Dévoilée le mardi 10 janvier, la réforme des retraites aurait aussi un impact environnemental nocif. Divers experts et associations se sont penchés sur le sujet pour expliquer pourquoi cette législation mise en place par le gouvernement a un impact direct et néfaste sur l’environnement.
D’après le projet de loi, dès septembre 2023, l’âge légal à partir duquel il est possible de partir à la retraite doit être progressivement relevé. Il sera fixé à 63 ans et 3 mois en 2027 puis à 64 ans en 2030, reculant de 4 mois par an pendant dix ans.
Selon l’exécutif, cette réforme assure la soutenabilité financière du système des retraites, évite la dégradation du niveau de vie des retraités et permet de dégager des manœuvres pour ses politiques publiques dédiées à l’enseignement, la santé et la transition écologique.
Pour Henri Sterdyniak, membre des Économistes atterrés, l’argument de la soutenabilité ne tient pas : « Les déficits sur les projections du Conseil d’orientation des retraites sont relativement faibles. Ce n’est pas une question d’augmenter le niveau des retraites, et le gouvernement n’a pas dévoilé de grand plan pour financer l’éducation et la santé, qui ne peuvent de toute façon pas l’être grâce aux cotisations retraite. »
L’association Greenpeace France explique pourquoi elle soutient la mobilisation des salariés et des syndicats contre le projet de réforme des retraites, mettant en emphase le lien intrinsèque qui existe entre les questions environnementales et sociales.
« Cette réforme risque d’aggraver les inégalités car les classes moyennes et défavorisées seront les plus impactées. Ces personnes sont également celles qui sont les plus vulnérables face au changement climatique et les plus exposées aux pollutions environnementales ».
Avec cette réforme, de nombreux travailleurs risquent de se tourner vers d’autres dispositifs de retraite supplémentaire par capitalisation, et donc de se tourner vers des banques, assureurs et fonds d’investissement qui financent des énergies fossiles et perpétuent ainsi l’aggravation du réchauffement climatique.
Reclaim Finance souligne : « En plus de principaux acteurs de la gestion des fonds d’épargne retraite en France, les géants américains encore moins scrupuleux comme Blackrock pourraient saisir les nouveaux débouchés qui leur sont offerts »
Selon l’association, le réchauffement climatique n’est pas pris en compte dans cette réforme, dans un domaine pourtant directement lié à l’évolution de nos conditions de travail. Le Conseil d’orientation des retraites alertait par ailleurs en 2022 que par le passé :
« chaque génération bénéficiait globalement de conditions de bien-être supérieures à celles qui les avaient précédées (…) il est possible que le ralentissement des gains de productivité conjugués avec des dépenses qui devront être consenties pour prévenir ou s’adapter au changement climatique ne permettent pas une progression des conditions du bien-être telle que celle enregistrée sur les 70 dernières années ».
Pour Greenpeace France, il est pourtant possible d’équilibrer notre système des retraites autrement, en réformant le système de fiscalité qui jusqu’à présent épargne largement les plus riches avec la mise en place d’un ISF climatique, qui serait cohérent avec l’empreinte carbone des ménages plus fortunés.
Somhack Limphakdy, enseignante-chercheuse en philosophie du droit et membre de Strasbourg Action Climat, a estimé pendant les manifestations du 7 mars pour France3 :
« Cette réforme ne répond pas au problème des retraites, elle l’aggrave. Si rien n’est fait, il y aura de moins en moins de ressources en eau, moins de nourriture qualitative, et davantage de maladies. Il faut remettre les conditions de travail au centre des débats. Par exemple, dans le bâtiment, on construit avec des matériaux qui détruisent la santé des travailleurs, mais aussi l’environnement. C’est la même chose pour l’agriculture intensive. »
D’après l’enseignante, plusieurs corps de métiers peuvent être créés, notamment pour la reconstruction des sols et la forêt, mais cela « présuppose de prendre en considération des indicateurs extra-financiers ».
La fin de la retraite à 62 ans incitera les françaises et français à travailler plus, selon une vision basée sur la croissance infinie. Christiane Marty, économiste, membre d’Attac et de la Fondation Copernic, estime qu’il faut travailler moins, pour travailler mieux, et tous :
« Ce n’est pas en travaillant plus qu’on résoudra nos problèmes. Au contraire. Il faut s’interroger sur ce que l’on doit produire, réorienter radicalement l’économie pour satisfaire en priorité les besoins sociaux, et engager vraiment la transition écologique : éliminer les produits néfastes et se concentrer sur une production utile. Il y a là de vrais besoins, et des emplois pour tout le monde. »
Enfin, cette réforme des retraites part essentiellement du principe que les personnes à la retraite seraient inutiles pour la société. Au contraire, c’est parce que les français ont aujourd’hui la possibilité de partir à la retraite à un âge où ils sont encore relativement en forme qu’ils peuvent s’impliquer dans des associations ou des projets de quartier. En France, près d’un bénévole sur trois est à la retraite. Avec le recul de l’âge à la retraite, c’est tout un pan du tissu social et solidaire qui serait fragilisé.
Crédit photo couv : Samuel Boivin / NurPhoto via AFP