Après les révélations de septembre mettant en cause Carrefour, un nouveau rapport de l’ONG environnementale Mighty Earth démontre que le groupe français continue de s’approvisionner dans des abattoirs liés à la déforestation de l’Amazonie.
Publié le 25 novembre, ce document est le fruit d’« une vaste enquête » menée dans une dizaine de supermarchés de l’enseigne Carrefour – ou d’Atacadão et Sam’s Club, ses filiales au Brésil – dans sept villes différentes, en majorité de l’État de São Paulo, au sud du pays.
Viande fraîche, viande congelée, viande séchée ou transformée, les enquêteurs ont remonté la piste de 310 produits à base de bœuf pour savoir si leur vente finance ou non, indirectement, la transformation de la forêt amazonienne en pâturages et la spoliation de territoires autochtones.
Les résultats sont édifiants : sur les 310 articles identifiés, 85 proviennent de dix abattoirs JBS, le leader brésilien du marché de la viande de bœuf, que Mighty Earth avait incriminés dans son précédent rapport, soit 27 %.
Autrement dit, à rebours de ses promesses, Carrefour continue de s’approvisionner auprès de fournisseurs négligents achetant des milliers de têtes de bétail à des fermes parfois tenues par des criminels, notamment dans l’État du Rondônia, particulièrement menacé par la déforestation.
Des promesses bafouées
Grâce à son rachat, en juin dernier, des supermarchés BIG, le groupe Carrefour est devenu le leader de la grande distribution au Brésil, juste devant les déclinaisons locales de Casino, une autre multinationale française, elle-même accusée de participer massivement à la déforestation amazonienne.
Lire aussi : « En 2019, le groupe Casino a contribué à la déforestation de 56 000 hectares de forêt amazonienne »
La première enquête de Mighty Earth, parue en septembre, portait sur 102 produits carnés répertoriés dans six magasins Carrefour de six villes différentes du Brésil.
Ce panel, représentatif de l’ensemble des supermarchés locaux du groupe, avait prouvé que 72 % des aliments analysés provenaient des filières douteuses de JBS, et 12 % de deux abattoirs du Rondônia s’approvisionnant directement sur des terres spoliées à la communauté indigène Uru-Eu-Wau-Wau, et censées être protégées.
« Sans politique sérieuse contre la déforestation et en tant que principal vendeur de viande au Brésil, avait conclu Mighty Earth en septembre, Carrefour serait associé à une empreinte estimée à 4,5 % de la déforestation de l’Amazonie. »
À la suite de ces révélations, et en réponse à la campagne #CarrefourNousEnfume, le groupe français dirigé par Alexandre Bompard avait promis de suspendre les deux abattoirs du Rondônia et de régulariser sa chaîne d’approvisionnement.
Deux mois plus tard, l’heure du bilan a sonné : Carrefour n’a pas appliqué les suspensions promises et sur le terrain, note Mighty Earth, « le groupe dépend toujours fortement de fournisseurs connus pour leurs liens avec la déforestation ».
En dix mois, 9 494 km2 de forêts rasées
Sous la présidence de Bolsonaro, la déforestation de l’Amazonie brésilienne a atteint des niveaux inégalés : les dix premiers mois de 2022 ont vu s’effacer de la carte 9 494 km2 de forêts tropicales, le déboisement ayant augmenté de 75 % par rapport à la décennie précédente.
Cette conversion dramatique des terres amazoniennes a pour double cause l’expansion de l’élevage bovin voué au marché continental, et la culture du soja destiné à l’alimentation animale, notamment en Europe – un secteur que Mighty Earth qualifie d’« opaque ».
Alors que leur position de leaders devrait les forcer à adopter des politiques exemplaires, Carrefour et Casino collaborent directement avec un système conduisant l’Amazonie, qui a déjà perdu 22 % de sa surface initiale, à son « point de bascule » passé lequel la forêt risque de se détériorer inexorablement, et tout entière, en savane.
C’est pourquoi Mighty Earth demande à Carrefour d’interrompre en urgence tout échange commercial avec les entreprises responsables de la destruction des écosystèmes naturels, dans les secteurs de la viande bovine et du soja, en particulier JBS, Bunge et Cargill, dont les antécédents démontrent qu’elles sont sans foi ni loi.
À long terme, le groupe doit également sécuriser ses chaînes d’approvisionnement, et adopter une politique de réduction, dans ses rayons, des produits à base de viande, dont la consommation est responsable de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Crédit photo couv : Feux dans des fermes au sud de Nova Banderas, Alta Floresta, Mato Grosso, Brésil, 29/08/2022 – Repórter Brasil/Mighty Earth
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