Suite à la condamnation de Rachel et Manon à de la prison ferme, pour avoir jeté de la peinture orange sur les portes de Matignon, un collectif d'associations non-violentes dénonce dans cette tribune la montée en puissance de la répression "contre toute tentative de contestation sociale".
« On ne peut pas autoriser n’importe qui à prendre son petit pot de peinture pour aller exprimer son mécontentement ». C’est en prononçant ces mots que le tribunal correctionnel de Paris a condamné Rachel, 23 ans, ancienne militante du collectif Dernière Rénovation, à 6 mois de prison ferme le 23 septembre dernier pour avoir jeté de la peinture orange sur l’hôtel de Matignon, en suivant les réquisitions du parquet. Cette action ayant eu lieu le 8 novembre 2023 visait à obtenir des politiques publiques ambitieuses pour lutter contre le fléau des passoires thermiques et diminuer l’empreinte carbone nationale.
De mémoire du mouvement de désobéissance civile, cette peine, d’une sévérité incroyable, est une des plus lourdes jamais prononcées, en France, pour une action de désobéissance civile non-violente. Une autre militante impliquée dans les faits, Manon, 28 ans, a quant à elle écopé de 8 mois de prison avec sursis.
Cette sanction inédite illustre une réponse judiciaire de plus en plus répressive qui s’abat, silencieusement, sur toute tentative de contestation sociale, même pacifique.
Au sein des salles d’audience, nos organisations observent depuis plusieurs mois un acharnement dans les poursuites, une escalade des sanctions judiciaires contre les activistes non-violent·es, qui indique un raidissement tournant à la répression judiciaire. La lutte contre l’A69 dans le Tarn en est un exemple criant : lors des premiers procès contre les écureuils – ces militants et militantes perché.es dans les arbres pour empêcher leur abattage – les procureu.es requéraient des peines d’amende moyennes de 200€ avec sursis. Aujourd’hui, des amendes 10 fois plus élevées sont requises.

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D’après le Mouvement de Soutien aux Défenseur·es de l’Environnement, dont la mission est d’analyser la répression judiciaire des militant·es poursuivi·es pour avoir défendu le vivant, cette répression se traduit, lors des débats, par une surenchère verbale visant à faire passer pour de dangereux criminels des militant.es non-violent.es. Lors du procès de Rachel et Manon, la procureure de la République a affirmé que l’action était une atteinte aux symboles de la République la comparant aux féminicides. Elle leur a également dit que leur axe de défense était le même que celui des agresseurs sexuels : les militant·es affirmaient ne pas avoir eu l’intention de viser les gendarmes, lesquels avaient reçu de la peinture sur leur uniforme.
Dans un rapport de février 2024, Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseur·es de l’environnement, soulignait que ces discours avaient des répercussions négatives concrètes sur la sécurité des défenseur·es de l’environnement.
Cette rhétorique délégitime l’expression de contestation en entretenant volontairement la confusion entre des personnes qui se mobilisent pour défendre nos droits humains à tous.tes comme le droit à un environnement sain, un air respirable et à une eau potable, et une prétendue menace pour l’ordre public.
Cette dérive fait courir un grave danger aux libertés publiques, comme le rappelle le rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseur·es de l’environnement. Dans son rapport de 2024, il explique que la désobéissance civile se définit comme des « actes de violation délibérée de la loi, concernant une question d’intérêt public, menés publiquement et de manière non violente » et que « les États ont l’obligation de respecter et de protéger le droit d’avoir recours à la désobéissance civile pacifique, qu’elle ait lieu en plein air, à l’intérieur, en ligne ou dans des espaces publics ou privés. »
Or, dans ce même rapport, le rapporteur spécial avertissait que la répression des défenseur·es de l’environnement constatée en Europe constituait “une menace majeure pour la démocratie”. Puis de conclure : « La seule réponse légitime au militantisme environnemental et à la désobéissance civile pacifique, c’est que les autorités, les médias et le public réalisent à quel point il est essentiel pour nous tous d’écouter ce que les défenseurs de l’environnement ont à dire. »
Alors que les jurisprudences française et européenne protègent la liberté d’expression y compris lors d’actes de désobéissance civile non-violente, la condamnation de Rachel à 6 mois de prison ferme marque un grave recul du droit des citoyens et des citoyennes à défendre pacifiquement un futur vivable pour toutes et tous.
Au moment où les reculs environnementaux se multiplient (loi Duplomb, baisse du budget pour la transition, reprise des travaux de l’A69…), le risque d’une systématisation de peines disproportionnées pourrait étouffer les actions indispensables de la société civile pour contraindre les pouvoirs publics à transformer notre modèle de société.
Nous appelons l’autorité judiciaire à faire preuve de mesure dans la poursuite et le jugement des défenseur·es de l’environnement et des droits fondamentaux. Elle doit garder comme boussole le respect des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’Homme ; la jurisprudence de la Cour ; les droits protégés par le droit international relatif aux droits humains ainsi que les travaux du Rapporteur spécial sur les défenseur·es de l’environnement.
Les autorités françaises doivent prendre les mesures nécessaires pour protéger le militantisme, y compris le recours à la désobéissance civile, en reconnaissant que ces actes sont protégés par le droit international et pour mettre un terme à la logique répressive croissante à laquelle font face les défenseur·es de l’environnement.
Signataires :
Riposte alimentaire et Dernière Rénovation
Amnesty International
Notre Affaire à Tous
Scientifiques en Rébellion
Action non-violente COP21
Alternatiba
Greenpeace France
Extinction Rebellion France
Les amis de la Terre
Mouvement de Soutien aux Défenseur·es de l’environnement, MSDE Action Justice Climat
Attac
La Voie est libre
Les Soulèvements de la Terre Alsace Pays de Bitche Les Allumeuses
Le Syndicat des avocat·es de France
Kathleen Taieb, avocate au barreau de Paris
Hugo Partouche, avocat au barreau de Paris Morgane Fouillen, avocate au barreau de Paris Constance Duxin, avocate au barreau de Paris Anne-Gabrielle Gandon, avocate au barreau de Paris Adèle Azzi, avocate au barreau de Paris
Bastien Poix, avocat au barreau de Dijon
Margot Faure, avocate au barreau de Paris
Claire Dumont, avocate au barreau de Marseille Juliette Marie, avocate au barreau de Paris
Marie Poirot, avocate au barreau de Marseille Adeline Dubost, avocate au barreau de Lyon Clémence Durand, avocate au barreau de Toulouse Nino Arnaud, avocat au barreau de Marseille Corentin Doro, avocat au barreau de Paris
Louis Hennon, avocate au barreau de Paris
Marie Ollivier, avocate au barreau de Marseille Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris
Coline Bouillon, avocate au barreau de Val de Marne