Transformer une ancienne décharge de gravats de 3,6ha en terre fertile et en espace de démonstration, c’est la raison d’être de l’écoparc Lil’Ô sur l’Île Saint-Denis, situé en zone Natura 2000.
L’écoparc Lil’Ô
« Nous cultivons dans les ruines du capitalisme et de l’industrie. Des ruines d’une nouveau genre : pas ces tas de pierres inertes qui accueillent une cohorte de vivants et qu’on peut réutiliser à bon escient. Mais des ruines actives qui continuent à se transformer, à circuler, à modifier les milieux et à intoxiquer les vivants. »
Ces mots sont ceux de Bertille Darragon dans son livre « Jardiner dans les ruines ». Voilà le défi que relève l’association Halage sur l’Île Saint-Denis, installée là pour recevoir les publics, les sensibiliser, travailler avec des personnes en réinsertion, contribuer à la recherche et développer des activités de loisir comme de production.
« Un de nos gros sujets, c’est la restauration des sols urbains. Comment on transforme une friche industrielle avec un sol inerte en friche agricole, avec un sol vivant ? C’est notre dada et on y travaille avec différentes techniques pour ouvrir le sol, le faire respirer, réintroduire de la vie, réintroduire des espèces végétales. Cela met beaucoup de temps lorsqu’on respecte les rythmes naturels. » dit Adrien Rogissart, Directeur de Opération, pour La Relève et La Peste.
Lorsque Halage est arrivé sur ce site en 2017, une île au milieu de la Seine, c’était une friche industrielle. Depuis quelques décennies, une filiale de Colas (BTP) y déversait des gravats, du remblais, tous les déchets de chantiers solides et liquides.
« Quand on est arrivé, c’était la planète Mars. On pouvait respirer mais le sol était compacté par les passage des engins, pollué, impraticable et incultivable. Mais on a changé ça. »
Allier la science à l’entrepreneuriat
Halage travaille avec plusieurs organismes universitaires, notamment l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) et Université Paris 8. L’objectif est de documenter l’évolution de la parcelle de 3,6 ha. Dès 2017, la volonté de reconstruire des sols et d’installer un potager – en bac bien sûr – conduit à fabriquer du compost. Et là, Halage porte le projet comme le ferait un incubateur. C’est alors que naissent les Alchimistes.
La récupération des déchets alimentaires dans les cuisines centrales parisiennes fournit la matière première d’un compost de très haute qualité, vendu autour de 70€ le kilo. La faible biomasse existant sur ce terrain mais aussi dans de nombreux endroits urbains assure le succès de l’opération. Aujourd’hui, les Alchimistes proposent des solutions de collecte et de valorisation dans tous les départements d’Ile-de-France.
« On aime l’idée d’être là pour protéger et développer des projets qui rendent un service écologique et social et qui sont viables. Les Alchimistes, c’est intéressant parce qu’on dit que le changement climatique est notre problème le plus urgent, ça se discute. Il est possible que ce soit celui des sols et de la biomasse » explique Adrien Rogissart pour La Relève et La Peste
Plus récemment, l’incubateur a joué son rôle pour les Faiseurs de terre qui fabriquent des substrats fertiles pour l’urbain en économie circulaire et en insertion en valorisant des terres excavées, des minéraux de déconstruction et des composts de biodéchets citadins.
Une cuisine physico-chimique très experte permet de parvenir à des substrats adaptés à la culture sur les toits par exemple. En effet, les sols ainsi apportés sur le bâti doivent être les plus légers possibles tout en étant très fertiles et capables de retenir l’eau : des contraintes auxquelles répondent les Faiseurs de terre. Aujourd’hui, leur carnet de commande soutient l’espoir de les voir se développer.
Une démarche au service du Vivant
Halage est une association fondée en 1994, à l’initiative de membres de l’association d’éducation populaire Ebullition, à l’Île Saint-Denis (93). C’est tout naturellement qu’elle a intégré l’idée de réinsertion dans ses modes de fonctionnement. Restaurer les sols se fait donc en prêtant attention à la reconstruction de celles et ceux qui y contribuent.
« Les bénéficiaires de l’insertion nous aident à faire de la science. Ils apportent des données aux scientifiques qui en retour les forment à savoir observer et s’occuper des sols. » précise Adrien pour La Relève et La Peste
Les bosquets d’arbres nourriciers qui jalonnent le terrain, les espaces potagers, les mares et noues créées à divers endroits sont autant d’occasion d’apprentissages et d’expérimentation, de co-construction des connaissances qui sont ensuite partagées avec les visiteurs scolaires qui sont les plus nombreux.
Les animaux, petites et micro-faunes, ont toute leur place dans l’aménagement de Lil’Ô. Construire des corridors écologiques est une volonté pour permettre à la vie de retrouver ses processus naturels afin non seulement de rendre ce terrain cultivable mais aussi de sensibiliser les publics.
« Une noue est un fossé qui abrite une diversité de plantes et d’animaux très intéressante : des grenouilles, des libellules, des moustiques, des canards et, c’est un refuge de biodiversité. C’est chouette de l’expliquer aux enfants car ils adorent ça. » sourit Adrien auprès de La Relève et La Peste
De l’agriculture urbaine
Avec un budget de 5 millions d’euros annuels, Halage fonctionne sur un mix de financement dont les collectivités publiques et l’État sont les principaux pourvoyeurs (un peu plus de 60%), mais l’association s’emploie à s’autofinancer en partie. La culture de fleurs coupées est une activité permet la réinsertion tout en se déployant sur ces sols abîmés.
« C’est un homme venu d’Arménie et en réinsertion chez nous qui nous a aiguillés. Il était cultivateur dans son pays. Il nous a dit : dans une terre comme ça, on ne peut rien cultiver de comestible mais les fleurs pour les bouquets, ça c’est possible. Et on l’a suivi en 2019 » rembobine Adrien pour La Relève et La Peste.
Le sol était tellement pollué – il émettait du gaz et du benzène – que rester sous la serre était dangereux. Le sol de la serre a donc été excavé, une bâche protectrice a été posée et couverte d’un substrat de bonne qualité. Adrien connaît bien sûr les réserves quant à l’utilisation des bâches plastiques mais il n’y avait pas d’autre solution au point de pollution de ces sols.
Aujourd’hui, l’association vend 110 000 tiges par an de fleurs fraîches, cultivées sur six mois de l’année. C’est de la fleur responsable, très différente des modèles d’affaires hollandais : « une catastrophe chimique, catastrophe carbone et catastrophe sociale évidemment ! » rappelle Adrien.
Entre les cultures, les activités de recherches, et la renaturation à relativement grande échelle, l’art s’invite sous forme d’installations, de sculptures répondant à la thématique. Un espace détente est à la disposition des visiteurs avec quelques tables, une scène et un terrain de boules. Le long du chemin de halage qui borde la Seine, une végétation luxuriante tente la liberté !
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