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Noémie Calais : de Sciences Po à l’élevage paysan de cochons noirs dans le Gers

Noémie a réduit la taille de son élevage et soutient que notre rapport à la viande et à l’animal passe par cette agriculture de petite taille qui permet de proposer une vie digne à l’animal, avec une fonctionnalité autre que de servir de repas.

Comment passe-t-on d’une carrière internationale à la ferme collective et à l’élevage de cochons noirs ? Pourquoi Noémie choisit-elle l’élevage de cochons noirs alors même qu’elle réduit sa consommation de viande de façon drastique ? Pourquoi passer radicalement de l’urbain au rural en devenant paysanne ou maraîcher ? Pourquoi le choix du collectif quand on est un enfant de l’individualisme ?

Des étudiants conformes

Plutôt nourrir, c’est le cri du cœur de deux jeunes diplômés de Sciences Po face à l’effondrement de la biodiversité, à l’agroindustrie qui nuit à la santé de la planète comme à celle des humains et au dérèglement climatique qui a donné lieu à un livre.

Clément, ami de Noémie et auteur, décrit et documente son cheminement avec son appareil photo et sa plume. Le froid, le chaud, le petit matin à l’aube, la nuit, le jour, il est avec elle. Ses textes et images alternent avec des morceaux choisis du journal de Noémie. Ensemble ou séparément, ils se questionnent, s’interpellent, se demandent où se cache le sens de leur activité ici, maintenant et pour demain. Mais quoiqu’il arrive, plutôt nourrir !

De bons élèves qui sortent diplômés de l’école, et partent l’un et l’autre pour des carrières internationales, un chemin tout tracé. Mais, quelques années plus tard, Noémie, à Hong Kong, souffre de multiples symptômes, très invalidants sur les plans physiques et neurologiques. De retour en Europe, on découvre que la concentration des éléments chimiques des grandes villes, accrue par une électrosensibilité, lui impose un changement de vie.

Noémie est une battante, un séjour en Grande-Bretagne au milieu de la nature et dans une ferme d’élevage de cochons lui ouvre un horizon. D’abord, ses symptômes s’estompent jusqu’à disparaître, mais aussi, elle se découvre des affinités avec les cochons. Elle sera donc éleveuse de cochons noirs dans le Gers.

Noémie et ses cochons

Clément – éco anxieux ou tout simplement lucide – a perdu le fil. Il ne sait plus bien pourquoi il se lève chaque matin ou prend encore une fois l’avion. Il a décidé de changer de voie et rejoint un écolieu. Il écrit  “De la neige pour Suzanne”. Ça marche bien et son éditeur est partant pour un autre titre mais il aimerait une histoire fondée dans le réel, une femme si c’est possible, pour parler d’un monde paysan différemment. Les deux amis ont gardé peu de contacts mais l’un comme l’autre redéfinit les contours d’une vie différente fondée sur la liberté et le collectif. Et plus ça va, plus Noémie lui apparaît comme la personne idéale pour ce livre.

Si Noémie rencontre le monde rural et l’animal dans la campagne anglaise – c’est là qu’elle met les mains dans la terre et se reconnecte à la nature – c’est par hasard qu’elle jette l’ancre dans le Gers. Elle tombe amoureuse des paysages, des humains qui s’y trouvent, d’une capacité au bien-vivre et de la gastronomie généreuse.

Noémie à son stand sur le marché de Mauvezin le samedi matin. Crédit : Clément Osé

Volontaire, elle se forme au métier d’agricultrice, choisit d’élever des cochons noirs et passe son BPREA, le diplôme indispensable au statut d’agricultrice. Noémie va plus loin, elle pense qu’il ne faut pas élever des animaux et déléguer leur mort. Elle veut pouvoir tout faire de la saillie à la côtelette. Elle apprend donc la boucherie-charcuterie.

Être parisienne, femme et menue et prétendre devenir éleveuse de cochons bio, ça fait rire les tenants d’un patriarcat rural présent dans les organismes de formation. Mais ils ne connaissent pas la détermination de Noémie et ces quelques irréductibles n’empêcheront pas la jeune femme d’obtenir les diplômes visés. Ensuite, elle choisit de rejoindre une ferme collective car être seule, c’est se condamner à travailler sans relâche. Et puis, le monde paysan est un monde dont une part de la survie repose sur les systèmes de solidarité. La ferme collective les met en place au quotidien.

La relation de Noémie avec ses truies est intime et dure plusieurs années – Crédit : Clément Osé

Questionner l’élevage

Pour Noémie, le renoncement à l’élevage intensif est un impératif écologique, économique, social et moral. Elle s’insurge contre la chosification de l’animal dans l’élevage industriel qui livre ce qu’on appelle du minerais, donc une ressource ! Elle se réfère à Baptiste Morizot et au concept de crise de la sensibilité pour définir le rapport entre animal et éleveur, dans un cadre non négociable de petits élevages. Par ailleurs, elle affirme la nécessité d’une diminution drastique de notre consommation de viande tant pour la planète que pour pouvoir élever des animaux dans la dignité.

« Nous n’avons pas besoin de manger de la viande plus de deux fois par semaine » précise d’emblée Noémie Calais pour La Relève et La Peste

Le moment de refermer la porte du box de l’abattoir est un des plus difficiles pour Noémie. Elle souhaiterait assumer elle-même la mise à mort de ses animaux. Crédit : Clément Osé

Dès lors, plus question de produire de la viande industrielle au service d’une consommation obscène qui se moque de l’avenir du Vivant. Il faut réapprendre à payer la viande plus cher parce qu’elle sera meilleure. Le porc, produit et consommé en masse, est pauvre sur le plan nutritif, plein de médicaments, honteux moralement et désastreux écologiquement. Mais, suivie en reportage par Clément et son appareil photo, elle doit répondre aux questions de son ami écrivain.

Car il est avec elle à la ferme, à l’abattoir comme au marché, de jour comme de nuit et il s’interroge sur le bien-fondé de chaque élément lié à cet élevage. Certes Noémie fait partie de ces paysans qui veulent nourrir et bien nourrir, qui mettent en place des systèmes vertueux tant sur le plan du rapport aux animaux que des conséquences de leurs pratiques sur l’environnement, de la production et de la distribution en circuit court.

Les porcs noirs ont une croissance lente. L’engraissement sur l’élevage de Noémie dure de 12 à 14 mois – Crédit : Clément Osé

Dépendre

Clément a une petite voix intérieure qui lui demande s’il n’est pas gênant moralement d’écrire un livre sur la viande et sur une éleveuse sympathique dans un moment où la question est de réduire la consommation de viande pour donner une chance à la biodiversité et au climat, donc aux humains. Peut-on encore faire la promotion de l’élevage ?

Le dialogue s’engage entre les deux ami.es et Clément insiste : quel est le rôle écologique de tes cochons puisque tu les nourris avec des céréales que des humains pourraient consommer directement ? Ne pourrait-on fournir une alimentation de qualité à moindre coût à davantage d’humains ? La question fâche Noémie qui a conçu son élevage contre l’élevage intensif alors qu’il représente 95% du porc consommé en France.

Clément Osé a passé quatre séjours en immersion dans la ferme de Noémie, travaillé avec elle au long de son reportage.

L’élevage intensif, ce sont des conditions de vie épouvantables pour des animaux entassés les uns sur les autres, qui ne voient pas la lumière du jour. Ce sont aussi des conditions de travail infernales pour les humains qui s’en occupent et enfin, c’est un aliment sans valeur pour ceux qui le consomment. On crée de la souffrance animale et humaine à toutes les étapes.

Noémie ne comprend pas pourquoi Clément s’en prend ainsi à un petit élevage local et vertueux mais les prix du grain et de l’essence s’envolent en 2021. Les charges de la petite ferme se font très lourdes. Noémie donne raison à Clément sur la question de sa dépendance au grain. Avec ses 72 cochons, elle se dit qu’elle en a encore peut-être trop. Pourtant lors de sa formation, il est clairement enseigné qu’il faut un gros cheptel d’au moins 2000 bêtes, et elle est très en-deçà.

Une mise bas en pleine nuit. Noémie n’assiste pas systématiquement ses truies – Crédit : Clément Osé

Changement de modèle

Noémie décide d’adapter son modèle et de remettre le cochon dans son rôle agronomique et historique, c’est-à-dire que le cochon, omnivore, mange tout ce que l’humain ne peut pas manger : le petit lait issu de la ferme, les légumes invendables, les drêches.

« Si je redonne à mon cochon cette utilité, il reconquiert une place à nos côtés. Et son élevage redevient agronomiquement logique en même temps que moralement acceptable. Car il est vrai que l’élevage s’accompagne de l’acte de mort et moi, au bout de trois ou quatre ans, je commençais à avoir vraiment du mal à abattre des animaux dont la seule finalité était de devenir de la viande. Pour vivre moralement avec la mort de cet animal, il me semblait nécessaire que sa vie ait une autre fonction » explique Noémie Calais pour La Relève et La Peste.

Noémie a réduit la taille de son élevage et soutient que notre rapport à la viande et à l’animal passe par cette agriculture de petite taille qui permet de proposer une vie digne à l’animal, avec une fonctionnalité autre que de servir de repas. Et surtout une agriculture qui rende le monde moins disponible car moins d’animaux, c’est vraiment moins de viande dans notre alimentation et sur la planète.

2024, nouveau cap

Aujourd’hui, Noémie Calais a revu tout son programme d’élevage. Elle n’a plus que 11 truies qu’elle garde plusieurs années, avec lesquelles elle entretient une vraie relation et qui donnent environ 200 porcelets chaque année.

« Ce volet naissance est très important pour moi. Je suis seule, je pèse 50kg et je dois donc travailler avec les animaux, en confiance, pas en force. Chacune des truies a un nom et je la connais personnellement. Quand je les appelle, elles viennent. Je leur parle beaucoup. Quant aux porcelets, ils sont sevrés en 6 à 7 semaines contre 3 en filière industrielle et ils sont achetés par des fermes paysannes que je connais. Je sais qu’ils y seront bien traités pendant leur existence ; ce sont des éleveurs pour qui j’ai de l’admiration » détaille Noémie Calais pour La Relève et La Peste.

Noémie élève encore une quinzaine de cochons qu’elle abat et transforme en fin d’année mais là encore, elle revendique pour chacun d’eux une existence digne d’un cochon et la préservation d’une race rustique typiquement gasconne. Son choix de faire naître des porcelets représente un vrai changement dans son travail quotidien.

« C’est moins dur physiquement et psychiquement mais ça demande une surveillance constante. J’ai quitté ma colocation à Auch et je suis retournée vivre dans ma yourte sur la ferme pour pouvoir être là nuit et jour. Ces petits porcelets, je n’ai pas le temps de m’attacher à eux individuellement et mon engagement auprès d’eux est plus technique. Mais il y a peu, l’un d’entre deux s’est blessé à une patte et j’ai cru qu’il allait mourir. Et il a guéri avec un boitillement et je suis contente car il est parti tout près de chez moi chez un éleveur qui me donne de ses nouvelles. Celui-là s’est distingué mais tous requièrent toute mon attention » illustre Noémie Calais pour La Relève et La Peste.

L’élevage est un sujet de controverse autour du bien-être animal autant que pour la préservation de la planète et de ses ressources. Ces questions ont taraudé cette jeune éleveuse et ont guidé ses choix, ses hésitations, qu’elle a partagé, un moment donné, dans des discussions, parfois houleuses, avec Clément Osé.

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Isabelle Vauconsant

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