Nestlé paie pour échapper aux poursuites pénales après avoir conclu avec le parquet d’Épinal une Convention judiciaire d’intérêt public (CIJP). Le tribunal d’Epinal a condamné la multinationale à seulement 2 millions d’euros d’amende suite à l’affaire des forages illégaux et les traitements interdits de l’eau vendue en bouteille.
Une amende dérisoire
Voilà deux ans que des enquêtes préliminaires visaient la multinationale Nestlé concernant l’exploitation illégale de neuf forages d’eau, ainsi que des techniques de traitement des eaux dites « minérales naturelles », vendues sous les marques Contrex, Hépar et Vittel de façon illégale pendant vingt-sept ans.
Au terme de ces enquêtes, le parquet d’Épinal a choisi de mettre en place une convention de justice d’intérêt public (CJIP), signée le 2 septembre entre le procureur Frédéric Nahon et Nestlé.
La CJIP, cette procédure de justice particulière, a été mise en place sous la présidence de François Hollande en 2016 pour les délits financiers, puis étendue aux délits environnementaux en 2020 sous Emmanuel Macron. Si elle permet à l’État de recouvrer plus rapidement les amendes, ces dernières sont alors les seules sanctions imposées. La responsabilité des entreprises ou personnes mises en cause est laissée de côté et ne fait pas l’objet de poursuites.
En acceptant cette CJIP, l’entreprise Nestlé Waters a bien reconnu sa responsabilité. Pourtant, ce 10 septembre, le tribunal d’Épinal a condamné Nestlé Waters à payer une amende de deux millions d’euros.
Une amende dérisoire au regard des 19 milliards de litres d’eau pompés illégalement (dont les forages ont été régularisés par l’État en 2019) et des 3 milliards d’euros que Nestlé aurait réalisé grâce au traitement illégal des eaux vendues en bouteille, selon les enquêteurs de la DGCCRF.
Nestlé : forages illégaux et traitements interdits
Selon une première enquête de l’OFB, l’exploitation illégale des forages a entraîné des assèchements récurrents des nappes phréatiques ainsi que « des perturbations des cycles hydrologiques des eaux superficielles », causant des ruptures d’approvisionnement dans certains villages.
C’est pour y pallier que la CJIP prévoit que Nestlé finance « les mesures de l’impact écologique évaluées à 1,1 million d’euros » et verse 296 800 euros d’indemnisation aux cinq associations de défense de l’environnement ayant lancé des poursuites contre la multinationale. Une proposition qui a créé le débat chez ces écologistes engagés dans un combat titanesque depuis des années contre le géant de l’agroalimentaire.
« Le dispositif en soi nous paraît scandaleux. Pire, le temps d’infraction a été jugé seulement sur la période de 2013 à 2019 à cause du délai de prescription. Nous n’avions malheureusement pas les moyens financiers pour partir au pénal. Surtout, une longue procédure judiciaire n’aurait n’a aucun sens pour nous car le changement climatique et la biodiversité ne peuvent plus attendre 10 ans que les choses bougent » explique Bernard Schmitt, du collectif Eau88, pour La Relève et La Peste
Suite à cette CJIP, l’impact écologique de l’exploitation de Nestlé Waters sur les ressources en eau devrait être mesuré plus rapidement. Les associations comptent utiliser l’argent de l’amende à bon escient pour lancer d’autres procédures judiciaires, cette fois-ci contre les pollutions perpétrées par des grandes entreprises de l’agroalimentaire sur leur territoire.
De son côté, l’ONG foodwatch s’est fermement opposée à la proposition du tribunal de chiffrer le « préjudice » subi dans l’affaire du traitement illégal des eaux vendues en bouteille.
Le 30 janvier dernier, une enquête des journalistes Marie Dupin, de la Cellule investigation de Radio France et Stéphane Foucart, du journal Le Monde, révélait comment Nestlé Waters et le groupe Sources Alma recouraient à des systèmes de traitement de l’eau tels que des filtres à charbon ou des filtres UV, remplissaient les bouteilles avec de l’eau du robinet, tout en dissimulant ces procédés aux yeux des contrôleurs. L’ONG foodwatch avait listé neuf infractions pénales dans sa plainte déposée le 21 février, rendue aujourd’hui caduque par cette CJIP.
« C’est une décision scandaleuse qui envoie un très mauvais message sur le climat d’impunité : Nestlé Waters peut tromper les consommateurs pendant des années dans le monde entier et s’en tirer à bon compte en sortant simplement le chéquier » a expliqué Ingrid Kragl, experte de la fraude chez foodwatch, dans un communiqué
Aujourd’hui, la « qualité sanitaire » des eaux minérales Nestlé n’est toujours pas garantie, selon une note confidentielle de l’Anses, malgré les propos rassurants de Nestlé Waters. Dans une note remise au ministère de la santé courant octobre 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail estimait même qu’une surveillance élargie est nécessaire, notamment à cause du « risque sanitaire virologique ».
« Pour moi, c’est le début de l’effondrement civilisationnel : en France et en Allemagne il n’y a plus une seule eau souterraine de qualité. Comment protéger les populations sans une eau saine ? » s’inquiète Bernard Schmitt, du collectif Eau88, pour La Relève et La Peste
Avec ces révélations en série, l’humeur est maussade pour les habitants de Vittel et Contrexéville. Ils ont l’impression que tout leur échappe et qu’ils perdent le pouvoir sur leur territoire. Les salariés de Nestlé, qui tiraient une certaine fierté de produire une eau minérale censée être de meilleure qualité que l’eau du robinet, « sont tombés de très haut » souffle un local.
Il y a deux ans, Nestlé France avait déjà signé une CJIP similaire avec le procureur de Charleville-Mézières, dans les Ardennes, suite à la pollution de la rivière Aisne qui avait causé la mort de près de six tonnes de poissons en 2020. Tout en contestant être à l’origine de la pollution, la multinationale avait accepté une amende de 40.000 euros. La même année, deux enfants sont morts après avoir mangé des pizzas Buitoni contaminées par la bactérie E. coli, et des dizaines d’autres avaient été intoxiqués. Avec cette série de déboires sur le marché français, des rumeurs courent selon lesquelles Nestlé Waters chercherait à vendre ses sites de production français. La CGT, elle, demande la nationalisation de l’usine des Vosges.
« Malheureusement, ce n’est pas cela qui nous rendra la qualité des eaux souterraines. Il faut en finir avec la pollution aux pesticides et aux produits chimiques » conclut Bernard
Sources : « La « qualité sanitaire » des eaux minérales Nestlé n’est pas garantie, selon une note confidentielle de l’Anses », LeMonde, 06/04/2024 / « Colère des ONG dans l’affaire Nestlé : 3 milliards d’euros de fraude, seulement 2 millions d’amende », 11/09/2024, Mediapart
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