Alors que leur commerce est en pleine croissance, les moines chartreux ont fait le choix de limiter la production de la célèbre liqueur qui porte leur nom, au grand dam de ceux qui l’auraient volontiers vu augmenter.
En contradiction complète avec son temps – ou en avance sur celui-ci, c’est selon –, cette décision a été prise fin mars par les 24 moines du monastère de la Grande Chartreuse, en Isère, réunis en assemblée générale.
Actionnaires à 100 % de l’entreprise Chartreuse Diffusion, qui produit l’élixir vert, les occupants de la maison mère de l’ordre des Chartreux, fondé en 1084 par saint Bruno, ont expliqué vouloir protéger leur vie spirituelle et la santé de la planète.
« La croissance infinie n’est plus possible », a ainsi déclaré Dom Dysmas, le révérend père du monastère, 74e successeur de Bruno à la tête de l’ordre.
Plutôt que de poursuivre les profits, les moines souhaitent se recentrer sur leurs missions originelles : prier pour le salut de l’humanité, cultiver les herbes et les plantes pour la santé.
Entre secret et succès
Installés il y a mille ans dans le massif de la Chartreuse, non loin de Grenoble, les moines du monastère alpin, connus pour leur austérité et leur amour des livres, commercialisent la chartreuse verte, conçue comme une « liqueur de santé », depuis 1840.
La recette, qui inclut un mélange de 130 plantes, fleurs et herbes aromatiques, se transmet de génération en génération dans le plus grand secret. Seuls trois moines en maîtrisent aujourd’hui la composition, dont deux participent à temps plein à la fabrication de la liqueur.
De la distillerie d’Aiguenoire, sur la commune d’Entre-Deux-Guiers, à 20 km du monastère, sont sortis, l’année dernière, « un maximum jamais atteint depuis la fin du XIXe siècle », selon Chartreuse Diffusion.
Une forte partie de cette production, environ la moitié, est absorbée par un marché international en pleine croissance, notamment aux États-Unis où la chartreuse entre dans la fabrication de cocktails prisés de nombreux bars.
Début mars, lors d’une vente aux enchères, 1 500 flacons « historiques » de la liqueur se sont même envolés pour la modique somme de 1,6 million d’euros.
Un modèle de transition
Se disant débordés, les chartreux ont cependant annoncé qu’ils n’augmenteraient ni la production ni le temps de travail des religieux. Ils refusent la « course à la croissance infinie », et estiment que leurs ressources actuelles leur permettent de remplir le principal objectif de la vente de la liqueur, l’entretien de leur monastère.
the chartreuse monks sent this out i’m losing my mind pic.twitter.com/QvtiQzFI6U
— official nonna VEVO (@what_itissbaby) January 29, 2023
Seconde raison, peut-être plus forte encore, à ce coup de frein imprévu : avec le dérèglement climatique, les 130 végétaux nécessaires à la fabrication de la chartreuse se font de plus en plus rares et fragiles, et les moines craignent qu’une augmentation des volumes compromette cette biodiversité.
Voulant garder une « taille humaine », Chartreuse Diffusion prévoit enfin de privilégier le marché local, et de faire migrer ses exportations vers le transport à voile, moins coûteux en énergie. Un modèle de transition écologique qui devrait interroger les autres entreprises.