Un paragraphe, et tout change. Adopté le 14 septembre 2022 par le Parlement européen, un discret amendement au projet de révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED II) risque d’entraîner « un appel d’air » inédit dans la déforestation du territoire guyanais, alerte l’association Maïouri Nature Guyane.
Principal instrument de l’Union européenne dans la promotion des énergies renouvelables, la RED II fait actuellement l’objet d’intenses négociations entre les pays membres. Sa version révisée, dite RED III, qui sera adoptée cette année, prévoit de retirer la plupart de la biomasse – issue de la combustion de matières organiques – de la liste des sources « propres » d’énergie qui pourront bénéficier de subventions publiques.
« L’Union européenne s’est rendu compte que l’incitation à l’usage de biomasse-énergie a conduit à l’effondrement du puits de carbone européen et a nui à la santé des forêts en Europe », analyse Marine Calmet, juriste pour Maïouri Nature Guyane.
Selon des associations environnementales, à l’heure actuelle plus de la moitié du bois récolté en Europe serait brûlé pour le chauffage et l’électricité. Or ce type de bois, produit par des monocultures intensives remplaçant peu à peu des sols agricoles ou forestiers, produit en bout de parcours davantage de gaz à effet de serre qu’il ne permet d’en retenir.
En retirant toute « biomasse ligneuse primaire » ne respectant pas des critères drastiques de durabilité de la liste des énergies renouvelables, l’Union européenne a ainsi décidé de sortir de ce cercle vicieux aussi néfaste pour les sols que pour le climat.
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L’amendement 33
Glissé par des députés français, en majorité issus du parti présidentiel, Renaissance, un amendement (le 33) introduit cependant une dérogation à ces principes dans les régions « ultrapériphériques » du territoire européen, en premier lieu la Guyane.
Boisée à 96 %, cette région française d’Amérique du Sud, aussi grande que le Portugal, est composée aux neuf dixièmes de forêts primaires. Il est donc aisé de comprendre pourquoi l’interprofession du bois et les élus locaux ont longuement bataillé pour obtenir cette dérogation, arguant du développement de la filière biomasse guyanaise.
Plus concrètement, s’il était appliqué, cet amendement permettrait aux trois centrales à biomasse de Guyane – Cacao, Kourou, Saint-Georges –, et aux autres en projet ou en construction, de s’approvisionner en bois extrait de la forêt amazonienne ou de surfaces forestières converties dans la production monospécifique, alors qu’elles étaient auparavant très riches en biodiversité.
« Aucun des critères européens ne serait donc rempli, explique Marine Calmet, ni le critère de durabilité, ni celui de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais cette électricité bénéficierait du statut d’énergie renouvelable, et les entreprises qui la produisent de subventions d’État colossales au titre des financements verts. »
D’où « l’appel d’air sans précédent » que craint Maïouri Nature Guyane : ainsi dopé à l’argent public, le secteur de la biomasse attirera les spéculateurs, qui y trouveront des investissements garantis par l’État. À long terme, le résultat pourrait être le même qu’au Brésil avec le soja ou qu’à Bornéo, ravagée par les monocultures d’huile de palme.
Feu vert aux industriels
Justifiés par l’enclavement énergétique de la Guyane – ce qui ne les rend pas pertinents pour autant –, les projets biomasse sont récemment montés en puissance. À Montsinéry-Tonnégrande, une nouvelle centrale est en construction. Portée par la société Voltalia, une autre usine sera bientôt alimentée par la coupe des arbres immergés dans la retenue d’eau de Petit Saut, au nord de la région.
Ce marché n’a rien d’écologique, mais il répond aux objectifs de l’État d’atteindre, en Guyane, 40 mégawatts électriques (MWe) de biomasse d’ici la fin 2023, et 61,7 MWe de production d’ici 2030, ce qui impliquerait, selon Maïouri Nature, de consommer 635 000 tonnes de biomasse par an, soit des déchets de scieries ou d’exploitations agricoles, et une bonne partie de bois de forêts…
« L’amendement 33 a pour ambition de donner un feu vert aux industriels, résume Marine Calmet. Il permettra sans doute à la société Maillet, par exemple, de concrétiser son projet Mia. Mais la forêt amazonienne, dont la préservation est déjà mise à mal par le dérèglement climatique, s’en trouverait fortement perturbée. »
En gestation depuis 2017, le projet Mia souhaiterait introduire, en pleine forêt amazonienne, 1 000 hectares de teck (une espèce non endémique) pour la construction et 2 000 hectares de plantes à croissance rapide pour alimenter les centrales biomasse. Il est activement combattu par les associations locales, mais reste peu médiatisé.
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Tout n’est pas perdu. La dérogation européenne doit encore être validée, ce mois-ci, par le trilogue qui se tiendra le 7 février prochain, et au cours duquel les représentants du Parlement, du Conseil européen et de la Commission statueront sur la révision de la directive.
En France, le gouvernement mène depuis le 15 décembre, et jusqu’au 13 janvier, une consultation publique sur le décret qui viendra appliquer la dérogation européenne dans les territoires d’outre-mer. « Tout le monde peut y participer et donner son avis, signale Marine Calmet. Mais il ne reste que quelques jours. »
Rappelons qu’avec 5 500 espèces de végétaux, 700 d’oiseaux, 189 de mammifères, 132 d’amphibiens et des centaines de milliers d’insectes, selon l’OFB, la Guyane représente à elle seule 95 % de la biodiversité française. Un argument justifiant à lui seul de tout mettre en œuvre pour la protéger.
Crédit photo couv : Daniel Heuclin / Biosphoto via AFP