EPH, la plus grande entreprise nationale tchèque, est également l’une des trois plus grandes compagnies charbonnières d’Europe, ayant le pire plan de décarbonisation parmi les entreprises européennes. Un rapport du journaliste et activiste Radek Kubala expose EPH pour la menace qu’elle représente envers la liberté d’expression par son accaparement d’une multitude de médias, ainsi que sa contribution à la crise climatique par sa promotion des énergies fossiles.
Main basse sur les médias
Le propriétaire, Daniel Křetínský, a multiplié sa fortune au cours des dernières années et est devenu l’une des personnes les plus riches de la République Tchèque et de la planète, avec une fortune s’élevant à 9,5 milliards de dollars.
En France, il a repris les vestiges de l’empire Lagardère en 2018 avec Elle, Télé 7 Jour, Public, Version Femina, puis acquiert Marianne, prend un ticket de 5 % dans TF1, et Usbek et Rica. Entré au capital de Fnac-Darty, il détient désormais 25 % des parts la société. Il a également acheté des parts dans la société « Le Monde libre », actionnaire de Le Monde, suscitant la méfiance du pôle éditorial qui estime l’opération « brutale ».
Il détient actuellement trois quotidiens en République Tchèque. Les médias représentent ainsi depuis longtemps son investissement principal, et sont encore une part essentielle de son plan d’action. Le 24 avril 2023, il a signé une promesse d’achat à 500 millions d’euros pour Editis, le numéro deux de l’édition française, mis en vente par Vivendi.
L’accaparement de Křetínský sur des médias en République Tchèque et en France représente une menace directe pour la liberté d’expression.
Le 15 décembre 2021, une tribune pour Le Monde alertait : « La concentration [de médias dans les mains de quelques millionnaires] a un impact majeur sur la qualité et la diversité de l’information délivrée au public. Elle réduit l’espace consacré au décryptage. Elle favorise l’opinion et fragilise la liberté de la presse ainsi que l’indépendance des journalistes. »
En avril 2022, les rédacteurs de Marianne dénoncent une intervention directe de l’actionnaire, qui fait modifier la une du journal pour afficher un soutien à la candidature d’Emmanuel Macron juste avant les élections présidentielles, alors qu’il avait personnellement promis à deux reprises aux journalistes qu’il respecterait leur indépendance éditoriale.
Selon le rapport, il a été ultérieurement révélé qu’avant les élections de 2017, il avait contacté plusieurs politiciens pour discuter d’un investissement dans l’entreprise française EDF. L’homme d’affaires est ainsi accusé d‘abus des médias pour promouvoir ses intérêts dans le secteur de l‘énergie.
En République Tchèque, l‘hebdomadaire Reflex et le quotidien Info.cz, tous deux possédés par Křetínský, sont particulièrement connus pour leurs nombreuses offensives contre les efforts de l‘Union européenne à instaurer des politiques de protection du climat ou même directement contre les organisations environnementales.
Selon le rapport : « Les rédacteurs à la tête des deux journaux insultent régulièrement les défenseurs du climat et l‘Union européenne pour leurs efforts de protection du climat sur leurs réseaux sociaux. »
Un acteur majeur des énergies fossiles
Outre cet accaparement des médias, les plans d’EPH pour le développement des infrastructures gazières sont les plus vastes jamais réalisés dans l’Union européenne.
Les centrales électriques à charbon d’EPH émettent plus de gaz à effet de serre que toute la Finlande. En 2021, elles ont émis presque 49 mégatonnes de CO2. L’entreprise possède des centrales à charbon en Tchéquie, Slovaquie, France, Italie, au Royaume-Uni et en Allemagne.
EPH abîme directement les forêts du monde entier par une gestion non durable de la biomasse : en 2022, l’entreprise et ses filiales ont vraisemblablement brûlé 4,2 millions de tonnes de bois dans leurs centrales électriques à biomasse et à charbon.
Depuis une dizaine d’années, Daniel Křetínský rachète de vieilles centrales à charbon et s’efforce d’empêcher leur fermeture en demandant des compensations à l’Etat pour leur arrêt. Les capitaux ainsi obtenus sont ensuite réinvestis dans le développement des infrastructures gazières.
L’Allemagne fait particulièrement les frais de ce détournement des politiques européennes des fonds de décarbonation, puisqu’en 2016, EPH a acquis presque toutes les mines de charbon et centrales électriques d’Allemagne. A la suite d’un fort lobbying, la société a obtenu une indemnisation d’1,75 milliards d’euros de l’Etat allemand.
L’entreprise est l’un des principaux importateurs de gaz fossile russe, possédant des gazoducs qui transportent ce combustible polluant à travers l’Ukraine et la Slovaquie. Elle profite et contribue ainsi à la dépendance de l’Europe à la Russie ainsi qu’à l’aggravation de la situation géopolitique suite à l’agression russe en Ukraine.
Elle contribue également à la crise sociale, puisqu’elle a doublé ses revenus en devenant la plus grande entreprise Tchèque, tandis que la hausse des prix pousse de plus en plus de ménages dans la précarité énergétique.
En plus de ce détournement des fonds de décarbonation européen, Daniel Křetínský retarde activement la disparition de l’industrie fossile dans tous les pays où il opère.
Selon le rapport : « [Ce] plan d’affaire contredit ainsi les engagements internationaux pour la protection du climat, et ne peut que conduire à un réchauffement climatique de plus de 1,5° et ainsi à la souffrance de millions de vie présentement et à l’avenir. »
Sources : « Editis, Gala, Atos… le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky attaque à tout va », Challenges, 09.05.2023 / 250 professionnels de la presse, de la télévision et de la radio alertent : « L’hyperconcentration des médias est un fléau médiatique, social et démocratique », tribune Le Monde, 15.12.2021 / Rapport « Comment EPH de Daniel Křetínský détruit le climat, profite de la précarité énergétique et menace la démocratie », Radek Kubala,Re-set