Face au ravage des coupes rases, des propositions de loi transpartisanes se multiplient pour réglementer les pratiques sylvicoles et protéger les forêts françaises. Elles sont soutenues par des associations, membres de la filières bois, scientifiques et élus qui réclament une meilleure gestion forestière.
Des forêts françaises menacées
La forêt couvre aujourd’hui 32 % de la France métropolitaine : un doublement de sa surface depuis 1840. Pourtant, l’état global de nos forêts se dégrade, notamment à cause de pratiques de gestion sylvicole écocidaires, peu encadrées par la loi.
La gestion forestière connaît une dynamique d’industrialisation basée sur le modèle court-termiste de la monoculture suivie de coupes rases. Des forêts de feuillus diversifiées, riches en biodiversité, sont rasées et remplacées par des plantations de résineux plus adaptées aux besoins de l’industrie. Ce mode d’exploitation détruit la biodiversité, le paysage, la ressource en bois, la capacité de stockage de carbone par les arbres, mais aussi le tissu d’entreprises locales de transformation du bois.
Dans le même temps, un nombre croissant de citoyens se mobilisent pour dénoncer ces pratiques et promouvoir des modèles de gestion sylvicole alternatifs, respectueux du vivant.
« Il y a une prise de conscience de l’impact d’une exploitation industrielle intensive des forêts, estime l’ancienne députée de Creuse Catherine Couturier (LFI) pour La Relève et La Peste. Cela commence à faire sens chez les citoyens dont la mobilisation prend sa source dans des batailles contre des projets écocides. »
En 2023, la députée avait déposé une proposition de loi sur « l’adaptation de la politique forestière et des milieux forestiers face au changement climatique ». Avec des dizaines d’autres acteurs du secteur, elle a signé une tribune « Pour une loi urgente sur la politique publique de la forêt » parue dans le journal l’Humanité du 6 mai 2025 et assortie d’une pétition publiée le 29 mai.
Ce changement de politique est, en effet, poussé par de très nombreux élus et citoyens, membres de la filière bois, scientifiques, naturalistes, groupements forestiers et associations, qui dénoncent un droit forestier trop permissif envers les propriétaires et les grandes coopératives forestières.
« Tant que les lois ne changent pour améliorer la santé des forêts, qu’on peut faire encore des coupes-rases pour replanter des rangées d’arbres de mêmes essences et de même âge sur de grandes surfaces, il n’y a absolument aucune raison que les exploitants changent leur modèle », estime Laurent Carayol, membre de l’association l’Aubraie pour une forêt vivante en Limousin et signataire de la tribune, pour La Relève et La Peste.
« Je n’ai pas l’impression que qui que ce soit [au sein de la filière industrielle] ne réfléchisse à long terme… »
« Pour une loi urgente sur la politique publique de la forêt »
Les signataires appellent le gouvernement à mettre fin « à l’attribution des aides du plan de relance qui contribuent à la destruction des forêts ». Des aides à la plantation d’arbres du plan France Relance sont, en effet, utilisées pour replanter après des coupes rases. Ils réclament également l’abandon des projets « écocides » de production d’énergie à partir de biomasse forestière : des installations d’usines soutenues par l’État via des subventions publiques.
Ils exigent que les forêts soient reconnues « patrimoine commun » et dotées d’une personnalité juridique afin de défendre leur préservation. Ils demandent aussi l’augmentation des moyens des services publics nationaux et territoriaux chargés de la protection de la forêt, notamment de l’Office National des Forêts (ONF) et de l’Office Français de la Biodiversité (OFB).
De son côté, Canopée Forêts Vivantes, principale association nationale de protection des forêts créée en 2018, a fait du changement du code forestier l’un de ces arguments majeurs. Elle appelle à mettre en place des politiques de « restauration écologique des forêts ».
Canopée mentionne notamment le modèle de gestion sylvicole Allemand, qui a mis en place « une aide forfaitaire » pour les propriétaires qui « renoncent aux coupes rases abusives et s’engagent dans une sylviculture plus écologique ».
Catherine Couturier – Crédit : Eloi Boyé
Faire évoluer la législation
Cette mobilisation citoyenne est également appuyée de dépositions de propositions de loi visant à réglementer la gestion forestière. Notamment, durant la précédente législature : celle déposée par Catherine Couturier (LFI) fin 2023 et celle déposée par Sophie Panonacle (Renaissance) début 2024. Hélas, elles n’ont pas été étudiées en raison la dissolution de l’Assemblée nationale.
Le 13 mai 2025, le député de la 8e circonscription l’Essonne Béranger Cernon (LFI) a déposé une proposition de loi « relative à l’adaptation de la politique forestière et des milieux forestiers face au changement climatique » reprenant des éléments-clé de ces deux textes.
Les députés y proposent notamment de favoriser la promotion de la sylviculture irrégulière en fixant un objectif de 30 % des forêts françaises gérées ainsi en 2030, et 70 % en 2050. La sylviculture irrégulière à couvert continu est un modèle dans lequel la forêt est composée d’arbres de divers âges et de diverses essences.
Les arbres à couper sont sélectionnés individuellement, en fonction de leur valeur économique et de l’impact qu’aura leur coupe sur la pousse des arbres alentour. Dans ce modèle, le couvert forestier est ainsi renouvelé en continu et l’écosystème est peu impacté.
Le texte prévoit également d’encadrer les coupes rases en les interdisant au-delà de deux hectares pour les forêts de feuillus ou mélangées, et au-delà de quatre hectares pour les monocultures de résineux. Surtout, les députés voudraient que les coupes rases soient préalablement annoncées, et leur impact vérifié, à l’inverse de ce qu’il se passe actuellement.
Enfin, les députés proposent de « séparer l’activité de gestion et d’exploitation forestière, de l’activité de récolte et de commercialisation du bois ». L’objectif : éviter que la gestion et l’exploitation forestière soient dictées par un impératif de rentabilité économique, au détriment des milieux forestiers.
En effet, les grandes coopératives forestières assurent à la fois la gestion, l’exploitation des forêts et la vente de bois : ce qui les place dans des situations de « conflits d’intérêts » selon l’association SOS Forêts France.
« Quand j’ai déposé la proposition de loi, les grands directeurs de la filière me parlaient principalement de cet article, témoigne l’ex-député Catherine Couturier pour La Relève et La Peste. Aujourd’hui, on a une pression capitaliste sur la forêt : les grandes coopératives, telles que Alliance, veulent la rentabilité à l’instant T. Ils ne prennent pas en compte la forêt sur un temps long, donc ils font des coupes rases.
Quelque part, c’est une forme d’escroquerie du propriétaire forestier. Pour ce dernier, l’intérêt économique est en fait une gestion à couvert continu. Ne pas couper un arbre qui n’a que 30 ou 40 cm de diamètre, car cet arbre va pouvoir lui rapporter beaucoup plus dans 15 ans, 20 ans ».
A la recherche de consensus, notamment sur les coupes rases, le député LFI Bérenger Cernon s’est rendu le 14 mai au ministère de la Transition écologique avec d’autres députés écologistes, socialistes, MoDem, Horizons et Renaissance. Ces députés voudraient désormais rallier des députés Républicains et LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) pour déposer un nouveau texte transpartisan à l’automne.
« La mobilisation transpartisane de députés envoie un signal fort, qu’il faut amplifier pour aboutir à une loi d’urgence en faveur des forêts » déclare l’association Canopée.
En attendant l’adoption d’une loi, collectifs et associations, regroupés au sein de SOS Forêts France, se réuniront le 14 juin à Pau pour une manifestation nationale « pour des forêts vivantes ». Ils s’opposent notamment à des projets d’installation d’usines de production d’énergie fabriqués à partir de biomasse forestière, dont une usine de « kérosène vert ».
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