Le mardi 28 mars, une proposition de loi demandant l’interdiction de la publicité lumineuse et numérique a été examinée en Commission durable de l’Assemblée nationale. L’objectif : mettre fin au gaspillage énergétique ainsi qu’au désastre écologique et sanitaire des écrans numériques. Cette proposition de loi a été bloquée par Le RN, Renaissance (ex-En Marche) et les Républicains.
Une demande sociétale
Un collectif d’associations soutenait la proposition de loi et appelait les parlementaires à voter en faveur de cette interdiction, estimant que le cadre législatif est jusqu’ici resté bien trop léger sur le sujet.
Dans son plan de sobriété, le gouvernement avait présenté l’interdiction le 6 octobre dernier par décret des publicités lumineuses entre une heure et six heures du matin : une mesure estimée peu utile par les associations et écologistes, dans la mesure où l’interdiction existait déjà dans les villes de moins de 800 000 habitants.
Les publicités lumineuses vont à l’encontre de la nécessité actuelle de sobriété, encouragent à la surconsommation et contribuent à la pollution lumineuse. Le rapport de l’ADEME de 2020 estimait la consommation d’un écran de 2m2 à 2 000 kWh/an, soit quasiment la consommation annuelle d’un ménage (hors chauffage).
C’est pourquoi de très nombreux citoyens et citoyennes se sont mobilisés durant l’hiver dernier pour dénoncer le gâchis que représentent les publicités lumineuses. Une pétition lancée en septembre 2022 pour éteindre les écrans publicitaires et renforcer la législation sur les publicités et les enseignes lumineuses a été signée par plus de 65 000 personnes.
Des collectifs citoyens ont également mené des centaines d’actions pour interpeler les pouvoirs publics. Le samedi 18 février, les militants et militantes se sont mobilisés dans 38 villes en France contre la pollution lumineuse. Au total, plus de 2400 dispositifs publicitaires ou lumineux ont été éteints ou recouverts.
« La sobriété est une question de priorisation des usages, de cohérence, de justice environnementale et sociale et ne peut se réduire à des engagements volontaires. » rappelait ainsi un collectif d’associations dans un communiqué
Selon un sondage réalisé par Greenpeace début 2023, 85 % des français et françaises sont favorables à une réduction du nombre d’écrans, tandis que 54 % soutiennent leur interdiction totale.
Or, selon un rapport de l’Ademe publié en 2020, en 2019, on dénombrait 55 000 écrans publicitaires numériques en France, contre 40 000 en 2017, ce qui représente une augmentation de près de 40 % en deux ans.
Une proposition de loi vidée de sa substance
Pour toutes ces raisons, mais aussi pour des enjeux sanitaires afin de limiter la surexposition des personnes, et notamment des enfants, aux écrans, un groupe de députés souhaitait faire interdire les publicités lumineuses dans l’espace public. Débattue en commission mardi 28 mars, cette proposition de loi a été vidée de sa substance.
« Ce qui a été voté hier n’a plus aucun sens par rapport au titre de la PPL car l’article qui voulait supprimer la publicité lumineuse et numérique a été supprimé, ils ont adopté 3 amendements qui n’ont rien à voir avec la proposition initiale » déplore Thomas chargé de plaidoyer dans l’association Résistance à l’Agression Publicitaire,
Les groupes politiques ayant fait barrage à cette proposition de loi sont Les Républicains, le Rassemblement National et Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron. L’article unique de la loi, qui proposait donc d’ « interdire toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l’espace public », a été supprimé.
« Le RN est celui qui a déposé le plus d’amendements avec 2 amendements de suppression dont de nombreux à côté de la plaque. Ces 3 groupes ont déroulé l’argumentaire des lobbies qu’on connaît très bien. Ceci dit ce n’est pas étonnant de leur part car il y a vraiment un double- discours entre ce que le RN raconte aux électeurs et ce qu’il fait réellement quand il est aux manettes » dénonce Thomas chargé de plaidoyer dans l’association Résistance à l’Agression Publicitaire,
Certains députés ont même accusé les écologistes d’être « totalitaires » lors du débat en Commission en voulant supprimer la publicité numérique.
« Ce qui est totalitaire, c’est que nos cerveaux et nos yeux soient attirés en permanence dans l’espace public pour nous vendre une débauche de produits dont nous n’avons pas besoin. Il y a un désir social massif de cette mesure, plus de 80% des citoyens sont en faveur de la suppression des écrans lumineux car ils trouvent qu’il y en a trop. Même RTE considère que cette consommation d’électricité est « superflue » et pose une question de cohérence et de dissonance cognitive pour l’ensemble de la population qui est enjointe à adopter des gestes de sobriété en étant elle même envahie de panneaux numériques publicitaires » a répondu la rapporteure Delphine Batho lors des échanges
Quelques amendements ont néanmoins été adoptés : un pour élargir le champ des prescriptions pouvant être fixées par arrêté ministériel pour limiter la pollution lumineuse et mettre en place des aires de protection de la faune nocturne et du ciel étoilé par la création de zone dite « trame noire », un autre pour éteindre les éclairages de vitrines de galeries commerciales situées hors agglomération la nuit, et enfin l’un pour demander un rapport dressant un état des lieux des écrans publicitaires lumineux en France.
Des mesures insuffisantes pour les associations qui se battent sur le sujet depuis des années.
Dans le précédent quinquennat, cette proposition avait déjà été débattue et avait reçu un « non » ferme et définitif. Au vu du contexte énergétique actuel, les spécialistes du sujet auraient voulu que cette proposition passe en hémicycle pour avoir un vrai débat.
Certains députés qui n’étaient pas d’accord avec la proposition de loi complète, notamment Horizons, ont voté contre les amendements de suppression pour en débattre à l’Assemblée Nationale car ils ont reconnu le travail important de Delphine Batho mené sur le fond.
« Ils voulaient amender le texte en permettant au moins d’interdire les écrans numériques sans interdire toute la publicité lumineuse mais même cela a été refusé, alors que les écrans numériques sont ce qui se fait de pire en matière d’affichage extérieur. Ils sont entre autres très compliqués à recycler.
Si on avait pu commencer au moins par les interdire, cela aurait été une bonne avancée. On n’arrête pas de nous dire de faire attention à ne pas exposer les enfants aux écrans et dans le même temps on en met de partout dans l’espace public » met en perspective Thomas chargé de plaidoyer dans l’association Résistance à l’Agression Publicitaire, auprès de la Relève et la Peste
Quant à la charte signée cette semaine par les exploitants des gares, métros et aéroports pour éteindre les publicités lumineuses après leur fermeture, c’est seulement un effet d’annonce. Cette charte reporte de six mois ce qui a déjà été promulgué par décret gouvernemental et entrera en vigueur en juin 2023.
La publicité a encore de beaux jours devant elle, pour le plaisir des grands groupes et le malheur de nos cerveaux.
Crédit photo couv. – L’affichage Dynamique