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Le RN : une médecine publique exsangue et une médecine privée réservée aux riches

Le RN ne veut plus contraindre les médecins par un plafonnement de leurs honoraires et envisage de réduire la prime de garde. Cela renforce une médecine à deux vitesses avec pour conséquence l’engorgement assuré des urgences hospitalières déjà en surcharge

Comme la fermeture des bureaux de poste et des impôts, la situation de la santé en France préoccupe les Français.es. Suppression de lits, personnel soignant insuffisant dans un extrême mal-être, revendications salariales légitimes, ça ne va bien ni dans le public, ni dans le privé qui se regroupe autour des grandes villes et sur les littoraux, laissant désertes de larges parties du territoire national. Alors que le RN prétend faire de la qualité des soins le pivot de la santé publique, qu’en est-il réellement ? Décryptage.

Une lente décrépitude

Depuis un peu plus de trente ans, les gouvernements, les uns après les autres, ont détérioré les services publics en général et l’hôpital en particulier. Ils n’ont pas anticipé les besoins en termes de formation, n’ont pas osé réformer les structures du privé et ont donc laissé un nombre important de nos compatriotes avec un accès au soin très restreint. Ce sont ces raisons qui mènent certains électeurs, souvent fragilisés par les tensions économiques, vers le RN. Comme le dit le politologue Jérôme Fourquet, on peut constater que c’est « un carburant du RN dans les petites villes et les villages. »

Le manque de considération symbolique pour la vie se traduit par un sentiment de relégation et conduit à une amertume qu’on retrouve dans les urnes. C’est la situation que trouvera le premier ministre qui devra se retrousser les manches le 8 juillet prochain, quel que soit son parti.

La préférence nationale comme prisme

De bonnes questions n’induisent pas toujours de bonnes réponses. Déjà en 2022, la préférence nationale était l’un des axes majeurs de Marine Le Pen. Pour son jeune dauphin, rien n’a changé, il n’envisage pas de soigner tous les humains mais de distinguer ceux qui le méritent, les Français.es, et les autres. 

Il s’agit de restreindre l’accès des étrangers à certaines prestations et aides de l’État dans le but de faire des économies, dont le RSA (revenu de solidarité active), les allocations familiales et l’AME (aide médicale de l’État). Pourtant, rien ne permet de soutenir quelque fondement que ce soit à cette orientation si ce n’est le racisme.

Comme le note Médecins du Monde « le RN développe un discours de suspicion dangereux pour la cohésion sociale, décomplexant la haine dans un contexte de peurs croissantes. Cela attise les violences – déjà trop nombreuses – envers les populations les plus stigmatisées. »

Le RN projette donc de supprimer l’Aide Médicale d’État (AME) qui représente aujourd’hui 1,14 milliards d’euros sur 235,8 milliards au plan national, soit 0,468% des dépenses annuelles de santé, selon la commission des finances du Sénat.

« L’AME répond en premier lieu à un principe éthique et humanitaire, mais aussi à un objectif de santé publique et de pertinence de la dépense. Elle n’est pas un outil de politique migratoire » peut-on lire dans le rapport remis par l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales et l’IGF (Inspection générale des finances) en 2019.

Ce droit, difficile à exercer, permet aux sans-papiers de bénéficier d’une couverture des frais médicaux pendant un an renouvelable s’ils peuvent prouver leur présence en France depuis au moins 3 mois et si leurs ressources ne sont pas supérieures à 810 euros mensuels. Elle ne concerne que les migrants les plus précaires et les plus pauvres.

La lourdeur des démarches administratives, l’accès difficile à la langue et la peur d’une reconduite à la frontière, fait qu’elle n’est pas demandée à la hauteur des droits réels des personnes concernées. Près d’une personne éligible sur deux n’y a pas recours. Et pour ceux qui y ont recours, le panier de soins AME est plus réduit que celui des assurés sociaux.

« Dans tous les pays, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations est supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation », écrit, en 2023, l’OCDE dans son rapport

Ce que confirme le rapport de Claude Evin, ancien ministre de la Santé, et Patrick Stefanini, conseiller d’État honoraire, portant sur l’aide médicale d’État (AME) et daté du 4 décembre 2023.

Le RN y voit un appel d’air pour l’immigration clandestine qu’aucune étude ne vient corroborer. Selon un rapport du Comede (Comité pour la santé des exilé.es) daté de 2019, dans la plupart des cas (70% pour l’ensemble des pathologies), les migrants découvrent leur maladie après leur arrivée en France.

Aide Médicale d’Urgence ou discrimination punitive

Le RN envisage de la remplacer par une Aide Médicale d’Urgence (AMU) budgétée à 70 millions d’euros. Cette aide d’urgence serait centrée sur la prise en charge des situations les plus graves et serait accessible sous réserve du paiement d’un droit de timbre par le bénéficiaire des soins.

Par ailleurs, il est question de durcir les conditions d’accès au titre de séjour « étranger malade ». S’agissant des personnes étrangères bénéficiant de ce titre, l’amendement supprime la prise en charge de leurs traitements par l’Assurance maladie. Et le texte renvoie la responsabilité au Gouvernement de passer des conventions bilatérales avec les pays concernés afin de déterminer les conditions dans lesquelles les systèmes d’assurances étrangers peuvent financer cette prise en charge.

Enfin, il a été évoqué dans un amendement déposé au Sénat dans ce but, de faire en sorte que les étrangers en situation irrégulière visés par une mesure d’éloignement, soient radiés des bases des organismes de sécurité sociale compétents et de France Travail, dès expiration du délai de recours.

Le RN qui soutient ce projet et souhaite le mettre en œuvre fait donc fi d’un principe fondamental : dans l’introduction de son rapport 2016 sur « Les droits fondamentaux des étrangers en France », le Défenseur des droits rappelait en effet que, en dehors de la question du droit au séjour, « dans la plupart des domaines de la vie quotidienne, protection sociale, enfance, santé, logement…, le droit interdit a priori d’établir des différences de traitement. ».

La qualité des soins vue du RN

Pourtant, « Je ferai de la qualité des soins le pivot de la politique de santé », avait annoncé Marine Le Pen en 2022. Comment la croire, comment croire Jordan Bardella qui définit son programme de santé en quelques points ? Aucun d’entre eux n’est chiffré à l’exception d’une enveloppe globale définie sans être répartie à 20 millions d’euros.

Dans son programme, le RN promet de “relever notre système de santé, redonner confiance à l’hôpital public, réduire le poids des services administratifs dans les hôpitaux et transférer une partie des emplois vers les services opérationnels, supprimer les Agences Régionales de Santé, augmenter le nombre d’étudiants en médecine (fin du numerus apertus), lancer un plan d’autonomie stratégique pour les médicaments, renforcer le soutien aux proches-aidants, donner plus de place à la prévention et reconnaître l’endométriose comme affection longue durée”.

Rien n’est indiqué sur le manque de personnel soignant qui génère la fermeture des lits. Dans le programme 2022, il est inscrit dans le point 1 : assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi. Or, selon les chiffres du Conseil national de l’Ordre des médecins, 27% des médecins exerçant à l’hôpital sont diplômés hors de France, ce qui représentent 20 000 médecins. Le RN ne précise pas si ceux-là doivent être remerciés ou non.

Quant au privé, là c’est la nébuleuse. Toutefois, les mots de Patrick Barriot, conseiller santé de Marine Le Pen en 2022 résonnent ainsi : « Nous sommes opposés à toute mesure coercitive d’installation ou de conventionnement sélectif. »

Agir contre les déserts médicaux grâce à des incitations financières fortes pour les soignants et augmenter le nombre de maisons de santé, voilà le mantra mais rien n’est réellement avancé pour résoudre le problème. Seule proposition du RN, des « incitations financières fortes, celles existantes étant supprimées ».

Un article récent paru dans The Conversation sous la plume des Dr Julien Poimboeuf et Anthony Chapron, tout deux appartenant à l’Université de Rennes présente une série d’études qui montre que les incitations financières et matérielles sont assez inefficaces, passé l’effet d’aubaine, car on oublie toujours les aspects sociaux.

Or, les zones rurales attirent davantage les praticiens qui y ont étudié, fait des stages ou vécu, et plus encore si leur conjoint.e y a des attaches également, et des opportunités professionnelles. Les recommandations issues de ces constats iraient vers une réorganisation des études de médecine plus décentralisées. Il n’en est nullement question.

L’argent va toujours aux mêmes

Revaloriser les salaires des personnels soignants à la hauteur de leur travail. Comment définit-on la hauteur ? Les personnels soignants, dans ce programme comme dans les précédents sont l’objet de promesses abstraites dont ils ont déjà fait l’expérience. Le problème de fond est le manque d’attractivité de ces métiers, pour les jeunes en particulier, en lien avec des conditions de travail trop difficiles, par manque de personnel et également du fait des comportements agressifs d’un nombre croissant de patients.

En revanche, est annoncée la réforme du « système de rémunération complémentaire des médecins mis en place en 2012 ». Il s’agit des mesures de plafonnement des dépassements d’honoraires et de l’instauration d’une prime de garde pour les médecins de ville.  Le RN ne veut plus contraindre les médecins par un plafonnement de leurs honoraires et envisage de réduire la prime de garde. Cela renforce une médecine à deux vitesses avec pour conséquence l’engorgement assuré des urgences hospitalières déjà en surcharge.

Le RN prévoit donc une médecine publique exsangue destinée aux plus fragiles et une médecine privée réservée aux plus fortunés.

En guise d’autonomie, une médecine à deux vitesses

Le plan d’autonomie stratégique est un item très imprécis : pas de délais, pas de chiffrage, pas d’objectif. Et ce d’autant que Marine Le Pen a déclaré qu’il fallait « rendre aux médecins la liberté de prescription et d’expression ».  Alors que la pratique de la médecine repose sur des données scientifiques, sous le contrôle de la Haute Autorité de Santé (HAS), un organisme réputé indépendant, elle envisage donc d’autoriser une médecine sans contrôle, sans fondement scientifique.

L’industrie pharmaceutique, dont l’efficacité en termes de lobbying n’est pas à démontrer aurait ainsi tout loisir de choisir ses molécules, des les tester plus ou moins bien et de proposer, via des médecins incompétents ou soudoyés, des soins inappropriés ou inefficaces, mettant ainsi en danger la santé des citoyens. Pourtant, une démocratie fait reposer son système sur des organismes de contrôle, mêmes imparfaits, qui protègent les plus vulnérables des abus et des charlatans. Et dans la foulée est décidée la disparition des Agences régionales de santé chargées d’assurer un pilotage unifié de la santé en région, de mieux répondre aux besoins de la population et d’accroître l’efficacité du système. Certes, elles ont fait la preuve de leur inefficacité mais les supprimer plutôt que les réformer, ne saurait constituer une réponse.

Marine Le Pen prévoyait de créer « des urgences gériatriques dédiées à nos aînés ». La mesure a été remplacée par Jordan Bardella en nécessité de donner plus de place à la prévention. La surprise, c’est le moyen : des visites de médecine scolaire. La France compte moins de 900 médecins scolaires pour 12 millions d’élèves. Et 7700 infirmier.es scolaires sont en activité pour le même nombre d’élèves, un chiffre stable depuis 10 ans. Et malgré l’augmentation des troubles à tous les âges, l’effectif moyen par PsyEN (psychologue scolaire) est de 1500 enfants/adolescents, contre 1 pour 1000 selon les recommandations européennes.

Autant dire que compte tenu de la faiblesse des ressources et du peu de soignants disponibles sur le territoire français, la mesure reste incantatoire. Une politique de prévention en matière de santé ne se cantonne pas à l’école et aux enfants, elle intègre un ensemble des pathologies et devrait, si on fait honneur aux résultats de la recherche française et internationale, s’élargir aux modes de vie : alimentation, choix énergétiques, conditions de travail, mobilité, pollution… Quant aux proches-aidants, pas d’info !

Isabelle Vauconsant

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