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Révolte à Villeneuve-la-Garenne, les banlieues sous tension du confinement et des violences policières

Depuis le début du confinement national, le 16 mars, les banlieues sont devenues des cocotte-minutes où les mesures du gouvernement, inadaptées, pourraient avoir des conséquences incontrôlables.

Surpopulation, mal-logement, précarité : le confinement est un calvaire supplémentaire dans les banlieues, dont certains habitants peinent à respecter le confinement. Ce week-end, des émeutes ont éclaté à Villeneuve-la-Garenne, après qu’un policier a été soupçonné d’avoir provoqué un accident. Cet accès de violence est-il un symptôme du bouillonnement latent des quartiers populaires, qui subissent de plein fouet les mesures du gouvernement ?

Un jeune motard blessé par la police

L’accident aurait pu demeurer d’une triste banalité, si ses répercussions publiques ne duraient pas depuis plusieurs jours. Dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 avril, à Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine, un conducteur de motocross d’une trentaine d’années est renversé par la portière d’une voiture banalisée de la police. Sans casque et à grande vitesse, le jeune homme est projeté sur le macadam : fracture ouverte de la jambe, hôpital, double opération.

Selon la police, il s’agissait pourtant d’un simple contrôle, ou du moins d’une volonté de contrôler le conducteur. Mais la scène se déroule en pleine rue, à la vue des passants et des habitants postés à leur balcon. Elle est filmée et présente tous les symptômes de la bavure policière, d’un coup de sang, ou de l’acte inconsidéré d’un policier déjà à bout de nerfs.

Sur la vidéo qui circule à travers les réseaux sociaux, on voit le jeune homme hurler de douleur, la jambe lacérée, des policiers tentant de lui prodiguer les premiers soins. Il y a beaucoup de monde autour de lui. L’accident était-il intentionnel ? Le commissaire ayant ouvert la portière était-il ivre comme l’ont affirmé certains témoins ? Le jeune conducteur était-il pour sa part un dangereux récidiviste, connu par la police ?

Très vite, des échauffourées entre la police et les jeunes du quartier éclatent à Villeneuve-la-Garenne. Le journaliste Taha Bouhafs s’est rendu sur place et a recueilli le témoignage des habitants. Apparemment, l’acte du commissaire était bel et bien volontaire. La voiture attendait le passage du motard pour le prendre par surprise, une version que dément catégoriquement la préfecture.

La révolte

Quoi qu’il en soit, l’accident a mis le feu aux poudres et certains semblent décidés à en découdre avec les forces de l’ordre. Quelques feux de rue, des lacrymogènes, des projectiles, des fusées et des feux d’artifice, samedi soir, l’émeute ne prend pas vraiment d’ampleur dans ce quartier du 92 ; à minuit passé, la situation revient peu à peu à la normale.

Le lendemain, dimanche 19 avril, la journée se passe dans une tranquillité classique en ces temps de confinement. Certaines personnes, interrogées le soir, jugent même que le calme qui règne sur cette ville de 24 000 habitants est assez exceptionnel. Vers minuit, comme il fallait s’y attendre, la tempête explose. À plusieurs endroits de la commune, des points de tension se développent et atteignent leur paroxysme vers une heure du matin.

Pendant que des coups de mortier artisanal sont tirés çà et là dans la ville, des camionnettes incendiées, des pétards et des feux d’artifice allumés, les forces de l’ordre peinent à se mettre en place et ne parviennent à rétablir le calme que vers deux heures du matin. Du haut de leur balcon, confinés, certains résidents prennent part à l’émeute en tançant les policiers ou en encourageant les jeunes.

Au même moment, d’autres affrontements ont lieu à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Ont-ils été coordonnés ? Est-ce également une réaction à l’accident ? Là n’est pas vraiment la question.

Des banlieues inadaptées au confinement

Depuis le début du confinement national, le 16 mars, les banlieues sont devenues des cocotte-minutes où les mesures du gouvernement, inadaptées, pourraient avoir des conséquences incontrôlables. Dans les 1 296 « quartiers prioritaires » de notre métropole, qui concentrent 4,8 millions d’habitants (le critère principal de découpage étant la concentration de la pauvreté), la fermeture des espaces et établissements publics et l’obligation de rester confiné chez soi sont tout bonnement une torture, venant s’ajouter à des conditions de logement déjà déplorables.

Souvent, les forces de l’ordre, les agents de la mairie et les médiateurs ne parviennent pas à y faire respecter le confinement. Selon le Canard enchaîné, le 18 mars, le ministère de l’Intérieur, craignant une escalade de violence, aurait indiqué aux préfets que le confinement des banlieues n’était « pas une priorité ».

Cette résolution du ministère anticipait peut-être l’assèchement du commerce de la drogue et de la prostitution dans les quartiers « sensibles », un phénomène devenu bien réel après plus d’un mois de paralysie du pays. Les acheteurs ont bien du mal à se rendre aux « fours », les points de vente de drogue, et les go-fast ne peuvent presque plus circuler.

Malgré les propos du ministère et la persistance de certains habitants dans les rues ou en bas des blocs, il semblerait que la police s’applique à faire respecter le confinement dans les quartiers les plus pauvres, comme en témoignent les statistiques du gouvernement, qui font état d’un nombre de contrôles et de contraventions à peu près équivalent aux autres quartiers des grandes villes. 

Le problème du mal-logement

Le véritable problème du confinement des banlieues reste donc le mal-logement. Le mode de vie des habitants des grands-ensembles, des tours et des HLM est un équilibre fragile. Souvent, les appartements sont habités par des familles entières, comptant également les grands-parents. Tandis que les femmes, les petits enfants et les anciens restent à la maison, les adultes, les jeunes hommes et les adolescents passent leur journée et leur nuit au travail ou dans la rue. Pour ceux-ci, il est inconcevable de s’enfermer pendant deux mois avec leur famille, de s’entasser entre quatre murs déjà combles, dans des appartements totalement impropres au confinement.

Dans les banlieues, le mal-logement est déjà un drame ; en cette période, il peut devenir une tragédie.

À Marseille, par exemple, 100 000 personnes sont confinées dans des logements insalubres, qui peuvent non seulement aggraver les conséquences de la maladie, mais aussi favoriser les chaînes de transmission. Les banlieues seraient ainsi davantage exposées au virus, tandis que le confinement pourrait s’y avérer inefficace. Dernière ligne de l’addition : la perte générale de revenus, en mesure d’anéantir la délicate économie des quartiers pauvres.

C’est ce qui fait dire au journal allemand Die Zeit que les banlieues françaises sont les grandes oubliées du confinement. Ces préalables sociaux à l’épidémie pourraient également expliquer la difficulté, pour les pouvoirs publics, de faire strictement appliquer les consignes gouvernementales dans les quartiers prioritaires.

La Seine-Saint-Denis, département le plus peuplé d’Île-de-France, de surcroît le plus pauvre du pays, a été particulièrement frappé par la maladie, qui cause aujourd’hui un excès de mortalité exceptionnel.

De manière générale, dans tous les quartiers pauvres de France, la concentration démographique, la vétusté ou l’absence d’infrastructures adéquates, la précarité et les maladies chroniques en plus grand nombre semblent constituer les facteurs aggravant dans beaucoup de famille l’impossibilité de se confiner. Un cercle vicieux. 

Dans les banlieues, le confinement est devenu comme prévu une mesure impossible à faire appliquer harmonieusement et reposant en majeure partie sur le bon-vouloir, parfois l’abnégation des habitants. Entre la police et la population, les relations sont tendues et subissent de plein fouet une détérioration sous-jacente depuis ces vingt dernières années.

Le secrétaire général du syndicat Alliance, Fabien Vanhemelryck, affirme au JDD que les policiers sont souvent impuissants devant les infractions aux mesures sanitaires, qui peuvent aller du banal au spectaculaire. De l’autre côté, les habitants des banlieues, déjà rendus plus nerveux par le contexte, dénoncent une recrudescence des violences et des abus policiers. Le recours à la force serait souvent disproportionné, les contrôles discriminatoires, les verbalisations abusives.

Le 10 avril, six associations dont la Ligue des droits de l’Homme ont adressé un courrier au gouvernement pour que les forces de l’ordre respectent plus scrupuleusement le cadre légal, dont l’imprécision laisse place à l’arbitraire.

Ces abus touchent en bonne part les populations pauvres, montrées du doigt depuis le début de l’épidémie. À terme, comme on l’a vu à Villeneuve-la-Garenne, la situation pourrait dégénérer dans les banlieues, dont la tranquillité et le respect des mesures sanitaires semblent en sursis.

Augustin Langlade

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