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Les tensioactifs des produits nettoyants polluent dramatiquement l’océan et les littoraux

Au fil des années et des décennies, les nouveaux micropolluants s’ajoutent aux anciens et ne disparaissent pas. Ils anéantissent la faune microscopique et contaminent toute la chaîne alimentaire, finissant évidemment dans nos assiettes.

Après les tempêtes Gabriel et Amélie de 2019 et Bella de 2020, la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (Sepanso), une fédération d’associations, a analysé des échantillons de mousses blanches prélevées sur les plages de Gascogne. Le résultat est atterrant : toutes contenaient des proportions de produits pétrochimiques largement supérieures aux normes sanitaires. Invisible, cette pollution est en train d’anéantir les estuaires et les littoraux français. 

Tensioactifs : la bombe écologique de nos produits nettoyants

« Tensioactifs » : c’est le nom d’une véritable bombe écologique qui explose actuellement sous nos yeux. Non ioniques, anioniques ou cationiques, les tensioactifs de synthèse constituent des dérivés d’hydrocarbures issus de l’industrie pétrochimique.

On retrouve ces « agents de surface » (leur nom commun) dans tous les produits servant de près ou de loin au nettoyage : gels douche, shampooings, détergents, dissolvants, lessives, assouplissants, liquide vaisselle… Tout ce qui « mousse » en contient.

Ils sont prisés car ils permettent à l’eau de capter les graisses, tuent les bactéries et désinfectent les supports. Seulement, ils sont extrêmement toxiques pour l’environnement. 

Les tensioactifs entrent dans la classe des « polluants » ou « contaminants émergents », qui regroupent des centaines de substances dont la présence dans la nature n’avait pas été repérée auparavant et dont l’étude et la surveillance sont récentes.

Passés sous les radars, ces micropolluants, nocifs à des doses infinitésimales, se disséminent partout, notamment dans les eaux. Et leurs quantités sont en pleine croissance.

Dès 1998, le Collectif des scientifiques pour des détergents sans danger pour l’environnement, rassemblant une soixantaine de membres, mettait en garde sur la pollution grandissante aux tensioactifs de synthèse qui, parvenus dans les milieux naturels, forment un « cocktail chimique » ravageur. De multiples facteurs expliquent leur dissémination dans les fleuves, les mers et les océans.

« Il y a d’abord les eaux de ruissellement, nous explique Christian Boireau, ingénieur chimiste et membre de la branche landaise de la Sepanso depuis une dizaine d’années. Une forte pluie sur une route fraîchement goudronnée, par exemple, draine tous les produits pétrochimiques encore volatils qui s’y trouvent et les déverse dans les cours d’eau, qui les acheminent jusqu’à la mer. »

Second facteur de dispersion : les stations de traitement des eaux usées (STEU) – le réseau d’assainissement collectif qui maille l’ensemble du territoire – ne sont pas conçues pour filtrer ou dégrader les tensioactifs et les relâchent dans l’environnement.

« Une STEU française normale, continue l’ingénieur, neutralise entre 50 et 65 % des charges chimiques des eaux usées, par l’oxygénation, l’ultraviolet, l’inertie ou l’augmentation de la pression et de la température. Les 50 ou 35 % des biocides restants, eux, finissent dans la nature. »

Mais il ne s’agit là que du fonctionnement normal des STEU. L’été dans les villes balnéaires, ou l’hiver dans les grandes villes, par exemple, le réseau d’assainissement, qui ne prend pas en compte l’équivalent nombre d’habitants, connaît des pics de charge et ne peut plus traiter toutes les eaux usées, ce qui réduit considérablement la proportion de biodégradation en amont du déversement.

L’urbanisation galopante n’a jamais été compensée par de nouvelles stations d’assainissement.

Ce n’est pas tout, indique Christian Boireau. « Tous les produits contenus dans les gels douche, lessives, les piscines publiques ou privées et même les urines et les déjections (comme les médicaments) peuvent se combiner et produire des métabolites, à savoir des composés chimiques persistants, qu’on retrouve dans les milieux des dizaines, voire des centaines d’années plus tard. »

Le métabolite du glyphosate ou de certaines molécules présentes dans les détergents se nomme par exemple l’AMPA, un acide organique très toxique échappant totalement à l’assainissement.

Après avoir été charriés par les fleuves, ces produits pétrochimiques franchissent les estuaires, dont ils compromettent le foisonnement biologique, puis se répandent le long des littoraux où ils tendent à se concentrer. C’est la bioaccumulation.

Crédit : Howard Jenkins

L’accumulation des tensioactifs dans l’environnement

Au fil des années et des décennies, les nouveaux micropolluants s’ajoutent aux anciens et ne disparaissent pas. Ils anéantissent la faune microscopique et contaminent toute la chaîne alimentaire, finissant évidemment dans nos assiettes.

Sur les plages aquitaines, la Sepanso constate par exemple « la quasi-disparition des bivalves et des vers arénicoles », ainsi que « la dégradation de la végétation ».

Comme la majorité de la population se concentre sur les littoraux et les estuaires, c’est dans ces zones pourtant « déterminantes pour la reproduction des ressources halieutiques » que se retrouvent les plus forts taux de pollution.

Pour prouver ses affirmations, la Sepanso s’est penchée sur un phénomène bien connu des habitants des côtes : les tempêtes moussantes, qui rejettent de grandes quantités d’embrun sur les plages et jusque dans les villes. Naturelle, cette « barbe de Neptune » résulte du brassage de l’eau salée et de ses matières organiques (comme les bactéries et le plancton) par le vent et les vagues.

Sur les littoraux du pays de Gascogne, il y en a toujours eu, mais les mousses d’aujourd’hui semblent plus épaisses et persistantes. En février et novembre 2019, après le passage des tempêtes Gabriel et Amélie, ainsi qu’en décembre 2020 après celui de la tempête Bella, la Sepanso a donc décidé d’analyser des échantillons de mousse prélevés sur des plages d’Anglet et de Biarritz.

Le résultat est atterrant : les concentrations de tensioactifs y dépassaient de loin toutes les normes de santé en vigueur.

« En 2019, commente Christian Boireau, nous avons noté que les agents anioniques, cationiques et non ioniques étaient présents en quantités parfois mille à trois mille fois supérieures aux préconisations scientifiques. Cela veut dire que quand on prélève un litre de mousse, on trouve des milligrammes de tensioactifs, alors qu’on devrait compter en microgrammes, car c’est cette dernière unité de mesure qui fixe le seuil de leur toxicité. »

Même conclusion, avec quelques variations, vis-à-vis des prélèvements de 2020. Pour l’ingénieur, nul doute, les mousses sont épaissies par la présence de détergents qui flottent à la surface des eaux littorales et font que « la mer ne sent plus la mer ».    

Depuis des décennies, la Sepanso essaie d’alerter des pouvoirs publics locaux et nationaux décidés à ne rien entendre.

Elle souhaiterait d’abord que les tensioactifs soient retirés sans concession des produits domestiques et industriels, ensuite que les STEU deviennent proportionnelles au nombre d’habitants et s’équipent de filtres supplémentaires (ozone et charbon), enfin que la question des eaux de ruissellement apparaisse au moins dans le débat public.

« Mais le sujet est constamment nié, étouffé ou réfuté par les autorités, déplore Christian Boireau, car si l’on disait la vérité, il n’y aurait plus personne sur les plages, les gens prendraient conscience qu’ils se baignent dans les produits pétrochimiques, les médicaments et les métaux lourds. »    

En attendant une réaction trop tardive de toute façon, la Sepanso recommande aux particuliers de cesser d’employer des produits comportant des agents de surface. Au lieu du gel douche et du shampooing liquide, du savon de Marseille et du shampooing solide. Au lieu de la lessive des supermarchés, du bicarbonate de soude, mélangé à des copeaux de savon et de l’huile essentielle. À la place des détergents, du vinaigre blanc.

Autant de produits naturels tout aussi efficaces et se dégradant bien plus vite dans l’environnement.    

Augustin Langlade

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