Ces dernières années, des marins ont pu observer un événement maritime hors-norme en Méditerranée : le rassemblement de dizaines de cachalots lors des naissances des leurs. Parmi eux, une marraine a pour rôle crucial de porter le nouveau-né à la surface afin qu’il prenne sa première goulée d’air. Des images magiques de ces moments exceptionnels ont été filmées.
Les naissances des cachalots, un temps social
Les marins n’ont pas tout de suite compris ce qu’il se passait, lorsqu’une vingtaine de cachalots s’est réunie à la surface des flots entre la Corse et le continent. C’est en envoyant dans les airs un drone pour filmer les cétacés qu’ils se sont rendus compte qu’ils assistaient à non pas une, mais deux naissances de bébés cachalots.
« Se rendre compte en analysant les photos que c’était deux naissances de cachalots, c’était fantastique, j’ai encore la chair de poule, raconte Patrice Cuilleret, le capitaine de « L’Éden ». C’est extraordinaire. On voit très bien le placenta sur les images, et la petite nageoire caudale. Il faut savoir que c’est un bébé, mais il fait quand même plus de 3 mètres. »
Le Cachalot est une espèce cosmopolite dont la présence en Méditerranée est connue depuis très longtemps. Ces cétacés de 4 tonnes et 18m de long sont des champions de l’apnée et chassent dans les abysses jusqu’à 2000m de profondeur.
Cette espèce fonctionne de manière matriarcale, avec des femelles dirigeant des groupes de consoeurs et juvéniles dont les mâles sont exclus à maturité sexuelle. Lors de l’accouplement et des naissances, les cachalots se retrouvent et chacun à un rôle à jouer.
« La femelle va être entourée au moment de la naissance. Ce qui est très important c’est que quand le petit va naître, il va être poussé vers le haut par une autre femelle, que l’on va appeler la marraine, qui va l’aider à faire sa première respiration. Car quand il sort du ventre de sa mère, il ne sait pas où il est, et il faut vraiment qu’il remonte à la surface pour prendre sa première goulée d’air » explique Cathy Cesarini, cétologue et présidente de l’association Cétacés Association Recherche Insulaire – CARI
Si les cachalots ont pu se réunir en étant séparés par des centaines de kilomètres, c’est grâce à leurs façons de communiquer ainsi que nous le précise le bioacousticien Hervé Glotin que nous avons rencontré pour le livre-journal « Océans ». Spécialiste dans l’étude des chants des cétacés, le chercheur soupçonne ces grands mammifères marins d’avoir des dates et des lieux propices à certains événements. Ils communiquent par des clics, dont la puissance peur aller jusqu’à 236db, faisant d’eux les animaux les plus bruyants de la planète, bien plus sonores qu’un avion qui décolle (130 db).
Une espèce méconnue déjà menacée
Ce cliquetis sous-marin a même été enregistré par le plongeur scaphandrier et photographe professionnel Frédéric Bassemayousse, lorsqu’il a eu la chance inopinée d’assister à une naissance en 2016, ramenant des clichés incroyables. Là aussi, plus d’une vingtaine d’individus s’étaient rassemblés pour assister à une naissance.
« Ils sont bientôt 27 ; un rassemblement considérable. Sous l’eau, le vacarme des clics, des codas, des creaks est assourdissant. J’aime à penser que certaines de ces expressions sonores sont des « faire-part » de naissance qui annoncent au loin l’heureux événement. En effet, jusqu’à la tombée de la nuit, des cachalots viennent de tous les horizons saluer l’événement. Les éléphants et les humains en font de même ! Pour le protéger de l’enthousiasme des arrivants venus le saluer, un mâle forme rempart à sa gauche, une femelle – la marraine – le garde à sa droite. Sa mère nage sur le dos juste en dessous. Dans ce fourreau de protection le petit est en sécurité. Sa mère le porte à la surface par intermittence afin de faciliter sa respiration » raconte-t-il sur le site Ultramarina.com
Si ces témoignages sont si précieux, c’est que nous connaissons encore mal les habitudes de vie de ces animaux indispensables au bon fonctionnement des océans. Comme tous les grands prédateurs, le cachalot n’a pas eu besoin d’assurer une nombreuse progéniture pour persister dans le temps.
Cette espèce classée vulnérable a une durée de gestation de 14 à 16 mois et une durée d’allaitement de 2 à 3 ans. Sa croissance est beaucoup plus lente que celle des balénoptères puisqu’il ne doublerait sa longueur qu’après 7 ou 8 ans alors que le Rorqual commun en fait autant en 6 ou 7 mois. Les femelles atteignent leur maturité sexuelle entre 7 et 13 ans, tandis que les mâles l’atteignent à partir de 18 ans.
Il y a plus de 20 ans, la France, l’Italie et le sanctuaire de Monaco ont créé le « sanctuaire Pelagos » où ces observations exceptionnelles ont eu lieu. Hélas, le nombre de bateaux augmentant toujours plus dans la zone fait que le risque de collision avec les cétacés est 3,25 fois plus élevé qu’ailleurs en Méditerranée durant l’été. Ces collisions ont des conséquences dramatiques : on estime qu’elles augmentent de 20% la mortalité des rorquals communs et des cachalots en Méditerranée.
A cause des collisions avec les bateaux, de la pollution plastique et chimique, mais aussi du réchauffement climatique, la population française méditerranéenne de cachalots est menacée de disparition. Chaque naissance est donc primordiale pour la perpétuation de l’espèce.
Sources : « Les images rarissimes de la naissance de deux bébés cachalots », TF1, 28/09/2022