Victor Mercier est un cuisinier engagé pour la souveraineté alimentaire. Jeune Chef et fondateur du restaurant FIEF (Fait Ici En France), il milite aujourd’hui pour une remise en question complète du système alimentaire ultra-mondialisé. Nous relayons son plaidoyer ici.
Chers confrères, chères consœurs, chers concitoyens, chères concitoyennes,
Le 13 avril, notre Président de la République a prononcé ces mots :
« Il nous reviendra aussi dans les prochaines semaines de préparer l’après. Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle, et technologique française et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe »
Il a également ajouté : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie »
Nous sommes en 2020. J’ai 29 ans, je suis chef restaurateur et j’ai ouvert mon restaurant FIEF, il y a tout juste 6 mois. Je suis passionné par mon métier et quelles que soient les crises que nous traversons, je veux toujours croire en son avenir.
Aujourd’hui, le secteur du CHR (Café-Hôtellerie-Restauration) subit de plein fouet la crise du Covid-19. Pour des raisons évidentes de santé publique auxquelles nous ne pouvons que souscrire, nous avons été contraints de stopper brutalement notre activité.
Nombre d’entre nous sont aujourd’hui dans le flou, avec un manque total de visibilité sur la date de réouverture de nos établissements. Et quand nous pourrons rouvrir dans quelles conditions pourrons-nous le faire ? Quelles normes nous seront imposées pour garantir la sécurité de nos clients et celle de nos salariés ? Nous permettront-elles de relancer notre activité ? Allons-nous survivre à cette situation ? Ces interrogations, devenues des obsessions, sont quotidiennes.
Et pourtant… Notre profession fait preuve de ténacité et d’une abnégation exemplaire. La preuve en est que partout en France, des mouvements solidaires de chefs se sont constitués pour servir de nombreux repas aux personnels soignants.
Vient déjà la question de l’après.
Cette situation catastrophique a le mérite d’imposer la réflexion et de nous obliger à de réelles remises en question. C’est ainsi que nous pourrons rebondir. Nous allons devoir nous réinventer et changer, pour mieux avancer… C’est effrayant, mais c’est en même temps conforme au comportement de l’homme depuis la nuit des temps : pour faire face à une crise, quelle qu’en soit l’origine, nous devons agir en développant notre capacité de réaction et d’adaptation.
Aujourd’hui, en France, 1% de la population nourrit les 99% autres (dont la moitié a plus de 50 ans et partira bientôt à la retraite). L’agriculture, c’est près de 7% de notre PIB. Elle représente une production estimée à 73 milliards d’euros, plaçant ainsi la France sur la plus haute marche des puissances agricoles européennes.
Et pourtant, nos producteurs ne sont pas considérés à la juste valeur de leurs efforts…
Dans une économie de marché de plus en plus mondialisée, sous la pression de la concurrence internationale, ils n’ont d’autre recours que de baisser leurs prix : le bas prix ou la mort ! Et tout cela pour un salaire de 350€ par mois pour 1/3 des agriculteurs alors que le salaire moyen de la profession est de 1250 €.
Résultat : les chiffres sont là. Aussi effroyable et irréfutable que cela puisses paraître, en France métropolitaine, dans le monde paysan, il y a presque un suicide par jour.
Nous monnayons le vivant dans une surproduction disproportionnée, qui ne garantit, dans sa grande majorité, ni le bien-être de l’homme, ni celui de l’animal. Le seul profit qui en est retiré va directement dans les poches des grands groupes industriels de l’agro-alimentaire.
Le manque à gagner de nombreux agriculteurs suite à la fermeture de près de 95% des restaurants est absolument considérable et catastrophique. La filière pêche est à l’arrêt, la filière maraîchère prise à la gorge par une saisonnalité qui n’aurait pas pu plus mal tomber (légumes nouveaux, fraises, asperges, etc…). La filière laitière est également sous tension…
Si notre agriculture meurt, nous mourrons avec elle. Inexorablement.
Le seul mot à retenir dans le chaos de cette période : La RÉSILIENCE.
Autrement dit notre capacité à fonctionner sous l’impact de profonds changements pour surmonter les difficultés qui s’imposent à nous.
En octobre dernier, lorsque j’ai ouvert FIEF – pour Fait Ici En France – mon objectif était clair et sans compromis : cuisiner des produits français de saison tout en diminuant drastiquement mon bilan carbone. C’est un engagement écologique apolitique.
Je ne le fais pas par nationalisme ou par un chauvinisme exacerbé, mais parce que nous devons, nous, cuisiniers, soutenir les agriculteurs/producteurs locaux. Je tiens d’ailleurs à préciser que l’appel qui va suivre n’est absolument pas compatible avec une quelconque récupération politique nauséabonde.
Après six mois d’exploitation j’ai acquis la conviction que c’était possible. FIEF a démontré que le 100% français est réalisable. Il est possible de maintenir un rapport qualité/prix juste, tout en dégageant une marge suffisante pour payer correctement le personnel.
À tous les restaurateurs, gastronomiques ou bistronomiques, à tous les patrons de bistrots, de brasseries, de cafés… à tous les commerçants de bouche, bouchers, épiciers, fromagers, écaillers et poissonniers, primeurs, fromagers… Et à toutes celles et tous ceux qui le peuvent et qui le veulent : Je vous lance un appel !
À tous les corps de la profession : Soutenons l’Agriculture Française !
Il est temps de changer de modèle.
Profitons tous ensemble de cette période pour nous recentrer sur l’essentiel. Supprimons ou diminuons drastiquement l’importation de nos matières premières en dehors de l’hexagone. Basculons vers le modèle qui doit devenir la norme, celui de tendre le plus possible vers le 100% français.
Favorisons les circuits courts, territorialisons nos productions, rationalisons nos échanges internationaux tout en remettant en question notre système de libre échange !
Le bilan carbone lié à l’alimentation de notre pays n’en sera que meilleur : nous contribuerons à améliorer l’état de la planète, dans une période où l’urgence climatique est une priorité absolue.
Ce changement n’est pas la chose la plus évidente à faire : nous avons toutes et tous des contraintes commerciales et financières à respecter mais cette crise est aussi une formidable opportunité pour recréer du lien social. Ce lien social qui est une des valeurs inhérente et essentielle à nos belles professions.
Retrouvons tous ensemble la confiance, et de ce fait, la sérénité. Cette sérénité est un pas décisif vers la sécurité alimentaire de l’humanité.
La Grande Distribution avec Nous !
Si les restaurateurs ont un rôle décisif à jouer, celui de la grande distribution est tout aussi déterminant. Ce secteur souffre moins de la crise du Covid que d’autres, avec des ventes qui ont été boostées par le risque hypothétique d’une pénurie alimentaire.
Il est temps que la grande distribution, qui réalise d’ailleurs, ces dernières années, de beaux efforts vers une alimentation plus juste – avec des différences marquantes d’une enseigne à l’autre – s’affirme et se positionne comme défenseur et non pas comme oppresseur de nos agriculteurs.
Si le coût de production du « Fait en France » est, à juste titre, supérieur à celui de nos voisins, comme l’Espagne, les marges appliquées sur ces produits sont abusives (93% en moyenne selon UFC Que Choisir).
Il est également choquant d’observer des marges scandaleuses sur les produits bio, qui sont un réel pas vers le « mieux manger ». Par exemple, en 2019, sur une pomme de terre bio, la marge brute des grandes et moyennes surfaces est 83% plus importante que sur une pomme de terre conventionnelle. Sur une pomme, la différence atteint 149% (Source UFC Que Choisir).
La grande distribution se doit de rejoindre l’effort collectif. Comment ?
- Encouragée par les pouvoirs publics pour diminuer de façon significative (30, 40, 50% ?) ses marges sur la vente des produit français – ce qui permettrait également de distribuer une rémunération plus décente à l’agriculteur.
- A contrario, les distributeurs pourraient également compenser cela en augmentant leurs marges sur les produits importés.
- Dans un objectif de justice pour le consommateur, il serait aussi important de pouvoir plafonner les marges des distributeurs sur tous les produits « Agriculture Biologique » d’origine française dans la limite du raisonnable pour l’ensemble des parties (commerçants – consommateurs)
Voici trois propositions fortes, qui n’ont jamais eu autant de sens qu’à l’heure actuelle.
À tous nos élus, accompagnez nous !
De nombreuse tribunes, essais et manifestes ont été écrits afin d’attester la nécessaire remise en cause de notre alimentation. Ces réflexions convergent vers un objectif sans équivoque, nous devons changer notre alimentation.
Pour atteindre nos objectifs, il nous faut appuyer les idées suivantes :
1) La création d’une taxe « saisonnalité ». En suivant le calendrier de la nature, tous les produits hors saison devraient être logiquement plus chers que les aliments saisonniers. Cette taxe pourrait être prélevée par l’État.
2) La catégorisation iconographique de produits reconnus nocifs pour l’environnement, la santé du consommateur ou dont le bilan carbone est élevé (Exemple : huile de palme, sucre raffiné importé, colorants artificiels…) et la sur-taxation des produits finis contenant ces derniers.
3) Une harmonisation réfléchie des zones agricoles. À l’heure actuelle, la région Île-de-France est auto-suffisante en cas de crise uniquement pendant 3 jours. Dans sa production, l’Île-de-France est autonome à 26% pour les pommes de terre, 0,5% pour la viande, 10% pour les légumes frais, 1,5% pour les fruits (à l’exception des pommes 5,5%), 1% pour le lait, 12% pour les œufs. En revanche elle est autonome à 159 % pour le blé et 117% pour le sucre.
Sur l’ensemble des 100 plus grandes aires urbaines françaises, l’autonomie alimentaire est seulement estimée à 2%, signifiant donc une réelle incapacité à produire « localement ».
4) L’ouverture d’un nouveau plan de financement pour développer les fermes de l’après Covid-19. Ces fermes seront en périphéries des espaces estimés en besoin et fonctionneront avec les préceptes de la Permaculture et de l’Agro-écologie (modes de production ayant prouvé leur efficacité et leur capacité à stocker du carbone, tout en étant hyper-productifs).
5) La remise en question profonde et rapide de nos modes de production. Il est possible de conjuguer bien-être animal/humain, productivité et économie. Si le Made In France est une priorité, son amélioration l’est tout autant. Indéniablement, des reformes post Covid-19 vers une agriculture responsable et en adéquation avec son temps sont à prévoir. Nous produisons dans la grande majorité comme nous produisions au moment de l’après-guerre, il y a bientôt de cela 70 ans.
Préparons-nous, sans être pessimiste mais bien réaliste et pragmatique, à une autre pandémie, qui sera sûrement plus grave encore.
L’opportunité d’un changement de prisme est là. Ne la gâchons pas.
Nous vivons à l’heure actuelle une période « Extra-Ordinaire ». Personne n’aurait pu imaginer ce qui nous arrive, il y a de cela un mois. Et pourtant, nous sommes bel et bien dans un temps qui annonce la fin de la normalité et de ce fait, de l’ordinaire.
Cette crise sanitaire PEUT devenir une crise salutaire. Mais à la seule condition d’agir avec force, conviction, solidarité et comme le suggère notre nom d’« homo sapiens », beaucoup de sagesse.
VICTOR MERCIER, restaurateur et citoyen.