assumer cette pratique grossière de greenwashing : « À travers un défrichement mesuré, le projet vient habiter la forêt par des clairières accueillant les bâtiments et stationnements. L’îlot est desservi et structuré par des allées et sentiers en fusion avec le paysage de forêt. »

Bref, tous les acteurs ayant des intérêts en jeu sont d’accord pour dire que ce développement d’immeubles nouveaux et d’infrastructures en béton respectera l’écosystème de la forêt, comme si un campus flambant neuf de 60 hectares pouvait être glissé dans les bois à la manière d’une cabane, sans étouffer la végétation ni déranger les animaux.

Projet We Hub – Rouen Métropole

La Métropole promet que les bâtiments seront végétalisés, qu’on bétonnera le moins possible, que le défrichement sera fait « hors période de nidification » (sic) et que d’autres lieux seront restaurés (le site des terres du Moulin à Vent, déjà rasées et polluées), pour compenser la destruction de ces espaces naturels. Mais on sait bien qu’une fois l’anthropie passée, il est extrêmement difficile de restaurer un milieu naturel : couper un arbre demande cinq minutes, en replanter un cinquante ans. Ces arguments sont aussi creux et criminels que les porteurs de grands projets inutiles qui les avancent.

On ne devrait entendre ici qu’une seule chose : le cri d’une forêt qui s’apprête à mourir. Mais les forêts donnent et ne demandent pas.

Comme lors de la violente expulsion de la ZAD de la Dune, à la mi-avril, des coupes massives ont eu lieu en plein confinement dans la forêt du Madrillet, tandis que bien évidemment, personne n’était là pour la défendre. Avec la pandémie, tout le monde en profite pour faire avancer le désert, comme si une partie de l’humanité s’acharnait à détruire l’autre. Bien qu’on l’enrobe dans une terminologie écologique, personne ne doute que l’essence du projet est économique ; purement et simplement économique.

L’antenne rouennaise de Youth for Climate, un collectif écologiste de lycéens et d’étudiants, a mis en ligne une pétition appelant à « un arrêt total de toute opération de défrichement ou d’aménagement », au moins jusqu’à ce qu’une consultation publique ait fait la lumière sur les dommages environnementaux que pourraient causer l’extension du campus.

Le collectif dénonce une « absence d’inventaire et d’évaluation de la richesse écologique du site et des impacts de sa destruction (…) tout simplement scandaleuse ».

Le cheval de Troie de l’innovation « écologique » ou « écoresponsable » ne sert qu’à dissimuler les mêmes intérêts qui ont quelques décennies plus tôt décimé les landes de la vallée de la Seine. Quant à l’argument de la compensation, il ne représente qu’un subterfuge pour endormir la population, qui ne voit même plus qu’on est en train de démolir sa propre maison, son propre habitat.

Que voulons-nous ? Une terre morte, en échange de beaux campus innovants ? Ou des forêts verdoyantes, riches, où les animaux et les insectes pullulent, où l’on peut se promener, respirer, étudier et comprendre la nature, en se passant de « smart city », de « véhicules autonomes », de « e-learning » et de « data mining » ? Rouen a déjà subi assez de pollution aux engrais, aux usines chimiques, aux carrières de sable et aux industries. Comme le disent les pétitionnaires de Youth for Climate, « le massacre a déjà assez duré, il est temps d’agir ».

Crédit photo couverture : Rouen Tourisme

Augustin Langlade

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