Un ingénieur forestier, un défenseur des arbres, un mycologue, un philosophe, deux journalistes, une botaniste, trois photographes et un cultivateur : notre nouveau livre-journal, « Forêts », vous présente sous tous les angles l’un des écosystèmes les plus riches et perfectionnés qu’a créés la Terre. À l’heure où l’industrialisation et les changements climatiques menacent plus que jamais les arbres et leurs milieux, cette publication unique en son genre vous donnera l’envie, nous l’espérons, de mieux les comprendre et les protéger.
D’entrée de jeu, un constat s’impose : nous traitons l’écrasante majorité de nos forêts comme nous traitons les champs, industriellement. En dépit de ces chiffres insolents qu’on nous martèle – la France possède 17,1 millions d’hectares de forêts, soit 31 % du territoire –, ce qu’on appelle la « malforestation » a pris une ampleur inédite dans l’histoire. Journaliste à Reporterre, Gaspard d’Allens a enquêté pendant plusieurs mois sur ce phénomène. Dans un chapitre de notre livre-journal illustré par un photographe de talent, Jean-Luc Pillard, il nous livre les résultats les plus marquants de son reportage.
Comprendre…
La forêt est menacée. Il ne tient qu’à nous de la secourir ; mais pour ce faire, nous devons transformer en profondeur le rapport que nous entretenons avec elle.
« Jamais encore, il n’a été aussi urgent de bien comprendre la forêt pour mieux l’intégrer dans nos actions, explique ainsi, dans « Forêts », l’ingénieur forestier suisse Ernst Zürcher, chercheur en sciences du bois et auteur de plusieurs best-sellers sur la vie des arbres.
Si nous prétendons opérer la transition écologique et climatique avec succès, ce ne sera qu’à l’aide des arbres et des forêts, mis à contribution dans le respect de leurs “lois de fonctionnement”. »
Ces lois, quelles sont-elles ? Alors que l’Amazonie menace chaque jour d’atteindre son point de bascule passé lequel elle pourrait se détériorer inexorablement en savane, les découvertes scientifiques entourant les arbres se multiplient, et tout un pan de leur existence commence à s’ouvrir à nous.
Dans un chapitre onirique, notre rédactrice en chef Laurie Debove nous apprend par exemple que les arbres possèdent des « sens » que nous n’avons pas et communiquent entre eux via des réseaux souterrains de champignons… Ce sont des êtres sensibles et sociaux, et « des champions de la symbiose ».
Docteure en physiologie végétale, Catherine Lenne va plus loin : dans un chapitre où elle nous apprend, du liège au duramen, tout ce qui « fait » un arbre, la chercheuse révèle que cet être a la capacité de percevoir le vent et la gravité, et de rectifier son axe de croissance grâce à « des formes de proprioperception ».
Lutter…
Comment, dès lors, protéger les arbres, assurer cette meilleure gestion des forêts mettant nos sociétés pressées à l’épreuve du temps long ? Pour les personnes de bonne volonté disposant de temps et d’un peu d’argent, il existe un moyen de lutte aussi efficace qu’éprouvé : les « Groupements forestiers écologiques », à travers lesquels des citoyens associés rachètent en groupe des parcelles de forêt dont ils choisissent ensuite le mode de gestion et d’exploitation – du génie !
Car en rachetant la forêt, ces citoyens la dérobent à l’industrie.
À l’autre bout du spectre d’action, l’association A.R.B.R.E.S, dont nous avons interviewé le président, GeorgesFeterman, a créé le label désormais bien connu « Arbres remarquables de France » qui a permis, depuis les années 2000, de sauver près de 800 arbres ou ensembles arborés aux quatre coins du pays.
Sentir…
La protection des forêts et des arbres, en tant que résistance, porte en soi les germes d’un « réapprentissage » du monde, écrit ailleurs le philosophe Baptiste Morizot. À une époque où l’homme ne vit plus avec elle, mais à côté d’elle, il paraît essentiel de renouer avec la forêt.
Pour cela, Baptiste Morizot nous appelle à sortir du « dualisme » entre la sanctuarisation de la nature et l’exploitation, et à devenir « les alliés de toutes les initiatives écologistes qui se concentrent sur la protection plus stricte des forêts ».
Mais ce « front commun » ne pourra être créé que par l’éducation, et la propagation d’une sensibilité radicalement nouvelle. Cette sensibilité passe évidemment par l’art : lorsque l’on parcourt les photographies de Max Félix, « une ode à la simplicité et à la beauté des éléments », on croit un instant ne jamais avoir réellement regardé une forêt.
Cueillir…
Mais elle passe aussi par une connaissance accrue de ses composantes. Car une forêt n’est pas qu’un décor, ce n’est pas qu’un puits de carbone ou un entrecroisement de plusieurs essences. C’est un poème qui a mis parfois des millénaires à prendre la forme que nous percevons et qui regorge de milliers d’espèces de plantes. Rien qu’en France, il en existe plus de 8 000 !
Dans un chapitre écrit à la manière d’une promenade, le mycologue et botaniste gourmand Aymeric de Kerimel vous invite à découvrir tout ce que l’on peut déguster dans une forêt bien vivante, et l’art si particulier de la cueillette.
Églantier antidiarrhéique, aulne anti-inflammatoire, ail des ours dépuratif, valériane sédative… « la liste des plantes médicinales dans ce qu’on appelle les forêts naturelles est immensément longue », nous dit plus loin le producteur-cueilleur Thierry Thévenin. N’oublions pas que la conservation de la forêt, la vraie, est une condition incontournable pour la conservation de notre santé.
Pour les plus audacieux, il y a le choix ultime : partir, renouer avec un milieu oublié, comme l’a fait Jean-Luc Pillard, en 2017, en quittant du jour au lendemain une vie qui l’aliénait pour se réinventer dans le Morvan, là où les étoiles brillent encore dans le ciel.
Cet « appel de la forêt », qu’il raconte dans un chapitre de notre livre-journal, ce fut pour lui de s’installer dans une cabane près de l’eau – sans dire pour autant adieu aux hommes.
Crédit photo couv – Douglas Rissing