A l'origine du premier groupement citoyen forestier de France, Lucienne Haese, plus connue sous le nom de « Lulu du Morvan », continue à défendre corps et âme les forêts du Morvan, dont elle est originaire. Un combat d'une vie pour lequel elle vient d'être décorée chevalière de l'Ordre national du mérite.
Lulu du Morvan, une pionnière dans la protection des forêts
Une canne dans chaque main, Lucienne Haese se tient droite, les yeux rivés vers l’horizon. Devant elle s’étale la forêt de Montmain, revêtue des couleurs de l’automne. C’est là, au milieu du parc naturel régional du Morvan que l’octogénaire a passé son enfance. À la voir s’y balader, on perçoit d’emblée l’attachement profond qui la lie à cette forêt. On comprend aussi pourquoi celle que l’on surnomme « Lulu du Morvan » n’a jamais cessé de se battre pour la préserver. Retour en arrière.
« Dans les années 70, des groupes comme AXA assurance ou la Caisse des dépôts et des consignations ont commencé à avoir la mainmise sur les forêts du Morvan », rembobine celle qui a grandi non loin de la commune morvandelle d’Autun pour La Relève et La Peste. « Ils les transformaient brutalement en remplaçant les chênes, les hêtres, les érables, les merisiers, des beaux feuillus, par des pins douglas », prisés par l’industrie du bois pour leur rentabilité.
Lucienne Haese, surnommée « Lulu du Morvan », pose dans une forêt autour d’Autun. Crédit : JEFF PACHOUD / AFP
Une gestion forestière sans coupe rase ni monoculture
Lorsque quelques décennies plus tard, en 2003, la Caisse des dépôts fait part de sa volonté de racheter une partie de la forêt de Montmain, Lucienne s’y oppose fermement.
« On ne pouvait pas laisser faire un des plus gros enrésineurs du Morvan sans rien dire, détaille-t-elle, mais ça a été très dur. Dans la filière bois, j’étais la seule femme et comme je n’étais pas propriétaire, on me disait que je n’avais rien à dire sur la gestion forestière ».
De là naît sa décision, aux côtés des membres de l’association Autun Morvan écologie, de créer le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM). L’objectif : racheter des hectares de forêt pour les gérer en sylviculture raisonnée.
Une première en France qui porte immédiatement ses fruits, puisqu’ensemble, la Ville d’Autun, le conservatoire d’espaces naturels de Bourgogne et le GFSFM réussissent à racheter 270 hectares de forêt, qu’ils exploitent depuis sans coupe rase ni monoculture.
La forêt de Montmain – Crédit : GFSFM
Des avantages écologiques autant qu’économiques
Fondé il y a vingt ans, le GFSFM gère aujourd’hui près de 400 hectares, répartis sur 28 forêts des quatre départements de la Bourgogne. Une gestion rendue possible grâce à la contribution d’un peu plus d’un millier d’associés.
« Ce sont des citoyens lambda qui se sentent concernés et qui ont décidé de s’engager en investissant dans le groupement, détaille Lulu pour La Relève et La Peste. Une part de forêt coûte 175 euros. Certains offrent une part en guise de cadeau de mariage, d’autres au moment d’une naissance ! C’est très beau comme geste. »
Fort du soutien de ses très nombreux associés, le GFSFM se veut la preuve vivante qu’une gestion écologique de la forêt, en futaie irrégulière, peut également être rentable économiquement, « même si l’objectif n’a jamais été de faire du profit, insiste Lucienne. Si on en fait grâce à la vente de bois, qu’on vend toujours en circuit-court, on le réinvestit dans l’achat de nouveaux hectares », continue-t-elle, alors que le Groupement vient d’acquérir treize nouveaux hectares non loin de chez elle.
Et de renchérir : « Ce qu’on essaie de faire comprendre, c’est que sur le long terme, une gestion sans coupe rase est plus intéressante économiquement. Tout dépend de la perspective dans laquelle on se place et le problème, c’est que les investisseurs veulent une rentabilité immédiate… Dans cette logique, le douglas rapporte immédiatement. »
« Il faut continuer à acheter des forêts »
Dans le sillage du Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan, d’autres groupements forestiers citoyens ont essaimé à travers le territoire, comme celui du Chat sauvage, qui acquiert et gère depuis 2015 des forêts dans une perspective de sylviculture raisonnée.
Une fierté pour Lucienne Haese, qui espère voir ce mouvement prendre de l’ampleur : « Si on ne veut pas que le Morvan devienne une usine à bois comme le Limousin, il faut continuer à acheter des forêts, assure-t-elle, mais les citoyens ne pourront pas le faire seuls. On a besoin du soutien des Régions, des Villes, des propriétaires. »
Un discours qu’elle porte haut et fort auprès des élus de sa région natale, mais aussi sur les plateaux télé et jusque devant les ministres. Invitée lors de l’émission « Aux arbres citoyens » à l’automne 2022 sur France 2, elle avait ainsi interpellé Christophe Béchu sur l’état des forêts morvandelles. Une interpellation qui avait donné suite à une visite du ministre de la Transition écologique jusque sur ses terres du Morvan.
« Depuis 35 ans, j’en ai entendu des promesses, sourit Lulu à l’évocation de cette visite ministérielle, et la plupart du temps, la politique forestière me désespère, mais c’était bien qu’il vienne. »
Lucienne Haese dans la forêt de Montmain – Crédit : Cécile Massin
Un amour pour la forêt transmis aux nouvelles générations
Du haut de ses 82 ans, Lulu du Morvan continue aujourd’hui à se battre pour la forêt autant que ses forces le lui permettent. Alors qu’un staphylocoque a failli lui coûter la vie il y a quelques années, elle a repris le chemin forestier, arborant désormais sur son manteau d’hiver la médaille de chevalière de l’Ordre national du mérite, dont elle a été décoré il y a quelques semaines.
« Une femme écolo médaillée, c’est exceptionnel », sourit-elle, avant de reprendre avec force : « Mais bon, c’est bien beau de me remettre une médaille, mais ce qu’il faudrait, c’est préserver efficacement nos forêts, et pour le moment, on en est loin ». D’autant que « les mouvements écologistes sont de plus en plus criminalisés », fustige-t-elle.
Décidée à ne pas baisser les bras pour autant, Lulu du Morvan dit placer son espoir dans les jeunes générations pour prendre la relève. Des jeunes qui lui ont d’ailleurs « fait un magnifique cadeau » en choisissant de rebaptiser dans la forêt de Montmain un chemin forestier à son nom.
« C’est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis longtemps, sourit-elle. Je suis persuadée que si on arrive à faire voir aux enfants la beauté de la forêt, à leur faire sentir, ils sauront la protéger », conclut celle dont l’amour pour les arbres puise ses racines jusque dans l’enfance, au cœur la forêt de Montmain.
Retour
