Un peu partout en Europe et ailleurs dans le monde, le score des partis d’extrême droite augmente. Un peu partout sauf… en Wallonie. Qui résiste encore et toujours à l’émergence de ces partis. Derrière ce qui ressemble au début d’un nouvel Astérix se cache un grand principe : l’application du cordon sanitaire politique et... médiatique. Un texte de Pierre Koole Paulus et Mathieu Paulus.
Petit retour en arrière… Tout commence en 1989. Nous sommes en Belgique. Un petit parti flamand d’extrême droite, le Vlaams Blok, commence à prendre du galon. L’inquiétude des partis démocratiques pointe, les poussant à dessiner les premiers contours d’un pacte politique visant à exclure toutes collaborations avec ce nouveau parti en cas de percée de celui-ci. Deux ans plus tard, lors des élections législatives du dimanche 24 novembre 1991, le Vlaams Blok quadruple son score et obtient 12 sièges au Parlement… Un “dimanche noir” pour la Belgique. Qui accélère l’instauration, par les partis démocratiques, d’un cordon sanitaire politique. Son objectif est simple : endiguer et barrer l’accès au pouvoir des partis politiques aux idées liberticides, racistes, négationnistes, discriminatoires, et séparatistes.
En France aussi existe ce rempart, républicain en l’occurrence, empêchant l’extrême droite de monter au pouvoir. Mais en Belgique, l’histoire du cordon sanitaire ne s’arrête pas là. Le “village gaulois” du Sud du pays, la Wallonie, ainsi que la capitale, Bruxelles, moins envahie par les idées d’extrême droite en 1991, poussent le cordon un peu plus loin en le rendant également médiatique !
Histoire de couper court à la moindre intrusion. Ce supplément de cordon consiste à « empêcher que les partis ou représentants d’extrême droite disposent d’un temps de parole libre en direct en télévision ou à la radio, ce qui les exclut d’office des émissions de plateau ou de débat en direct », développe le CRISP, le Centre de Recherche et d’Informations Socio Politiques dans cet article. « La presse est par contre invitée à informer sur ces partis, voire à les citer ou à interviewer leurs représentants, pour autant qu’une mise en perspective de leur programme et de leurs propos soit effectuée ».
A contre-courant de cette résistance gauloise, côté français et sous la présidence de François Mitterrand, le légionnaire d’extrême droite Jean-Marie Le Pen est invité à s’exprimer en Télé. Une heure d’antenne en direct, littéralement servie sur un plateau, lui permettant de charmer à sa guise le petit bonnet phrygien français. On est le 13 février 1984, et alors que l’extrême droite est au plus bas, elle va depuis lors, grimper et grimper encore.
Son influence grandissante va se cristalliser dans l’univers médiatique via des fortunes privées comme Bolloré. Les dix dernières années ont observé un basculement. Les reportages de fond, les émissions satiriques, bref, l’indépendance du journalisme face au pouvoir, et l’intérêt public qu’il défend, s’effritent sous le joug de l’idéologie de Bolloré et de ses sbires (Zemmour, Praud, Hanouna, pour ne citer qu’eux) pour laisser place à des tables de conversations, de commentaires sur l’actualité, auxquelles sont trop souvent accoudés des ultracrépidariens.
En voulant déstabiliser la droite le 13 février 1984, Mitterrand a déséquilibré l’échiquier politique français traditionnel, créant, sans le vouloir, la possibilité d’un ruissellement vers l’extrême droite.
Pour revenir à notre village gaulois du Sud de la Belgique, si on ne peut affirmer que ce cordon sanitaire médiatique est la raison principale du score insignifiant de l’extrême droite en Wallonie et à Bruxelles, il est tout de même interpellant d’observer que dans le même temps et dans un contexte sociologique assez similaire, marqué par la paupérisation des classes ouvrières et moyennes, l’extrême droite connait un succès signifiant à quelques dizaines de kilomètres de là, dans plusieurs entités du Nord de la France.
Au fur et à mesure de notre article, on peut avancer l’hypothèse que le cordon sanitaire médiatique est efficace uniquement si l’extrême droite est faible au départ. En Flandre, depuis 1991, l’extrême droite est devenue quasi incontournable, provoquant dans certaines communes une remise en question, voire une rupture du cordon sanitaire politique. Récemment, suite au dernier scrutin communal d’octobre 2024, le parti d’extrême droite, devenu Vlaams Belang, est désormais aux manettes de différentes communes, Ninove et Brecht en tête.
En France également, la situation semble compliquée tant les récents événements, les incessants changements de gouvernement, font vaciller l’actuel Président et peuvent favoriser la montée au pouvoir de l’extrême droite.
Notons dès lors l’importance que le sentiment nationaliste -la Flandre est presque vue ou voudrait être vue comme une nation par beaucoup de Flamands- peut avoir dans le vote pour l’extrême droite : cette “idée de la Flandre”, qu’on retrouve chez les extrémistes de droite en France aussi.
La prévention et la lutte se jouent sur plusieurs fronts à présent. Dans nos écrans, dans nos journaux, dans notre culture, le jeu entre privé et public, qui opère généralement, pourrait basculer vers une privatisation malsaine qui priverait le publique de l’intérêt public, au profit de la haine gangrénée par l’extrême droite. Là est l’enjeu, comme rappelé dans cette tribune signée, entre autres, par notre media La Relève et La Peste : « Pour un front commun des médias contre l’extrême droite »
Le cordon sanitaire médiatique tel qu’appliqué en Wallonie et à Bruxelles n’est toutefois pas sans faille. La stratégie de l’extrême droite est de le contourner en diffusant massivement leurs idées via… les réseaux sociaux. Or, ceux-ci sont utilisés par une part de plus en plus jeune de la population. Le risque serait de tomber dans la marmite de l’extrême droite dès le plus jeune âge. L’enjeu de ce cordon sanitaire étendu est donc bien réel.
S’il n’y a certainement pas de potion magique face à la montée en puissance de ces partis et de leurs idées aussi sombres que nauséabondes, des projets de régulation, de filtrage de contenus et de plafonnement des dépenses sur les réseaux sociaux, existent et sont déjà, du moins dans le village gaulois du Sud de la Belgique, sur la table des politiques : pour que le cordon sanitaire résiste encore et toujours aux envahisseurs d’extrême droite… Par Toutatis !
Et c’est ainsi que le village gaulois se retrouva à la fin de cet article autour d’un bon festin, à l’heure de la Noël et de la Nouvelle Année, avec pour seule envie de profiter de la vie, et des convives, leurs ami.e.s venu.e.s de partout dans le monde. Seule personne à faire taire ce soir-là, le Barde Ella… Il chante très faux, il paraît.