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Les JO 2024 menacent le récif corallien de Teahupoo

“C'est une certitude qu'ils vont dégrader les coraux, voire creuser un chenal. C’est aussi une destruction de notre garde-manger, l’un des rares endroits de Tahiti où le poisson-chirurgien est encore comestible"

Les Jeux Olympiques “les plus verts de l’histoire” risquent de détruire l’écosystème corallien fragile de Teahupoo, en Polynésie. Lagon idyllique pour les surfeurs du monde entier, le Comité Olympique entend y construire une tour en aluminium en pleine mer pour accueillir le jury des compétitions de surf.

“On nous disait que ce n’était pas Teahupoo qui allait s’adapter aux JO mais les JO qui allaient s’adapter à Teahupoo” s’émeut Matahi Drollet, free surfeur professionnel et membre de Mata Ara ia Teahupoo 2024, un collectif qui s’oppose à la construction de la nouvelle “tour d’arbitrage”.

Cette infrastructure de trois étages, d’une hauteur de 15 mètres, serait dotée de toilettes avec un système d’évacuation raccordé à des canalisations sous-marines. Un local technique climatisé pour les serveurs internet et alimenté par des câbles immergés sur une longueur de 700 mètres est également prévu. Coût total du projet : 4,4 millions d’euros.

Une nouvelle structure pour “des raisons de sécurité”?

Pourtant, une tour en bois accueille, chaque année depuis 15 ans, les membres du jury des épreuves de la World Surf League (WSL). Celle-ci est installée puis démontée une fois la compétition terminée.

Les associations locales demandent la préservation et la consolidation de cette tour en bois et souhaitent qu’elle soit alimentée par des panneaux solaires pour éviter tout câble sous-marin.

De son côté, le comité olympique justifie la construction de la tour en aluminium pour des raisons de sécurité. Un argument que “peut comprendre” Cindy Otcenasek, présidente de Vai Ara O Teahupoo, interrogée par un média local, mais qui n’est justifié par aucune étude concrète.

“On leur demande de nous montrer le rapport qui prouve qu’ils ont fait une étude au sujet de la sécurité de cette structure en bois” réclame la militante.

“La fondation Happy JO avait commandé une étude en 2017 pour savoir si les fondations existantes pouvaient supporter la structure en aluminium, mais ils n’ont jamais demandé si la structure en bois pouvait être supportée par les fondations actuelles. On est choqués. Ils peuvent dire que ce n’est pas aux normes, mais pourquoi la WSL viendrait depuis 15 ans si cette tour n’était pas aux normes ? ” continue-t-elle.

En 2011, lors d’un “code rouge” interdisant toute activité nautique en raison d’un épisode météorologique avec des vagues de plus de 15 mètres de haut, la tour en bois avait pourtant résisté.

La tour en bois habituellement utilisée – Crédit : World Surf League

“Aucune étude d’impact environnemental”

“Pour nous et nos ancêtres la mer est un lieu sacré, le lagon de Teahupoo est un héritage ancestral que l’on doit protéger. La vague de Teahupoo (une des plus prisées au monde par les surfeurs) existe depuis plusieurs siècles grâce à l’équilibre entre la croissance du corail, l’eau douce de la rivière de Fauor, les différents courants marins, et la houle” décrit Matahi Drollet.

Selon les associations locales, cet équilibre est menacé par les futures canalisations sous-marines ainsi que les fondations de la nouvelle tour constituées de 12 plots en béton armé et de 72 micro piliers.

“Cela risque d’endommager les patates de corail qui attirent et nourrissent la vie marine” explique le surfeur.

Le samedi 21 octobre, lors d’une prise de parole devant la population du village voisin de Toahotu, le président de la Polynésie française Moetai Brotherson a tenté de rassurer, expliquant qu’il était “évident qu’au moment du forage, qu’il y aura du bruit et des dégagements de sable, mais tout ça va être contenu et nettoyé. Ensuite, la nature reprendra ses droits » 

Pourtant, “il n’y a aucune étude d’impact environnemental” selon Cindy Otcenasek. Un bureau d’études spécialisé en environnement marin a récemment été missionné par le gouvernement polynésien pour analyser les conséquences du projet, mais c’est une prise de conscience “tardive” explique la militante.

Une étude d’impact environnemental aurait dû “être faite sur 6 mois avant toute conception pour pouvoir faire un projet qui s’adapte au site qui accueille l’évènement”. 

Teahupoo Tahiti, peinture de Phil Roberts

“C’est une certitude qu’ils vont dégrader les coraux, voire creuser un chenal. C’est aussi une destruction de notre garde-manger, l’un des rares endroits de Tahiti où le poisson-chirurgien est encore comestible », poursuit Matahi Drollet.

La crainte principale des associations et des habitants est l’accélération du développement de la ciguatera, une toxine produite par des algues microscopiques, invisibles à l’oeil nu, qui habitent les environs des récifs coralliens.

Le lagon est, pour l’heure, indemne de ce fléau qui touche nombre de récifs à travers le monde. Mais, selon les associations, le stress et l’impact environnemental engendrés par la nouvelle tour pourraient participer au développement de l’algue.

La ciguatera empoisonne la totalité des êtres vivants d’un écosystème. Les habitants de Teahupoo, qui vivent principalement de la pêche, se retrouveraient privés de leur principale ressource.

Le 9 octobre, une marche de protestation réunissant plusieurs centaines d’habitants a été organisée par le collectif  Mata Ara ia Teahupoo 2024. Celui-ci regroupe plusieurs associations locales dont Vai ara o Teahupoo, Fa’afaitedes, Fenua Aihere Nuuroa, la fédération Tahei’ auti ia Mo’orea, ainsi que des pêcheurs, des surfeurs, des agriculteurs, et des prestataires touristiques.

« On ne dit pas non aux JO, mais on dit non à la tour en aluminium. Le gouvernement avait dit que ce n’était pas à Teahupoo de s’adapter aux JO (mais) aux JO de s’adapter à Teahupoo. On attend qu’il tienne parole » conclut Matahi Drollet.

Une pétition en ligne regroupant 120 000 signatures a également été lancée. Face à la polémique qui prend de l’ampleur, le président de la Polynésie française Moetai Brotherson a rappelé au Comité d’Organisation des Jeux Olympiques que les Jeux ne pourraient pas se faire sans la population, dans une volonté d’apaiser les choses.

Une nouvelle marche populaire contre la tour en aluminium aura lieu dans les rues de Papeete ce 10 novembre 2023.

Sources : “Tour des juges : « ils sont où ceux qui sont censés protéger l’environnement ? » lance Cindy Otcenasek”, TNTV Tahiti Nui Télévision, 25/10/2023 / “JO 2024 : Brotherson calme le jeu après la polémique liée l’épreuve de surf à Teahupoo”, DailySports, 30/10/2023

Florian Grenon

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